Cybersécurité: sécuriser sans déchiffrer, la révolution discrète de Wodan AI

Myrte De Decker Journaliste TrendsStyle.be

Wodan AI a développé une solution de cybersécurité permettant d’utiliser des données chiffrées sans les déchiffrer. Les entreprises peuvent ainsi innover avec des technologies intelligentes tout en garantissant la confidentialité des utilisateurs. « La question n’est pas de savoir si une importante fuite de données se produira un jour dans un modèle d’IA, mais quand. »

Payer ses courses, virer l’argent de poche des enfants ou investir : de nombreuses transactions financières s’effectuent aujourd’hui via des applications, qui utilisent et échangent de nombreuses données personnelles. « Ces data in use  (données en cours d’utilisation) sont extrêmement vulnérables », explique Bob Dubois, PDG de Wodan AI. « Elles sont indispensables pour faire fonctionner et entraîner des logiciels intelligents basés sur l’intelligence artificielle (IA), le machine learning (ML) ou d’autres modèles de données. C’est pourquoi, pendant longtemps, on a cru qu’on ne pouvait pas chiffrer ces data in use, contrairement aux données stockées sur un serveur ou envoyées via Internet. »

Wodan AI a mis au point un logiciel permettant aux modèles de données d’exploiter des données chiffrées sans devoir les déchiffrer. La start-up y parvient en intégrant la cybersécurité dans les modèles d’IA et de ML. Concrètement, son logiciel ajoute une API supplémentaire – une interface permettant à deux applications de communiquer entre elles. Ce gardien supplémentaire est invisible pour l’utilisateur, qui peut cependant être sûr que ses données restent chiffrées tout au long du processus. Ainsi, les entreprises peuvent continuer à innover sans compromettre la sécurité ou la vie privée des utilisateurs.

Un récent sentiment d’urgence

La base de ce logiciel repose sur une cryptographie accessible à tous, désormais adoptée par les géants de la tech comme Google, Apple ou Microsoft. « Nous n’avons donc pas besoin d’une équipe de cryptographes, mais d’experts en IA et ML ayant des connaissances en cybersécurité », précise Dubois. « C’est là que réside le cœur de notre solution. »

Si cette forme de chiffrement existe depuis longtemps, le sentiment d’urgence est récent. Les spécialistes s’accordent à dire que ce segment de niche de la cybersécurité prendra une importance croissante dans les années à venir. Wodan AI a d’ailleurs été sélectionnée pour Nvidia Inception, un programme du fabricant de puces visant à soutenir les jeunes pousses via l’accès à du matériel et du savoir-faire, ainsi que pour le programme Google for Startups, qui offre aux participants des mentors et des experts externes spécialisés.

Richard Wagner

Dubois, qui a un passé de responsable commercial, a eu l’idée de Wodan AI il y a deux ans. Dans sa recherche d’un cofondateur doté des compétences techniques adéquates, il est tombé sur l’Espagnol Manuel Perez Yllan, un physicien théoricien ayant déjà fondé et revendu avec succès deux start-up dans le domaine de l’intelligence artificielle.

« C’est difficile à expliquer, mais parfois on sait immédiatement qu’on a trouvé la bonne personne », se souvient Dubois de cette rencontre. « Manu a tout de suite compris ma vision et a su faire le lien entre la cryptographie et l’IA. En plus, il possède les connaissances mathématiques nécessaires pour comprendre les algorithmes et les adapter. »

Les deux hommes partagent également une autre passion : le compositeur Richard Wagner. Dubois est diplômé en musicologie de la KU Leuven. Il a consacré son mémoire de master à l’opéra de Wagner Der Ring des Nibelungen, dans lequel le dieu suprême Wotan joue un rôle central. Par un heureux hasard, Yllan s’est également révélé être un fervent wagnérien. Le nom de l’entreprise ne faisait donc aucun doute.

Cybersécurité et cyberdéfense

Les données en cours d’utilisation non sécurisées offrent aux pirates une multitude de points d’attaque dans quasiment tous les secteurs de la vie quotidienne. Depuis l’essor de l’intelligence artificielle, les entreprises et organisations ont entamé une course à l’innovation sans précédent, où la rapidité prime souvent sur la protection de la vie privée. Ainsi, une étude révèle que plus d’un tiers des projets d’IA dans le secteur bancaire sont bloqués par le CISO ( le “responsable de la sécurité des systèmes d’information” ou “directeur de la sécurité des systèmes d’information”), car jugés insuffisamment sécurisés. Plus largement, 98 % des entreprises ont déjà collaboré avec une tierce partie ayant subi une cyberattaque. Même si leur propre infrastructure est protégée comme une forteresse médiévale entourée d’un fossé, aucune organisation ne peut jamais être totalement sereine.

Wodan AI se targue de proposer un logiciel pleinement conforme aux réglementations et directives en matière de protection de la vie privée, comme le RGPD, le AI Act de l’UE, NIS2 (directive européenne visant à renforcer la cybersécurité dans l’UE) et DORA. Cette dernière exige, dans le cadre de l’open banking, que les institutions financières donnent accès aux données de leurs clients à des tiers régulés, tout en assurant la protection de ces données.

La protection des « data in use » ne se limite cependant pas au secteur financier ou des services. Elle devient également un enjeu majeur dans la cyberdéfense, notamment pour sécuriser les technologies opérationnelles. « Imaginez qu’un essaim de drones autonomes soit abattu », explique Dubois. « Si l’ennemi peut analyser cette technologie, l’information tombe entre de mauvaises mains. Nos concurrents américains travaillent déjà activement à rendre leur technologie adaptée à ce secteur. Ils ont une légère avance, mais est-ce que l’Europe veut vraiment dépendre d’acteurs étrangers ? Nous sommes une entreprise 100 % européenne, au service du marché européen. »

Financement

La start-up Wodan AI a trouvé ses quartiers dans le Wintercircus de Gand. C’est depuis ce site que sont principalement gérées les activités commerciales. Le cœur technologique de l’entreprise, lui, se trouve en Espagne. « Ce pays dispose de nombreuses bonnes universités et de profils techniques qualifiés. Pour un seul poste vacant, nous recevons plus de 100 candidatures », explique Bob Dubois, le CEO. « Et  comme nous sommes une start-up qui doit surveiller ses coûts, les salaires y sont nettement moins élevés. »

Cela dit, la situation financière semble saine. Fondée il y a presque deux ans sur fonds propres, Wodan AI a depuis levé un montant significatif de capital auprès des fondateurs de l’entreprise néerlandaise de protection des données CommVault, où Dubois a travaillé pendant plusieurs années. Une nouvelle levée de fonds est actuellement en préparation. Toutefois, le CEO est convaincu que l’entreprise peut aussi réussir sans nouvel apport de capitaux : « Avec une petite équipe, nous pourrons déjà accomplir beaucoup. »

Entre-temps, Wodan a signé ses premiers clients : quelques prestataires de services financiers en Espagne, ainsi qu’une grande scale-up allemande spécialisée dans un secteur de niche de l’IA, utilisent déjà la solution.

Dubois avertit aussi les organisations qui estiment avoir déjà mis en place de nombreuses protections et se pensent à l’abri. « Les hackers font toujours plus. Et en raison de l’illégalité dans laquelle ils opèrent, le combat est fondamentalement inégal. La question n’est pas si une importante fuite de données surviendra un jour dans un modèle d’IA, mais quand cela se produira pour la première fois. »

L’intelligence artificielle est présente dans la plupart des secteurs, ou presque, avec ses partisans et ses détracteurs, mais quel est son impact?

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