Cure d’austérité à la RTBF pour réaliser près de 12 millions d’économies en 2025
Taclée par la nouvelle majorité MR-Engagés en Fédération Wallonie-Bruxelles, la RTBF doit réaliser près de 12 millions d’économies en 2025. Le défi est-il vraiment insurmontable pour son administrateur général ?
Par cette action de sensibilisation, les syndicats dénoncent un contexte où les missions fondamentales et la survie de la RTBF seront menacées par des décisions politiques du gouvernement de la Fédération Wallonie- Bruxelles.” C’est avec ce message solennel que se sont ouverts, jeudi dernier, les bulletins d’information de la radio-télévision de service public, justifiant ainsi un préavis de grève déposé par la CSC-Transcom et la CGSP.
En ligne de mire : la déclaration de politique communautaire de la coalition MR-Engagés scellée en juillet dernier et qui a donné un sacré coup de pied dans la fourmilière audiovisuelle. En quelques phrases choc, les deux partis de la nouvelle majorité ont replanté le décor médiatique, souhaitant “rétablir un cadre de saine concurrence” dans le paysage francophone et “recentrer la RTBF sur ses missions de service public” (l’information, la culture et l’éducation permanente).
Avec cette cerise amère sur le gâteau de l’assainissement budgétaire : “la dotation fonctionnelle de la RTBF sera maintenue au montant 2024 plafonné durant toute la législature”, dixit la déclaration de politique communautaire. Traduction : l’entreprise publique ne recevra pas le montant escompté et devra donc se serrer la ceinture. Elle n’aura plus droit à l’indexation automatique de sa dotation annuelle, ni à la majoration exceptionnelle de 2% prévue précédemment, et son défi consistera à réaliser 11,8 millions d’économies l’année prochaine.
Généreuses dotations
En prenant un peu de recul, le défi ne semble pas insurmontable. Si l’on s’attarde sur les derniers chiffres du rapport annuel de la RTBF, il apparaît que l’essentiel du budget de l’entreprise publique (469 millions d’euros en 2023) provient essentiellement des dotations (367 millions, soit 78%) et de la publicité (66 millions, soit 14%). Or, ces dotations ont grimpé de manière spectaculaire ces dernières années (voir graphique), réparties entre la dotation ordinaire émanant de la Fédération Wallonie-Bruxelles et d’autres formes de subventions. Renfermant 229 millions d’euros en 2013, l’enveloppe des dotations accordées à la RTBF a ainsi gonflé de plus de 50% en 10 ans à peine pour atteindre 367 millions d’euros l’année dernière. En faisant un léger bond dans le passé, on constate dès lors une différence de plus de 100 millions entre les budgets 2017 et 2023 de la RTBF.
“Trouver 12 millions d’économies alors que l’entreprise publique a été, ces dernières années, particulièrement gâtée ne devrait pas être très compliqué”, persifle cet observateur des médias. Quoique. Depuis plusieurs années déjà, l’administrateur général Jean-Paul Philippot réussit à maintenir le paquebot Reyers à flot, malgré des coûts qui ont explosé avec l’indexation automatique des salaires (ils représentent quasiment la moitié des dépenses ertébéennes en 2023), la lente érosion des revenus publicitaires et les défis que représentent la modernisation des infrastructures et le déménagement prévu vers un tout nouveau bâtiment dont le chantier se termine doucement (le personnel s’y installera au printemps 2026).
Ainsi, depuis une dizaine d’années, l’Ebitda positif de la RTBF a navigué entre 13 et 29 millions d’euros, affichant un montant respectable de 15,3 millions dans le dernier rapport annuel.
La redistribution des cartes budgétaires selon la nouvelle majorité azur avec un rabotage de près de 12 millions pour le prochain exercice se transforme donc en un véritable casse-tête financier pour Jean-Paul Philippot.
Menace sur l’emploi ?
Mais où l’administrateur général pourra-t-il faire des économies ? Dans ses effectifs ? Sur les programmes ? Ou en augmentant peut-être la productivité de ses troupes ? Contactés par nos soins, ni le patron de la RTBF ni la ministre francophone des Médias n’ont souhaité répondre à nos questions. Et on peut les comprendre : Jean-Paul Philippot et Jacqueline Galant sont actuellement en pleine discussion pour implémenter les décisions du dernier conclave budgétaire au sein de la cité Reyers. Tout au plus nous dit-on ceci au cabinet de la ministre : “Il est important de rappeler que la RTBF garde toute son autonomie de gestion. Nous sommes donc à l’écoute des propositions et des demandes de la RTBF. Cependant, comme elle l’a précédemment indiqué, la ministre souhaite que la chaîne publique francophone privilégie des mesures structurelles sans impacter les emplois”.
Interpellée à ce sujet par la députée Armelle Gysen (Les Engagés), Jacqueline Galant l’a d’ailleurs confirmé le 12 novembre dernier au Parlement de la Fédération Wallonie- Bruxelles : “L’objectif est de privilégier des mesures de gestion qui ne touchent pas les ressources humaines, bien que cela reste d’abord du ressort de l’entreprise elle-même”.
Du côté de la RTBF, on voit mal comment l’administrateur général pourrait encore réduire ses effectifs, si ce n’est en misant sur les départs naturels de certains employés qui pourraient ne pas être remplacés (seules 29 personnes partiraient à la pension en 2025). En quatre mandats, Jean-Paul Philippot a déjà réussi l’exploit de diminuer fortement le personnel de l’entreprise publique, passant de plus de 2.600 salariés quand il a pris ses fonctions en 2002 à 1.900 employés aujourd’hui (très exactement 1.896 équivalents temps plein budgétés en 2024).
“Depuis 20 ans, la RTBF est dans une démarche d’amélioration continue de sa productivité, commente sa porte-parole Axelle Pollet. Elle se transforme étape par étape sans cesser de développer une offre de contenus pour tous les publics, en linéaire et non-linéaire, tout en ayant réduit son personnel de 32%, sans recourir à un plan social.”
Fini de rire
C’est donc au niveau des programmes proprement dits que Jean-Paul Philippot devra sans doute composer, en intégrant ce débat de fond suscité par la coalition azur qui entend “recentrer la RTBF sur ses missions de service public” (sic). Et c’est là que les choses se corsent. Historiquement, la RTBF définit elle-même ses missions de service public avec ces trois mots : “informer, divertir, éduquer”. Or, dans sa déclaration de politique communautaire, la nouvelle majorité MR-Les Engagés épingle “l’information, la culture et l’éducation” lorsqu’elle invite la RTBF à se recentrer sur ses fameuses missions. Le mot divertir est passé à la trappe. Question piquante : le divertissement pur jus du style Le Grand Cactus ou The Voice n’aurait-il donc plus sa place sur le service public ? Bref, est-ce ce genre d’émissions qu’il faut donc sacrifier pour réaliser les économies demandées ?
“Pourquoi opposer divertissement et culture ?, réagit la porte-parole Axelle Pollet. Lorsque l’on produit The Voice ou The Dancer, ce sont les talents de chez nous qui sont mis en avant. C’est la force du média public, on joue un rôle de liant et de tremplin. Aujourd’hui, l’enjeu dépasse tel ou tel programme. Cela touche davantage notre capacité à proposer une offre suffisamment attractive pour rester une référence face à l’invasion des plateformes internationales qui entraînent avec elles la standardisation des formats – américains, coréens, etc. – et par voie de conséquence la disparition de nos cultures et patrimoines locaux. Des plateformes qui, en outre, absorbent les revenus publicitaires sans retour dans l’écosystème local…”
Le retour de la pub ?
Il faudra cependant trouver des solutions pour atteindre ces 11,8 millions d’économies. Outre le sacrifice de l’un ou l’autre programme coûteux, l’une des pistes pourrait être le retour de la publicité dans la matinale de La Première, une suppression qui avait été décidée par la précédente ministre francophone des Médias Bénédicte Linard (Ecolo) et qui, depuis, prive la RTBF de 2,5 millions d’euros de recettes par an. À la question précise d’un éventuel retour de la pub sur cette chaîne à cette tranche horaire, le cabinet de sa successeure Jacqueline Galant répond laconiquement : “Le dialogue reste notre maître mot pour travailler sur l’avenir de la RTBF et nous n’avons pas de sujet tabou”.
De son côté, l’ancienne ministre des Médias précise qu’il faudra, dans ce cas, un avenant à l’actuel contrat de gestion, tout en se disant très préoccupée par l’impact de ce plan d’économies sur la RTBF. “Je suis vraiment inquiète de ce qu’il risque d’advenir en termes de diminution de service au public par ces coupes budgétaires, réagit Bénédicte Linard. J’ai l’impression que de grandes décisions ont été prises sans vraiment savoir ce qu’il y a derrière et, pour moi, il s’agit d’une erreur. Ces mesures vont mettre à mal la RTBF qui devra faire des choix compliqués et peut-être envisager des licenciements au sein de ses équipes. N’oublions pas non plus que la RTBF est la première entreprise culturelle en Fédération Wallonie-Bruxelles et que cela risque d’avoir aussi des conséquences sur le secteur de la production indépendante.”
Participer à l’effort
Le plan d’économies fixé à 11,8 millions va-t-il vraiment ébranler la RTBF dans ses missions de service public ? “Une inquiétude se fait ressentir à la cité Reyers, mais les partis d’opposition grossissent le trait, répond Olivier Maroy, député wallon MR et membre titulaire de la commission Médias. Je saluerai d’abord l’évolution positive de la RTBF et le professionnalisme de son administrateur général qui a réussi la mutation technologique de l’entreprise, mais il est temps d’ouvrir les yeux sur les finances de la Fédération Wallonie-Bruxelles et la RTBF doit participer à l’effort budgétaire. La recentrer aujourd’hui sur ses missions n’est pas une punition ! Ces dernières années, elle a eu tendance à se disperser, notamment en voulant occuper le terrain de très nombreuses compétitions sportives, et elle a un peu oublié qu’elle doit avant tout cultiver son ADN et donc remettre à l’honneur des programmes qui rendent plus intelligents.”
Entre la ministre des Médias et l’administrateur général Jean-Paul Philippot, le sport est clairement à l’agenda des discussions, d’autant plus que la déclaration de politique communautaire précise : “La RTBF adoptera une approche conforme au marché et soucieuse des coûts. Dans ce cadre, elle reverra sa politique d’acquisition des droits de diffusion en clair de programmes, notamment sportifs, de telle manière à ne pas empêcher les chaînes de télévision privées belges francophones qui le désirent de les acquérir au prix du marché”.
Dans ce contexte de “saine concurrence” (sic) réclamée par la nouvelle majorité, il reste à savoir maintenant quelles décisions concrètes seront prises par la RTBF pour atteindre l’objectif des 11,8 millions d’économies. Une fois le plan défini, il devra être soumis au nouveau conseil d’administration de l’entreprise publique qui tarde à être constitué, étant donné la lutte qui se joue actuellement entre les alliés MR et Engagés pour en assurer la présidence. Le feuilleton est loin d’être terminé…
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