Coronavirus: production au ralenti voire à l’arrêt, personnel en chômage temporaire… Nos brasseurs boivent la tasse
Nos brasseurs ne peuvent désormais plus compter que sur la grande distribution pour écouler leurs produits alors que les négociants en boissons ont, pour leur part, vu toute leur activité s’arrêter du jour au lendemain.
” Les chiffres, je n’ose même pas y penser. Les pertes seront énormes. ” Nathalie Poissonnier ne se fait aucune illusion. La fermeture de l’horeca et les mesures de confinement liées à la crise du Covid-19 auront un impact désastreux sur le secteur brassicole. ” Certaines petites brasseries, davantage touchées, envisagent tout simplement d’arrêter leur business, assure la directrice générale de la Fédération des brasseurs belges. Elles ne disposent pas toujours de leur propre ligne d’embouteillage et font parfois appel à des entreprises de travail adapté, dont certaines ont fermé boutique en cette période. ”
A la brasserie Saint-Feuillien, au Roeulx, dans le Hainaut, on a effectivement externalisé la mise en bouteille. Mais la patronne de la maison touche, pour l’instant, du bois. ” Le travail se poursuit chez notre sous-traitant, affirme Dominique Friart. Je ne sais pas si je vous dirai la même chose dans deux semaines. Nous verrons bien. Mais pour le moment, le planning est respecté. ” Sur place, si la production a certes été ralentie, elle n’est toutefois pas à l’arrêt. ” Nous nous adaptons en fonction de la demande, explique d’administratrice déléguée. A ce stade, nous n’avons pas dû recourir au chômage temporaire en ce qui concerne la production. ”
Au niveau de la distribution, c’est une autre histoire. ” Nous avons dû mettre une partie de notre équipe commerciale au chômage économique, explique Dominique Friart. Le secteur de la grande distribution ne souhaite plus recevoir de visites intempestives de commerciaux pour le moment. ”
Moins dépendante de l’horeca
Ces dernières années, Saint-Feuillien a fait évoluer sa stratégie de manière à être moins dépendante de l’horeca. Si bien qu’aujourd’hui, environ deux tiers de la production destinée au marché domestique sont écoulés via la grande distribution. ” Par le passé, nous avions une équipe commerciale dédiée à l’horeca, précise notre interlocutrice. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous n’avons plus qu’une équipe polyvalente qui démarche aussi bien l’horeca que les détaillants. Cette stratégie porte ses fruits, même si nous savons très bien que tout cela a ses limites. Les gens ne peuvent pas passer leur vie dans les grandes surfaces. En cette période de confinement, les consommateurs vont simplement faire leurs achats de première nécessité, alors il est clair que nos ventes vont chuter dans le retail également : 2020 ne sera pas la meilleure année de l’histoire de la brasserie. ”
On ne peut pas dire que nos brasseurs peuvent se tourner vers l’exportation afin de compenser les pertes enregistrées sur leur marché local car si, au total, 70% de la production belge de bière est exportée, tous les pays sont aujourd’hui logés à la même enseigne. ” L’horeca est fermé dans de nombreux pays, les commandes chutent, les contrôles aux frontières s’intensifient, énumère Nathalie Poissonnier. L’exportation n’est donc pas la solution. ” Surtout pas pour la brasserie Saint-Feuillien, qui compte la France et… l’Italie parmi ses plus gros partenaires à l’export. ” Certains pays comme la Chine repartent, d’autres ne sont pas encore impactés. Je pense notamment à la Russie. Mais il ne s’agit pas du tout de nos plus gros marchés. ”
Le ” redémarrage ” de la Chine pourrait en revanche faire les affaires de la petite brasserie Bertinchamps, à Gembloux. Cette dernière exporte 40% de sa production et essentiellement vers l’Asie. ” Plus aucune bière n’est sortie de Belgique depuis le début de l’année, explique Jean-Philippe Humblet, responsable de ventes. Etant donné que la Chine était l’un des premiers pays touchés, nous espérons bientôt pouvoir écouler à nouveau nos produits dans le pays et sur le continent asiatique de manière générale. ”
Production à l’arrêt
Pour le moment cependant, la brasserie familiale tourne encore au ralenti. ” Nous enregistrons une baisse de nos ventes d’environ 70%, explique notre interlocuteur. Rien à l’export, rien dans l’horeca, rien dans notre restaurant que nous avons fermé. Seule reste la grande distribution, qui représente environ 35% de notre production totale mais via laquelle nous enregistrons également une diminution de nos ventes. ”
Ici, toute la production est à l’arrêt et l’ensemble des commerciaux ont été placés en chômage économique. ” Nous conservons la bière dans les cuves de garde, plusieurs palettes sont par ailleurs prêtes pour les grandes surfaces, mais nous attendons de voir comment la situation évolue avant de recommencer à brasser “, explique Jean-Philippe Humblet.
Pour faire face à cette situation inédite, le responsable salue les mesures prises par le gouvernement en matière de chômage temporaire ou de report de certaines charges sociales. Mais il souhaiterait également que les accises n’augmentent pas cette année : ” Si l’Etat augmente les accises, cela aura des répercussions sur le prix de la bière, et donc sur la consommation “.
Les négociants en boissons durement touchés
En matière d’accises, d’autres acteurs réclament un délai de paiement des taxes prélevées lors de l’importation de produits (vins, etc.). Il s’agit des négociants en boissons. Car si l’horeca et les brasseurs sont touchés de plein fouet, les distributeurs de boissons, intermédiaires entre les brasseurs et les établissements horeca, peinent eux aussi à sortir la tête de l’eau.
Depuis son bureau situé dans le parc d’activité économique de Noville-les-Bois, à Fernelmont, José Delsart observe le parking désespérément vide de son entreprise. ” C’est un véritable coup de massue, lance le patron du groupe éponyme, premier négociant en boissons de Wallonie. Tous les téléphones chauffent, il faut réagir très rapidement pour préserver l’outil existant. ” L’homme a dû placer sa centaine de collaborateurs en chômage technique. Son activité est à l’arrêt. C’est que si les brasseries peuvent encore écouler leurs produits dans la grande distribution, les distributeurs de boissons, eux, dépendent presque uniquement de l’horeca. ” 90 à 95% de notre chiffre d’affaires est enregistré dans l’horeca où nous comptons environ 1.300 clients, confirme José Delsart. Notre fédération a d’ailleurs pris contact avec les brasseurs afin de leur demander qu’ils fassent preuve d’une certaine flexibilité au niveau du paiement des factures. Il faudra nous laisser un peu de temps pour nous remettre à flot. ”
Eviter les faillites dans l’horeca
Le groupe Delsart est lui-même propriétaire d’une vingtaine de cafés. Il doit soutenir les exploitants. ” Nous allons les aider par rapport au loyer qui va tomber “, assure notre interlocuteur. Il faut éviter à tout prix la faillite des établissements horeca. Plusieurs brasseurs, propriétaires ou locataires de cafés, ont ainsi annoncé que leurs exploitants ne devront pas s’acquitter de leur loyer pendant un mois. C’est le cas du groupe brassicole Palm, qui loue environ 110 établissements horeca via un intermédiaire propriétaire du parc. La brasserie Haacht a également fait savoir aux exploitants de ses cafés qu’elle ne réclamerait pas de loyer ou de redevance de concession pour la période allant du 14 mars au 5 avril.
Du côté d’Alken-Maes, enfin, on s’est montré plus créatif. Le géant de la bière a lancé une campagne en ligne invitant les consommateurs confinés à pré-commander leurs bières dans les cafés du groupe. ” L’argent est directement transféré aux exploitants et les clients peuvent venir retirer leurs boissons une fois la période de confinement terminée, explique Sebastiaan De Meester, corporate affairs manager au sein du l’entreprise. Une manière de s’assurer que ses exploitants continuent à payer leur loyer, et de favoriser la relance de l’activité dès la réouverture des établissements.
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