Coronavirus: des entrepreneurs et managers belges témoignent depuis Singapour
La stratégie mise en place par Singapour pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 impressionne jusque l’Organisation mondiale de la santé. Certes, la ville-Etat est une presqu’île dirigée d’une main de fer. Mais les économies occidentales pourraient tirer quelques enseignements de la manière dont elle tente d’étouffer la propagation du virus, estiment les expatriés que nous avons interrogés.
Pour la plupart des Belges, Singapour est un Etat policier où les délits liés à la drogue sont passibles de la peine de mort et où l’on risque plusieurs milliers d’euros d’amende quand on jette un chewing-gum ou un mégot de cigarette dans la rue. Pour les entreprises, la presqu’île est également un hub international d’où il est aisé de se projeter vers des pays comme la Chine, la Thaïlande, l’Indonésie et les Philippines. Trends-Tendances s’est entretenu avec un gestionnaire de patrimoine, un médecin, le CEO d’une entreprise industrielle belge pour l’Asie, un avocat, deux entrepreneurs et un attaché commercial actifs à Singapour. Comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS), tous sont impressionnés par la manière dont Singapour lutte contre le coronavirus.
Plus de deux mois après que la première contamination a été constatée dans le pays, Singapour ne compte que quelques centaines de contaminations. Et jusqu’au samedi 21 mars, le virus n’y avait fait aucune victime (on en recense quelques-unes aujourd’hui). Environ la moitié des personnes contaminées sont guéries. Pourtant, le pays reste en état d’alerte maximal. ” Les Singapouriens sont toujours dans l’anticipation “, explique Gino Delaere, qui représente le gestionnaire de patrimoine Econopolis à Singapour depuis 2013. Jeudi, il a reçu du gel pour les mains dans sa boîte aux lettres. ” Gratuit, 500 ml par ménage “, pouvait-on lire sur le colis.
Une semaine après la première contamination, les autorités ont envoyé aux entreprises un guide de 30 pages de conseils et directives destinés à garantir la continuité des activités. Singapour conseille, par exemple, de travailler en split teams. ” Cela signifie qu’il faut scinder les équipes et en faire travailler les membres à différents endroits, afin qu’il y ait toujours un backup “, explique Gino Delaere.
Un traçage rigoureux
” En janvier, dès qu’elles ont pris la mesure de la gravité de la situation, les autorités ont multiplié les tests. Elles ont ensuite cartographié les contacts et déplacements récents de chaque cas de Covid-19. Toutes ces personnes ont été placées en quarantaine à leur domicile “, explique Ralph Moreau, attaché technologique de Flanders Investment & Trade à Singapour.
Les autorités locales ne se reposent pas sur leurs lauriers. Le pays subit une nouvelle vague de contaminations depuis la fin mars ? Elles ont lancé immédiatement une nouvelle application, baptisée TraceTogether. L’objectif est que le plus grand nombre possible de résidents s’y enregistrent volontairement et indiquent immédiatement quand ils pensent être contaminés. Les autorités ont promis de ne pas enregistrer les données de localisation, les utilisant uniquement pour dépister les possibles contaminations par contact. ” L’application identifie toutes les personnes qui se sont trouvées à moins de deux mètres d’un malade pendant plus de 30 minutes “, explique Ralph Moreau.
En Belgique, on ne peut ni ne veut copier certains éléments de l’approche adoptée à Singapour. ” Ici, les caméras sont partout, c’est impensable en Belgique “, embraye Els Van Poucke, avocate chez Luther Rechtsanwaltsgesellschaft. Pourtant, nous pourrions tirer de nombreux enseignements de ce qui est fait à Singapour, à la fois pour cette pandémie et pour les futures épidémies.
Poser devant ses meubles
Pour l’instant, Singapour n’accueille plus de touristes. Les ressortissants singapouriens et les permanent residents de retour de l’étranger doivent observer deux semaines de quarantaine à leur domicile. ” Et à Singapour, cela signifie que l’on reste vraiment chez soi “, sourit Els Van Poucke.
Ralph Moreau explique comment se passent les contrôles. ” Une équipe de la santé publique et de la police se rend à votre domicile et prend des photos de meubles et d’objets d’art. Les mêmes personnes vont ensuite vous adresser plusieurs appels vidéo par jour et vous demander de poser devant ces mêmes objets. ”
” Ceux qui ne respectent pas la quarantaine sont passibles d’une amende de 10.000 dollars singapouriens (quelque 7.000 euros) et/ou d’une peine de prison pouvant atteindre six mois. Les étrangers peuvent perdre leur permis de séjour. Les employeurs négligents risquent des amendes ou une interdiction de recrutement “, poursuit Ralph Moreau.
Ce gouvernement autoritaire n’est pas tout. ” La culture asiatique est différente de l’européenne. A Singapour et dans toute l’Asie, on place plus souvent l’intérêt général au-dessus de l’intérêt particulier qu’en Belgique “, estime Els Van Poucke. ” Et quand des dirigeants politiques ou des chefs d’entreprises prennent des décisions, les gens obéissent “, enchérit Tom Pennings, un autre Belge qui, avec la plateforme logicielle Onsophic, aide les grandes entreprises à accélérer le changement. ” A Singapour, les soirs où les cafés et restaurants doivent fermer leurs portes, on n’organise pas de petites fêtes… ”
Une communication claire
Les autorités singapouriennes maîtrisent parfaitement tous les moyens de communication modernes comme WhatsApp et Instagram et mènent une communication claire et transparente. ” Je me suis inscrit aux messages WhatsApp des autorités et je reçois chaque jour des notifications sur le nom-bre de nouvelles contaminations locales et importées, les nouvelles mesures prises, etc. “, explique Gino Delaere.
Ces moyens de communication sont également utilisés en période normale. ” Quand on voit qu’il y a un problème dans le métro, on prend une photo et on l’envoie par WhatsApp au numéro que l’on trouve partout sur les rames. Tous les habitants de Singapour deviennent ainsi des ‘agents de police’ “, poursuit Tom Pennings, actuellement ” bloqué ” en Europe après être rentré chez lui pour les fêtes.
Singapour était sans doute mieux préparé que l’Europe après avoir subi de plein fouet le Sras et la grippe mexicaine H1N1. ” Mais l’expérience n’est pas le principal facteur, estime Tom Pennings. Ici, le processus décisionnel est très différent de celui habituellement en cours en Belgique. A Singapour, on tranche immédiatement. Il y a moins de lobbying. Bien sûr, le pays est moins peuplé et c’est une presqu’île. Cela aide. ” De plus, tous les pays n’ont pas la force de frappe et la puissance financière de la ville-Etat.
Désinfection toutes les heures
” Nous disposons d’une équipe de cinq personnes à Singapour et quatre des cinq ont continué à se rendre au bureau jusqu’à la semaine dernière, explique Pieter Jan de Kroon, managing partner de MediaDonuts, société qui aide les marques à se développer en ligne. A l’entrée de l’immeuble, une machine enregistre notre température corporelle. Ces installations ont été placées en une semaine dans tous les grands bâtiments. Fin mars, les autorités ont insisté sur l’importance du travail à domicile, mais ce n’est toujours pas une obligation. Aujourd’hui, nous travaillons tous à domicile et nous avons transformé nos réunions en vidéoconférences. ”
Au cabinet d’avocats où travaille Els Van Poucke, les téléphones, poignées de portes et surfaces sont nettoyés et désinfectés toutes les heures. Pour Gino Delaere, les visites d’entreprises et les voyages internationaux ne sont plus possibles, ” mais les entreprises mettent tout en oeuvre pour maintenir ouvertes les lignes de communication avec les investisseurs “, notamment via de nombreuses vidéoconférences.
Jusqu’à présent, les écoles sont toujours ouvertes. ” La température corporelle des enfants est scannée à la porte. Et personne n’envoie d’enfant malade à l’école. Tout enfant malade est immédiatement isolé de la classe et la direction avertit les parents “, explique un couple belge qui veut rester anonyme. La femme est médecin. Spécialisée en médecine tropicale, elle a été tellement impressionnée par l’approche adoptée par Singapour qu’elle a convaincu ses parents de la rejoindre et de loger avec sa famille.
Les taxis et les transports en commun continuent également à fonctionner. ” Les taxis sont totalement aérés entre chaque course, explique Gino Delaere. Les chauffeurs désinfectent souvent les poignées. Parce qu’ils savent qu’ils pourront ainsi rester en activité. Les trains et les bus sont également nettoyés et décontaminés plus souvent. ”
Crise économique
Pieter Jan de Kroon parle de son activité : ” Pour le trimestre en cours, cela devait aller, mais de très nombreuses entreprises locales dépendent de ce qui se passe en dehors de Singapour. Presque tous les annonceurs ont annulé leur budget. En soi, c’est pourtant un bon moment pour faire de la publicité en ligne, car l’utilisation d’Internet a énormément augmenté et les entreprises qui ont encore de l’argent pour acheter des espaces publicitaires peuvent se distinguer “.
Ralph Moreau confirme : ” Pour un nombre très limité d’entreprises et de secteurs, c’est une opportunité. Mais cette crise est assez dramatique et très sensible pour la majorité des industries. Nous voyons les effets qu’a provoquée la fermeture de certaines régions en Chine sur l’économie régionale et globale. En tant que hub régional, Singapour est en quelque sorte un baromètre de l’économie chinoise “.
Le gouvernement a annoncé d’énormes stimuli économiques pour amortir le choc. ” Singapour dispose de gigantesques réserves et devrait résister à la tempête, mais il y aura de la casse, estime Ralph Moreau. La grande question est : combien de temps la reprise économique se fera-t-elle attendre ? Et combien de nouvelles vagues contaminations devrons-nous encore subir avant de retrouver une ‘nouvelle normalité’ ? ”
Gino Delaere veut toutefois terminer sur une note positive. ” Bien que les dominos de l’économie soient en train de tomber dans le monde entier, on commence à avoir une idée de ce à quoi ressemblera l’ère post-coronavirus. Nous apprenons à adopter rapidement de nouvelles technologies, comme la vidéo- conférence, l’e-commerce, l’e-learning et l’ e-gaming. Certaines entreprises pourront en profiter. ”
– Mesure de la température des enfants et des adultes plusieurs fois par jour
– Aux endroits très fréquentés : désinfection régulière des surfaces et aérations des pièces
– Isolement immédiat des malades
– Multiplication des tests
– Identification de l’origine de chaque contamination constatée
– Communication transparente sur la nature et le lieu de contamination
– Deux semaines de quarantaine à domicile pour tous ceux qui viennent de l’étranger
– Livraison à domicile de tout ce dont les gens ont besoin, y compris le gel désinfectant.
– Sanctions pour ceux qui n e respectent pas les mesures de précaution
– Aucun relâchement de l’attention, volonté de garder en permanence une longueur d’avance sur le virus
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