Coolblue à l’épreuve du marché belge francophone
L’e-commerçant spécialisé dans l’électronique et l’électroménager vient d’annoncer des résultats globaux en forte hausse. Mais alors que Coolblue traduisait l’année dernière son site en français, se lançant ainsi à la conquête de la Wallonie et de Bruxelles, le groupe aurait du mal à percer au sud du pays. Déficit de notoriété, traductions boiteuses, retards de livraison, etc. Ses responsables auraient-ils mal anticipé certaines difficultés ?
“Nous sommes une entreprise très ambitieuse. Etant donné que sommes déjà actifs en Flandre et que nous avons depuis l’année dernière un magasin à Zaventem dans lequel nous accueillons pas mal de clients francophones, il était logique pour nous de traduire notre site en français. ” Dans l’entretien qu’il nous accordait en juillet dernier, le CEO de Coolblue Belgique, Matthias De Clerq, affichait clairement sa volonté de conquérir Bruxelles et la Wallonie. L’entreprise s’est employée depuis lors à traduire progressivement l’ensemble de son webshop. C’est chose (presque) faite aujourd’hui. Mais la traversée de la frontière linguistique se révélerait plus difficile que prévu. Voici pourquoi.
Le site souffre d’abord d’un manque criant de notoriété au sud du pays.
Le site souffre d’abord d’un manque criant de notoriété au sud du pays. ” Quand on entre sur un marché assez tard comme l’a fait Coolblue, cela devient plus compliqué de se lancer, assure Gino Van Ossel, professeur de retail marketing à la Vlerick Business School. Il faut prévoir un budget marketing très important. ” Or le groupe n’investit pas encore dans de la pub télé et radio, comme c’est le cas en Flandre. C’est que Coolblue n’est pas encore prêt. L’entreprise n’a même pas encore terminé de traduire son site. N’aurait-il pas mieux fallu mettre en ligne en une fois un site entièrement traduit et communiquer massivement ? ” Cela ne nous aurait pas permis de tester le site progressivement et de recueillir le feed-back de nos clients, explique Matthias De Clerq. Notre objectif premier n’était pas d’atteindre directement une forte notoriété. Le but était de créer un site parfait. C’est ce que nous avons tenté de faire depuis l’été dernier, et 2018 sera l’année durant laquelle nous allons communiquer. ”
Les francophones plus sensibles aux promos
Autre difficulté rencontrée par Coolblue : l’adaptation à la culture francophone. L’entreprise se veut très proche de ses clients, et tout son marketing tourne autour d’une familiarité et d’un humour très particuliers qui font mouche aux Pays-Bas et en Flandre. Non seulement les cartons d’emballage comportent des blagues, mais sur les réseaux sociaux et dans sa communication en général, Coolblue essaie toujours d’avoir de la répartie. Problème : ce type de communication aurait tendance à faire un flop au sud du pays. ” Il est clair que transposer leur humour tel quel ne va pas de soi, souligne Gino Van Ossel. Il vont devoir s’adapter. La culture française est plus formelle. On ne va par exemple pas se tutoyer dans une relation commerciale. Maintenant, je crois tout de même que l’humour peut fonctionner dans ce contexte. Regardez les chaînes britannique Lush ou danoise Flying Tiger. ”
Outre l’humour qu’il va falloir adapter, Coolblue va devoir intégrer le rapport des francophones aux promotions. ” La partie francophone est beaucoup plus sensible aux fortes promotions, assure notre expert. C’est un fameux défi pour Coolblue, qui ne joue pas vraiment dans cette cour. Eux cherchent plutôt la balance entre le conseil, le service et l’humour. Je pense qu’il y a un marché pour ce positionnement, mais plus petit qu’en Flandre. ”
Wablieft ?
Pour percer sur le marché francophone belge, l’e-commerçant devra en outre sa communication écrite francophone. Il suffit de visiter la page Facebook de l’enseigne pour s’en convaincre : un certain nombre de collaborateurs de Coolblue ne maîtrisent pas parfaitement la langue de Voltaire. Nous avons sélectionné ci-contre deux réponses fournies publiquement sur Facebook par des Coolbluers, comme ils s’appellent eux-mêmes. ” Il faudra absolument améliorer ce point “, reconnaît Gino Van Ossel.
Du côté de Coolblue, on trouve la critique un peu forte. ” Nous ne sommes pas de votre avis, lance Matthias De Clerq. Nous sommes déjà fiers de ce que nous faisons. Aujourd’hui, ce sont des personnes bilingues ou francophones qui répondent aux clients francophones. Maintenant, être parfait bilingue tant à l’écrit qu’à l’oral reste très difficile. ” L’entreprise explique toutefois être en train d’engager de nombreux collègues francophones. Fin de l’année dernière, Coolblue Belgique comptait un peu plus de 300 collaborateurs. Deux cents de plus devraient intégrer la société rien que cette année (sur 3.500 au niveau du groupe). ” Ce n’est pas pour rien si nous avons déménagé notre siège belge de Wilrijk à Berchem, près de la gare “, relève le CEO.
Une phase d’entre-deux
Enfin, Coolblue, pour conquérir le marché francophone, devra s’assurer que toutes ses commandes arrivent en temps et en heure. C’est loin d’être toujours le cas aujourd’hui. Pour le moment, le gros électro est livré par l’entreprise elle-même depuis deux petits entrepôts situés à Gand et Anvers, eux-mêmes ravitaillés à partir de Tilburg. ” A l’avenir, nous aurons besoin d’un entrepôt en Wallonie, assure Matthias De Clerq. Pour le moment, nos activités au sud du pays ne le justifient pas, mais cela viendra à un moment donné. ” ” Une livraison qui partirait d’un entrepôt à Liège, par exemple, permettrait que le dialogue entre le transporteur et le client se fasse en français, souligne Gino Van Ossel. Il sera par ailleurs plus facile de trouver du personnel francophone pour y travailler, et les distances jusqu’aux clients étant plus courtes, les délais seront davantage respectés. ”
On le sent : Coolblue est aujourd’hui dans une phase d’entre-deux en Belgique francophone. Si l’entreprise n’investit pas suffisamment au sud du pays (ouverture d’un entrepôt, de magasins, etc.), elle ne pourra jamais apporter le service qu’elle entend à ses clients. Mais si elle se met à investir tous azimuts, elle n’est pas certaine de pouvoir rentabiliser ses investissements sur un si petit territoire. 2018, assurent ses responsables, devrait être l’année du coup d’accélérateur. Wait and see…
Créé en 1999 par trois étudiants de l’Université de Rotterdam, Coolblue est aujourd’hui un acteur non négligeable de l’e-commerce, actif aux Pays-Bas et en Belgique. L’entreprise batave est toujours détenue par ses trois fondateurs (son CEO Pieter Zwart, Paul de Jong et Bart Kuijpers), mais elle a vu en 2016 le fonds d’investissement néerlandais HAL (Pearle, GrandOptical) entrer dans son capital. Il détient à ce jour 30 %.
Le groupe dévoilait la semaine dernière ses résultats pour 2017. Coolblue a ainsi réalisé l’an passé un chiffre d’affaires de 1,2 milliard d’euros (Pays-Bas et Belgique regroupés), soit une hausse de 38 % par rapport à 2016 (857 millions d’euros). Son résultat net est de 9,1 millions d’euros, pour 8,9 millions en 2016. L’entreprise affiche par ailleurs un Ebitda de 21 millions d’euros (19,3 millions en 2016). Pour la Belgique, Coolblue ne donne encore aucun chiffre concernant son dernier exercice. Lorsqu’on se plonge ses comptes, on voit que le groupe a réalisé chez nous un chiffre d’affaires de 244 millions d’euros en 2016 (180 millions en 2015). Son bénéfice net en Belgique était quant à lui de 756.985 euros en 2016, en baisse par rapport à 2015 (861.212 euros).
Coolblue dispose de trois magasins ” en dur ” dans notre pays (Zaventem, Anvers et Lochristi) et son nouveau siège social belge se trouve à Berchem, en province d’Anvers. Tous les articles sont préparés dans un méga entrepôt de 88.000 m2 situé à Tilburg, aux Pays-Bas. Ils sont livrés par Dynalogic, une filiale de bpost. Cette situation lui permet de bénéficier du contexte néerlandais plus souple, notamment en matière de coûts salariaux et de travail de nuit.
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