Composil ne veut plus jeter les revêtements de sol usagés

© Jean Minne a racheté Composil en 2013.
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

L’économie circulaire concerne aussi la moquette dans les bureaux. C’est l’avis de Composil, une entreprise spécialisée dans la maintenance de ces revêtements de sol, qui développe une offre de seconde main. Et recherche des “gisements” de tapis à rénover, en Belgique ou ailleurs.

“Nous souhaitons devenir le leader européen de la moquette de réemploi dans les sept ans”, avance Jean Minne, 38 ans, CEO de l’entreprise, ingénieur de gestion de la Faculté Solvay, qui a débuté sa carrière chez Decathlon, dont il a ouvert le magasin de Wavre. Depuis plus de 10 ans, il dirige Composil, toujours à Wavre, et cherche à adapter l’entreprise aux enjeux de la durabilité.

L’idée est née pendant le confinement induit par le Covid-19. “Nous n’avions quasiment plus d’activité, 99% de nos clients étaient fermés. Nous nous sommes dit que c’était l’occasion de réfléchir au futur de l’entreprise, d’examiner comment nous pourrions devenir une société à impact. C’est là qu’est née l’idée de développer une activité de revente de dalles de moquettes de seconde main, rénovées”, raconte Jean Minne.

Du Cercle Solvay au recyclage

“J’ai été le premier Solvayman recruté par Decathlon en Belgique”, se souvient Jean Minne, qui a revêtu la chasuble bleue pour démarrer sa carrière, après des études d’ingénieur de gestion à la Faculté Solvay. Il s’est intéressé à Decathlon car il aime le sport. Il préside du reste le Royal Union Lasne-Ohain (football). “Decathlon, c’est une grande école de management. Je continue à appliquer ce que j’y ai appris pour le management des personnes”, dit-il. Il y a débuté à la base, sans voiture ni GSM de société, et progressé rapidement, chargé d’ouvrir le Decathlon de Wavre.
Il garde un lien affectif fort avec son alma mater, qui vient de fêter ses 120 ans. Son père Pascal Minne y enseignait la fiscalité, il a aussi été président du Cercle Solvay. Il a connu, sur les bancs de l’université, Thomas Dermine, qui a quitté l’entreprise pour la politique et qu’il revoit de temps à autre.
Il entre chez Composil en 2012 et a racheté l’entreprise en 2013, qu’il a gérée un certain temps avec son frère François Minne. Il s’est depuis lors passionné pour la moquette. “Je suis prêt à parler moquette à tous les dîners”, rigole-t-il.
Mais il a bien d’autres sujets de conversation, sur les managers en difficulté notamment ; il est aussi mentor chez Revival Belgium pour aider les managers d’entreprise en faillite ou en difficulté “pour les aider à rebondir”.

Le recyclage plutôt que l’incinérateur

Dans le hall d’entrée de l’entreprise, un rayonnage propose une série d’échantillons des dalles de réemploi en stock paraissant aussi pimpants que des produits neufs. Les entreprises clientes apprécient ces matériaux car ces tapis contribuent à améliorer leur bilan carbone, alors que certains pays imposent une part de réemploi dans le bâtiment. Ils permettent de limiter le gaspillage car les tapis sont souvent remplacés quand une entreprise déménage, les revêtements de l’ancien locataire sont jetés, même en bon état. “Habituellement, ils partent à l’incinérateur”, regrette Jean Minne.

Le CEO estime que cette activité devrait donner une nouvelle croissance à l’entreprise, qui occupe 70 personnes et réalise un chiffre d’affaires consolidé de 6,5 millions d’euros. Il annonce 250.000 m² de dalles de moquettes réemployées ou recyclées, en Belgique et hors des frontières, “en un an et demi de temps”.

La moquette a perdu du terrain chez les particuliers qui lui préfèrent la pierre, le parquet ou le stratifié. Par contre, “elle reste très présente en entreprises et dans les hôtels, avance Jean Minne. Notamment pour des raisons d’acoustique. Les passages sur un sol dur comme du parquet peuvent être très bruyants. C’est par ailleurs meilleur pour la qualité de l’air. Cela semble contre-intuitif, mais les fibres d’un tapis bien entretenu vont garder la poussière, les microparticules ; pas un parquet, où elles volent dans l’atmosphère. Cette conclusion résulte d’études réalisées avec des fabricants de moquettes”.

Un marché belge de plus de 14 millions de m2

Jean Minne estime le marché belge entre 14 et 15 millions de m², “nous en touchons 2,5 millions en nettoyage, et 200.000 en tapis réutilisés avec notre programme de valorisation ReUse-Recycle”.

Composil, entreprise créée en 1992 par Tanguy Massange, active dans le traitement de moquettes de bureaux, propose un véritable programme de maintenance, fort différent du nettoyage traditionnel, qui prolonge la durée de vie des revêtements “jusqu’à 15-20 ans”, assure Jean Minne, contre les 6 à 7 ans de durée de vie habituels. “Par exemple, les tours Proximus à Bruxelles (en rénovation actuellement, ndlr) ont pu conserver leurs tapis 23 ans, indique le CEO. Nous nous en étions occupés depuis 2000.”

Le traitement proposé par Composil a été conçu en collaboration avec les fabricants de tapis. Ceux-ci conseillent de traiter les tapis en respectant la fibre. “Le processus habituel de nettoyage des tapis tend à les abîmer, car il consiste à utiliser beaucoup d’eau et de savon, notamment par injection et extraction, procédé qui, mécaniquement, tend à endommager la fibre”, explique Jean Minne. Composil propose un procédé utilisant peu d’eau, aucune brosse rotative, “et un produit à base d’enzymes naturels”. Les clients sont des entreprises, des services publics et des hôtels.

Des dalles rénovées ou recylées

Après la reprise de Composil, Jean Minne s’est lancé dans le leasing de moquette. Mais c’est la vente de tapis de seconde main qui semble apporter le meilleur potentiel pour l’entreprise. L’idée est venue de France (Composil est aussi active en Île-de-France), où des obligations de réemploi de matériaux dans le secteur de la construction commençaient à émerger.

“Nous avons mis au point une solution circulaire, dit-il. Lorsque la moquette est enlevée, nous analysons chaque dalle, identifions celles qui sont réemployables, que nous allons traiter. Celles trop usées ou abîmées partent au recyclage, dans une entreprise partenaire, Tarkett, à Dendermonde, un fabricant de revêtements de sol qui dispose d’une chaîne de recyclage, qui sépare les fibres du support. La fibre est renvoyée aux fabricants de fibres, qui les restaurent et les réutilisent. Quant au support, il est dépolymérisé et repolymérisé.”

Pour renforcer ses connaissances dans les activités durables, Jean Minne a suivi en 2022 une formation, intitulée Take the Lead in Sustainability, à la Vlerick Business School.

Parmi les grands chantiers de ce nouveau marché figure la tour North Light Tower, près de la gare du Nord à Bruxelles, où CIT Blaton a fait appel à Composil pour y revaloriser plus de 22.000 m² de moquette. “Sur toute la surface qui a été analysée, nous avons pu rénover la majorité. Le solde, soit 9.000 m², a été envoyé au recyclage. Les dalles ont été enlevées, triées, nettoyées, et celles qui étaient encore en bon état ont été reposées après traitement.” Cette évolution modifie l’activité de l’entreprise. De société de service d’entretien, elle devient revendeuse de moquette de seconde main. Elle propose ainsi deux types de services : enlever et recycler la moquette usagée, et vendre des dalles de réemploi.

Devenir un hub de l’économie circulaire

La société doit donc stocker, traiter et revendre. Pour enlever les dalles et les trier, Composil a recours à des entreprises de travail adapté. Pour stocker les dalles prêtes à être revendues, elle a déménagé à quelques centaines de mètres de son siège actuel, avenue Fleming, sur le zoning de Wavre. “Nous en ferons un hub d’économie circulaire, le bâtiment est déconstruit pour en identifier les éléments réemployables, les autres partant au recyclage. Pour l’aménagement, nous allons utiliser autant que faire se peut des éléments de réemploi ou du neuf basé sur du recyclé. Les partenaires qui interviendront seront mis en avant, ce sera aussi leur show-room.”

Ensuite, Composil doit rechercher des “gisements” de moquettes qui pourraient nourrir son stock de dalles de seconde main, et élargir son offre, trouver des clients. C’est une affaire internationale. “Nous accédons à des gisements en Suède, et un acteur allemand du réemploi nous a contactés pour que nous valorisions les dalles de moquettes qu’il démonte sur des chantiers de déconstruction. Cela va plus vite qu’on le pensait.” Jean Minne travaille sur une internationalisation de l’ensemble de l’activité. “C’est une voie pour aller plus vite. Pour le financement, et aussi parce que les entrepreneurs locaux connaissent bien leurs marchés et leurs habitudes, ils préfèrent être à leur compte. On y travaille depuis un an et demi avec Yves Delhaye, qui a été président de la fédération de la franchise belge.”

La voie de la franchise

Composil s’était un peu internationalisée avec des implantations en Île-de-France et au Grand-Duché de Luxembourg. Jean Minne espère franchiser le reste de la France d’ici fin 2025, “et sur les cinq ans à venir, on espère ouvrir dans sept autres pays, a priori en Europe”. Les contacts les plus avancés portent sur la Suisse et les pays nordiques. “C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons participé à une mission économique en Norvège en juin dernier.”

Composil espère franchiser le reste de la France d’ici fin 2025 et ouvrir dans sept autres pays dans les cinq ans à venir.

Que fera le franchisé ? “Notre activité historique, à savoir le nettoyage et l’entretien. Il aura accès à notre méthodologie, avec la formation adéquate. Pour le reste, il aura la possibilité de vendre des dalles de réemploi.” Composil se chargera de gérer la recherche de gisements de moquettes à réutiliser, et gérera les stocks des dalles de réemploi. “Parce que cette partie est cash consuming. Le franchisé ne paiera que ce qu’il vend.” Ces stocks seront répartis, une partie restera au siège à Wavre et une autre devrait être établie en France. L’objectif est travailler au maximum en local, “idéalement les gisements norvégiens devraient rester, après traitement, en Norvège, mais si un client roumain est intéressé par une moquette norvégienne de seconde main, nous la fournirons”.

Ce développement n’a pas encore exigé d’aller chercher des fonds. “Pour le moment, nous développons nos activités sur fonds propres, nous nous tournerons vers Wallonie Entreprendre et finance.brussels au cas où cela changerait.” Des fonds supplémentaires seront peut-être nécessaires “pour développer les RH à l’international, ou faire l’une ou l’autre acquisition dans l’activité pour enlever et recycler les moquettes”.

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