Commerce équitable: un marché pas si “happy”
La semaine du commerce équitable a démarré ce 6 octobre. L’occasion de nous intéresser à l’un des produits pionniers du “fairtrade”: le miel. A quels enjeux économiques les acteurs apicoles sont-ils confrontés? Y a-t-il des opportunités à saisir? Eléments de réponses avec des experts du secteur.
Active dans le commerce équitable depuis une quarantaine d’années, l’association liégeoise Miel Maya Honing fait partie des pionniers du secteur en Belgique. Benoît Olivier, administrateur, y a été acheteur pendant 10 ans. L’activité commerciale a été reprise il y a quatre ans par Oxfam Fair Trade, la structure de la galaxie Oxfam chargée des achats alimentaires pour la Belgique. Depuis lors, Miel Maya Honing se concentre sur les projets en faveur des apiculteurs du Sud et sur la sensibilisation du public belge au commerce équitable.
Un petit préambule s’impose: “Le commerce équitable est inspiré du slogan ‘trade not aid’. Il ne s’agit donc pas de commerce caritatif”, tient à rappeler Benoît Olivier. Derrière ce mouvement, on retrouve les notions d’équité et de justice. Et cela passe par la rémunération juste du producteur. Un thème très actuel qui concerne aussi les producteurs européens. La fixation des prix justes suit une méthodologie poussée, avec des critères aussi bien économiques qu’environnementaux et qualitatifs. “Celle-ci existe pour les produits du Sud. Pour les produits locaux par contre, il y a encore du chemin à faire”, poursuit-il. En principe, chaque prix devrait dépendre des réalités et conditions locales, mais ils sont harmonisés pour éviter la concurrence entre acteurs du commerce équitable.
Le miel est, après le lait et l’huile d’olive, la troisième denrée la plus prisée par les fraudeurs.
Engrenage des prix
La pression extrême sur les prix est le premier défi de la filière du miel. Etienne Bruneau, administrateur délégué de l’association wallonne Cari (*) et président du groupe de travail miel pour la Copa-Cogeca, syndicat agricole européen, décrit des situations à la limite du surréalisme. “L’Urkraine et la Chine se livrent une concurrence féroce pour inonder le marché européen de miel low cost, obligeant ainsi les producteurs de l’ancien bloc de l’Est, gros producteurs européens, à brader leurs stocks. Il n’est pas rare non plus de voir des pays exporter plus de miel qu’ils n’en ont les capacités.” Ces pays font venir du miel d’ailleurs, le mélangent éventuellement avec d’autres miels ou d’autres substances, mettent une nouvelle étiquette, et ça repart à l’exportation. C’est le commerce triangulaire. Très utile pour contourner certains embargos, barrières douanières ou tout simplement pour brouiller les pistes de la traçabilité.
Au bout de la chaîne se trouvent ceux qui tirent les ficelles: les acheteurs, c’est-à-dire les conditionneurs et la grande distribution. “Etant donné que les changements climatiques entraînent une baisse de la production, si un producteur ne peut pas livrer une année, les conditionneurs s’approvisionnent ailleurs et finissent par remplacer les miels plus chers”, souligne Etienne Bruneau. On assiste à un engrenage infernal et aberrant: même si l’offre diminue et pas la demande, les prix continuent de baisser.
Fraudes et adultérations
Autre enjeu: il faut savoir que le miel n’est pas produit partout dans les mêmes conditions. Lors de sa dernière grande enquête sur le miel publiée au début de cette année, Test-Achats a indiqué que cette substance est, après le lait et l’huile d’olive, la troisième denrée la plus prisée par les fraudeurs. Test-Achats a tiré la sonnette d’alarme: “Même nos experts ont du mal à s’y retrouver entre miel pur et vulgaire mélasse. Il est urgent que les autorités s’emparent de la problématique de la fraude aux sirops frelatés qui passent sous le radar des contrôles”. Le problème des analyses est qu’elles ont un coût. Et Etienne Bruneau compare la fraude du miel au dopage cycliste: dès qu’une méthode performante voit le jour, de nouveaux contournements se mettent en place.
Une des réponses est la traçabilité. Mais là aussi, les défenseurs de la filière apicole s’arrachent les cheveux. “La plupart des étiquettes de miels dans une grande surface indiquent uniquement une provenance à la fois d’Union européenne et hors UE”, décrit Benoît Olivier. La Commission européenne a tenté de baliser les choses avec sa directive Miel relative à l’étiquetage des miels. “Le souci est que le lobby des entreprises importatrices et des conditionneurs a obtenu une grande flexibilité au niveau de cet étiquetage”, ajoute-t-il.
L’avenir est dans la diversification
Xavier Rennotte a créé Nectar & Co il y a 11 ans. Cette entreprise wallonne de transformation apicole ne produit pas de miel mais l’achète auprès de producteurs belges et européens. Pour le CEO, l’enjeu principal de la filière est de se diversifier. Le potentiel de la ruche mérite d’être exploité, et c’est ce que fait Nectar & Co avec ses multiples produits à base de miel: confitures, moutardes… et le fameux hydromel. “Nous produisons un hydromel premium. Ce produit connaît une très forte croissance aux Etats-Unis et au Canada. Plus forte que le vin.” Pour se diversifier, certains apiculteurs se sont notamment spécialisés dans la production de miels monofloraux. “Je constate que cela a un effet bénéfique pour nos apiculteurs. Ils parviennent à mieux valoriser leur production car elle est plus typée.”
Le positionnement haut de gamme du miel est un gros enjeu de Nectar & Co. “Lorsque nous mettons une étiquette ‘miel de thym’, c’est vraiment du miel de thym! Nous répondons à une niche de consommateurs qui achètent du miel pour ses bienfaits et ses propriétés.” Pour s’assurer de la qualité de son miel, l’entrepreneur se rend régulièrement chez les producteurs pour tester, analyser, sélectionner… La PME consacre 2 à 3% de son chiffre d’affaires (920.000 euros en 2020) aux analyses. “Peu d’entreprises de miel consacrent autant de budget au contrôle mais pour nous, c’est extrêmement important afin de créer la confiance.”
Xavier Rennotte a été formaté à l’entrepreneuriat “made in Ichec”. “Mais j’ai fait tout le contraire de ce qu’on m’a appris. Une étude de marché aurait montré que la meilleure chose à faire était de vendre du miel liquide dans des pots en plastique. Nous, on vend du miel crémeux en pots. Il m’a fallu 10 ans pour former les consommateurs. Mais aujourd’hui, Nectar & Co est une entreprise rentable.”
En principe, le miel est un produit que l’être humain ne transforme pas. La philosophie de la Commission européenne est que le produit proposé aux consommateurs soit le plus proche possible de son état naturel. Mais cette vision n’est pas partagée partout dans le monde. Aux Etats-Unis, par exemple, le miel n’est qu’un produit sucrant parmi d’autres.
Au niveau de la Copa-Cogeca, Etienne Bruneau a suggéré de développer un label européen à l’instar du “True Honey” américain. “Imaginez où on en est! Bien sûr, l’Union européenne a dit non puisque la directive Miel définit déjà ce qu’est le miel véritable. Et ils ont raison. Mais le gros problème est que l’on ne contrôle pas l’application de cette directive.”
Pas “un” mais “des” miels
Au bout du compte, il est quasi impossible de savoir si le produit acheté en grande surface contient du miel européen, chinois ou argentin et dans quelles proportions. “Quand les miels arrivent en Europe, la plupart des conditionneurs les mélangent. Il y a une raison pragmatique à cela: en cas de rupture d’approvisionnement chez un producteur, le fait de mélanger et de ne pas être obligé d’indiquer l’origine résout le problème”, explique Benoît Olivier. Le consommateur a aussi sa part de responsabilité, en préférant un produit standard et invariable. Pour valoriser le miel de qualité, un travail d’éducation à l’authenticité et à la diversité est nécessaire. “Il y a plus de diversité de goûts et de saveurs dans les miels que dans les vins!”, affirme Etienne Bruneau. C’est d’ailleurs le défi qu’a voulu relever la PME Nectar & Co avec ses miels monofloraux haut de gamme.
C’est aussi un des défis du miel équitable. Celui-ci a l’avantage de jouir d’une chaîne relativement courte, basée sur la confiance entre les acheteurs et les producteurs, ce qui diminue les risques de fraudes. “Pour moi, le commerce équitable n’arrêtera pas l’engrenage dans lequel se trouve le commerce du miel, analyse cependant Etienne Bruneau. Mais il a le mérite de tirer la filière vers le haut. En fait, ce qu’il faudrait aujourd’hui, c’est du fairtrade pour tout le monde!”
Et le miel belge?
En Belgique, l’apiculture se pratique essentiellement comme hobby. Elle ne couvre que 20% de la demande belge en miel. Le reste est donc importé. “Une des particularités de l’apiculture wallonne et belge est que les apiculteurs vendent leur miel chacun dans son coin, décrit Benoît Olivier. Il n’existe pas de coopérative comme dans les pays du Sud. Les prix sont souvent sous-évalués et ne permettent pas aux apiculteurs d’être rentables. Pour se procurer du miel belge, il faut en général connaître un apiculteur. Vous en trouvez parfois en dépôt dans un petit magasin du coin, mais très peu en grande surface.”
L’association Pro Miel s’est donné pour mission de promouvoir le miel régional, notamment via la reconnaissance “Miel wallon” dans le cadre d’une indication géographique protégée (IGP) auprès de l’Union européenne. “Mais cette IGP a énormément de mal à démarrer, constate Etienne Bruneau. Le problème est que les producteurs wallons ne veulent pas que leur production soit identifiée de façon trop criante. Et du côté des consommateurs, sont-ils prêts à payer pour avoir un produit de qualité?”
Equitable vs miel local?
La demande de miel équitable reste plutôt stable. En Belgique, elle représente, selon les estimations de Miel Maya Honing, entre 1% et 2% de la consommation totale de miel. “Une hypothèse est que le consommateur européen veut donner une préférence aux miels européens, indique Benoît Olivier. Or, il y a de la place pour les deux puisque l’Europe n’est pas autosuffisante.” Pour en convaincre les consommateurs, Miel Maya Honing travaille à une campagne qui aborde aussi des arguments environnementaux. “Le miel du Sud arrive essentiellement par bateau. Dès lors, son empreinte écologique n’est pas nécessairement plus élevée qu’un miel espagnol ou roumain.”
Pour terminer, nous avons demandé à nos interlocuteurs si la filière apicole offre des opportunités à saisir pour un futur entrepreneur. “A condition qu’ils jouent le jeu, les apiculteurs belges auraient besoin d’une sorte d’interface qui mette en relation l’offre et la demande de miel, affirme Benoît Olivier. Sinon l’enjeu climatique est devenu une urgence. A un entrepreneur qui veut vraiment faire un geste pour l’environnement avec des produits qui y contribuent, je dirais de développer le miel ou les produits de la ruche. A condition de le faire sincèrement, sans greenwashing!”
Liliane Fanello
(*) Centre apicole de recherche et d’information créé par une équipe du laboratoire d’écologie de l’UCl.
40%
Proportion de miel importé par l’Europe pour sa consommation propre.
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