Comment remettre les Belges au travail: 10 recettes, sans tabou
En Belgique, le marché du travail continue de tourner à plein régime, et ce malgré la crise énergétique et les coûts salariaux. Même la récession ne mettra pas un terme à la création d’emplois. Pourtant, avec 71,6 %, le taux d’emploi belge est faible si on le compare aux pays voisins. L’offre et la demande ne sont toujours pas adaptées. Et ces tensions sur le marché du travail sont là pour rester… Sans tabou Trends propose dix pistes afin de permettre à ceux qui cherchent un emploi d’en trouver un.
L’économie belge a absorbé deux chocs majeurs cette année. Il y a la crise énergétique, qui incite les entreprises à être prudentes, et les coûts salariaux qui augmentent rapidement en raison de l’indexation automatique. La croissance du PIB réel a également été négative. Néanmoins, le marché du travail belge reste sain. Le taux d’emploi pour la Belgique est de 71,6 % (76,2 % en Flandre, 64,8% à Bruxelles et de 65% en Wallonie). Sur une base annuelle, cela représente une augmentation de 1,7 point de pourcentage dans chaque cas. Par rapport à la période avant la crise sanitaire 2019, il s’agit d’une augmentation de 1,3 points de pourcentage pour la Belgique. Le taux de croissance moyen dans l’Union européenne est légèrement supérieur : 1,5 point de pourcentage, passant de 72,7 à 74,2%. Rien à craindre, donc.
La question est de savoir ce qui se passera si le climat économique négatif persiste. Selon la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), les investissements des entreprises sont en baisse et la rentabilité des sociétés diminuera de 5 points de pourcentage l’année prochaine. Environ la moitié des salariés du secteur privé devront bénéficier d’une indexation de salaire de plus de 10 % d’ici à la fin du mois de janvier 2023. Le marché du travail ne va-t-il pas alors s’arrêter ? Il n’en est rien, selon la Banque nationale et le Bureau du Plan, même si ces deux organismes restent sur leurs gardes au cas où la récession frapperait plus fort que prévu. Ils prévoient une création nette de 67 000 à 85 000 nouveaux emplois cette année. Selon le Conseil supérieur de l’emploi, la création d’emplois ralentirait de 22 000 à 29 000 unités l’année prochaine. En 2024, elle augmentera à nouveau pour atteindre 40 000. Cela signifie également que le nombre de demandeurs d’emploi sans activité augmenterait en 2023, pour retomber en 2024 à une moyenne annuelle de 441 000 personnes. Le taux de chômage resterait donc historiquement bas à 5,7 %.
Ce qui devrait toutefois inquiéter, c’est que de nombreux postes vacants sont difficiles à pourvoir. “Il y a moins de deux demandeurs d’emploi pour chaque poste vacant. Le marché du travail reste très tendu”, peut-on lire dans le rapport d’octobre du Centre de soutien à l’emploi.
Et cela alors qu’il n’y a pas seulement 440 000 demandeurs d’emploi. La Belgique compte encore 1,7 million de personnes inactives âgées de 25 à 65 ans. Il s’agit de personnes qui pourraient travailler, mais qui, pour diverses raisons, ne sont ni sur le marché du travail ni à la recherche d’un emploi. Le fait qu’en même temps des dizaines de milliers de postes vacants ne trouvent pas acquéreur indique une inadéquation majeure sur le marché du travail. Il n’y a donc pas une seule et unique solution mais un vaste ensemble de réformes.
1. À bas les pièges à chômeurs
La semaine passée, à la demande du chef de son parti, Georges-Louis Bouchez, le vice-premier ministre David Clarinval (MR) bloquait sur la question de l’enveloppe sociale et surtout sur la répartition de celle-ci. Il s’agit d’un milliard d’euros qui sera utilisé pour augmenter les prestations (pensions, chômage, …), afin qu’elles soient non seulement indexées mais qu’elles aussi augmentent réellement. Cependant, le MR ne veut pas qu’une partie de cet argent soit utilisée pour augmenter les allocations de chômage. “Parce qu’une allocation de chômage qui augmente plus vite qu’un salaire est un piège à chômage”, déclare David Clarinval. L’écart financier entre les personnes qui travaillent et celles qui ne travaillent pas est de toute façon trop faible en Belgique. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est difficile de mettre les demandeurs d’emploi au travail.
Plusieurs pièges à chômeurs ont été éliminés ces dernières années. Cela s’est fait, par exemple, par le biais d’une prime de travail plus élevée, d’une réduction de la cotisation salariale qui permet à un travailleur qui touche un bas salaire de gagner plus. Mais c’est insuffisant. Les chiffres de la Commission européenne montrent que certains chômeurs, qui commencent à travailler, voient jusqu’à 91 % de leur rémunération brute disparaître immédiatement dans les caisses de l’État. Cela s’explique par une fiscalité élevée sur le travail et par la disparition des prestations sociales (pour la garde des enfants, pour les factures d’énergie élevées, etc.) dès qu’ils commencent à travailler. Une solution consisterait donc à réduire davantage les impôts sur le travail, de sorte que la différence entre une prestation et un salaire net augmente à nouveau.
2. Revenus et prestations devraient pouvoir être cumulées
En Belgique, il y a une séparation claire et nette, telle la muraille de Chine, entre les allocations de chômage et les revenus du travail. On perçoit soit l’un soit l’autre. Mais ce principe ouvre un piège à chômage, comme le montre l’exemple ci-dessus. Le problème se présente de manière plus aiguë chez les personnes peu qualifiées, ayant un faible revenu. En Belgique, moins de 50 % d’entre elles sont employées, contre 80 % des personnes hautement qualifiées.
L’accord de travail du gouvernement fédéral facilite la combinaison des prestations sociales et des revenus du travail. Les chômeurs qui sont au chômage depuis plus d’un an et qui choisissent un emploi dans un secteur en pénurie conserveront 25 % de leur allocation de chômage pendant trois mois. Ive Marx, expert du marché du travail à l’Université d’Anvers, préconise depuis longtemps le cumul partiel des prestations de chômage et des revenus du travail. Dans une étude réalisée en 2021, il s’exprime comme suit : “Une combinaison peut encourager certains bénéficiaires de prestations à accepter ou à reprendre progressivement une activité professionnelle, évitant ainsi les pièges du chômage et de l’inactivité. Il existe à cet effet des dispositifs tels que la garantie de revenu dans l’assurance chômage ou l’exemption d’intégration socioprofessionnelle dans le revenu d’intégration. En partie parce que ces dispositifs sont trop complexes, ils sont sous-utilisés. La simplification est essentielle.”
En outre, les prestations sociales devraient être “moins catégoriques mais plus liées au revenu”. Dès qu’un chômeur trouve un emploi, certaines prestations sociales ne devraient plus être immédiatement supprimées, mais réduites.
3. Limiter la durée des allocations de chômage, mais de manière intelligente
Notre pays est l’un des rares pays où les allocations de chômage sont d’une durée illimitée. Aborder ce sujet est un tabou politique, même si de plus en plus d’experts du travail pensent que la Belgique devrait aller dans cette direction, ne serait-ce que pour envoyer un signal aux demandeurs d’emploi.
Une solution provisoire peut apporter un certain réconfort, comme par exemple lier la durée des allocations de chômage à la situation du marché du travail et à l’évolution du chômage. En France, le président Emmanuel Macron a préparé un tel plan. Actuellement, chez nos voisins du Sud, un demandeur d’emploi a droit à des allocations de chômage pendant 24 mois. Après ça, ça s’arrête. Mais à partir de février 2023, les nouveaux chômeurs toucheront une allocation de chômage pendant 18 mois maximum. Si la situation du marché du travail se dégrade (un taux de chômage supérieur à 9%) alors que le chômeur arrive à la fin des 18 mois d’allocation, la durée de l’allocation sera à nouveau prolongée (de 25%). Toutefois, la mesure ne s’appliquerait qu’aux travailleurs âgés de moins de 53 ans.
4. Activation des Wallons et des Bruxellois
Les différences de taux d’emploi entre la Wallonie (65%), Bruxelles (64,8%) et la Flandre (76%) constituent un problème depuis des années. L’une des raisons est la différence qui est faite dans l’activation des demandeurs d’emploi. Depuis la réforme de l’État de 2011, les Régions sont chargées non seulement de conseiller les chômeurs, mais aussi de les sanctionner. Depuis la pandémie de Covid de 2020, le suivi des chômeurs dans leur recherche de travail, par les services du Forem et d’Actiris, est au plus bas. Les pénalités pour disponibilité passive (se présenter à un emploi sans faire de recherches intensives) ont diminué de 13,1 %. Les sanctions financières (réduction ou annulation des prestations) ont diminué de 9,3 %. Le nombre de chômeurs sanctionnés en Wallonie est passé de 19 252 à 5 181 entre 2019 et 2021. Et ce n’est pas parce que davantage de Wallons trouvent un emploi, puisque le taux d’emploi est resté quasiment stable sur la période.
5. Mettre le focus sur les inactifs
Stijn Baert, économiste du travail à l’UGent, compare souvent le marché du travail à un iceberg. Tout le monde se concentre sur la partie visible, c’est-à-dire sur les chômeurs à la recherche d’un emploi, tandis que la partie invisible de l’iceberg échappe à l’attention. Pourtant, elle concerne 1,7 million de Belges. Les personnes au foyer, les étudiants, les préretraités, mais surtout les invalides, qui sont environ un demi-million.
Le ministre des Affaires sociales, Frank Vandenbroucke (Vooruit), a récemment pris des mesures provisoires pour donner plus de pouvoir à ce dernier groupe et à leurs employeurs. Ainsi, les entreprises, dont un nombre relativement élevé de salariés en maladie longue durée, pourraient être pénalisées financièrement à partir de 2023. Les malades de longue durée pourraient perdre 2,5 % de leurs allocations s’ils refusent de coopérer à une reprise du travail après plusieurs sollicitations. Il s’agit de mesures provisoires, qui rappellent le Pacte de solidarité entre les générations de 2005, ce dernier était censé réduire le nombre de préretraités. Il s’agissait aussi principalement de sensibiliser le public. Le véritable durcissement des systèmes de retraite anticipée n’a eu lieu qu’après 2011. Les experts du travail établissent un parallèle avec la politique actuelle en matière de handicap : il faut faire davantage pour réduire (sensiblement) ce groupe. Là encore, ils envisagent d’assouplir le régime du cumul des revenus du travail et des allocations.
6. Permettre davantage d’emplois même faiblement rémunérés
Le gouvernement De Croo veut porter le taux d’emploi à 80 % d’ici 2030. Cela signifie ajouter 600 000 emplois, ce qui est totalement irréaliste selon les économistes. Mais l’objectif reste pertinent dans le débat sur le marché du travail. Il vous permet de vérifier quels groupes sont les plus éloignés des 80 %.
Parmi les personnes hautement qualifiées, il n’y a pas de problème. Par contre les personnes peu qualifiées ont encore un long chemin à parcourir, avec un taux d’emploi inférieur à 50 %. Ils doivent chercher des emplois peu rémunérés, mais il n’y en a guère en Belgique. Selon l’OCDE, quelque 4 % des travailleurs belges seulement occupent des emplois mal rémunérés. Aux Pays-Bas, ils sont près de 15% et en Allemagne de 18%. Selon Ive Marx, cela s’explique en partie par nos conventions collectives sectorielles. Les salaires les plus bas, qui y sont stipulés, sont souvent encore bien supérieurs au salaire minimum national (environ de 19 % en moyenne). Seuls 3 % des travailleurs gagnent entre 100 et 105 % du salaire minimum. A cause de cela, la Belgique ne dispose pas d’un segment du marché du travail, présent dans les pays voisins. Nous avons également un nombre exceptionnellement faible de travailleurs peu qualifiés. De plus concernant le taux d’emploi de personnes provenant de l’extérieur de l’Union européenne, nous avons pratiquement le plus grand déficit d’emploi en Europe. C’est un problème, car les personnes occupant des emplois mal rémunérés passent plus facilement à des emplois mieux rémunérés.
“Les Pays-Bas ont un taux d’emploi nettement plus élevé parmi les personnes peu qualifiées. Il y a beaucoup plus d’emplois faiblement rémunérés et leur part a également augmenté de manière significative. Cela s’explique par le fait qu’aux Pays-Bas, les salaires les plus bas se sont considérablement rapprochés du salaire minimum légal”, indique Marx dans une étude. Il préconise donc une plus grande flexibilité dans les négociations salariales pour ce types d’emploi, associée à une plus grande flexibilité des horaires et de l’organisation du travail. Cela devrait permettre à ces travailleurs moins qualifiés d’avoir un meilleur accès au marché du travail. En même temps, il plaide pour une aide au revenu supplémentaire pour ceux qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. “Une meilleure combinaison des revenus du travail et des revenus de remplacement, voilà la clé”, conclut M. Marx.
7. Migration en fonction du travail
Seuls 43 % des citoyens non européens en Belgique ont un emploi. C’est peu, très peu. La raison pour laquelle les immigrants sont désavantagés dans la recherche d’un emploi dépend, semble-t-il, du motif de l’immigration. Au cours de la dernière décennie, 33 % des nouveaux arrivants sont venus dans l’Union européenne pour trouver un emploi. 32 % étaient destinés au regroupement familial. 14 % étaient des étudiants, 8 % des réfugiés.
Les chiffres belges sont sensiblement différents. Sur la période 2010-2020, la recherche d’un emploi n’a été un motif que pour 9 % des nouveaux arrivants. 51 % sont venus en Belgique dans le cadre d’un regroupement familial. 14 % étaient des réfugiés. Dans le cas du regroupement familial, l’intégration sur le marché du travail peut être plus plus difficile, en raison des différences linguistiques et culturelles.
Les projets visant spécifiquement la migration de personne qualifiées afin de répondre aux besoins des entreprises européennes ont fait leurs preuves. Comme le projet européen MATCH (Migration of African Talents through Capacity building and Hiring-project) auquel participent la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Italie, le Nigeria et le Sénégal. Il a débuté en 2020 avec pour objectif de fournir un emploi à 210 professionnels hautement qualifiés en informatique originaires du Sénégal et du Nigeria. Plusieurs d’entre eux ont depuis été recrutés par une entreprise belge.
8. S’attaquer à la rémunération des années d’ancienneté
C’était dans l’accord de coalition fédéral de 2014 et encore de 2020 : le gouvernement chercherait des alternatives à la rémunération basée sur l’ancienneté, qui domine en Belgique. Mais cela n’a pas encore donné beaucoup de résultats. La norme est toujours la même : plus vous travaillez longtemps dans une entreprise, plus vous gagnez. Cela rend souvent les travailleurs plus âgés beaucoup plus chers, mais cela leur rend aussi plus difficile de trouver un nouvel emploi. Dans d’autres pays européens tels que le Danemark, les Pays-Bas, la Suède, la Finlande et l’Allemagne, la progression salariale est beaucoup plus graduelle et stagne même à partir d’un certain niveau d’ancienneté. Dans ces pays, le taux d’emploi est également plus élevé qu’en Belgique. Ici, seulement 54 % des plus de 55 ans travaillent, alors qu’en Allemagne, par exemple, ils sont 71 %.
Il est possible de remédier à cette situation en faisant dépendre davantage la rémunération des compétences et de la productivité. Un système mixte est également possible, combinant l’ancienneté et la rémunération en fonction des résultats.
9. Lier l’âge de la retraite à l’espérance de vie
L’âge moyen réel de la retraite en Belgique est de 63 ans et presque 4 mois. En moyenne, les cols bleus partent à la retraite à 62 ans et 8 mois, les cols blancs à 63 ans et 9 mois. C’est bien en dessous de l’âge légal de la retraite, qui est de 65 ans. Et ce, malgré des règles plus strictes en matière de retraite anticipée et de chômage avec un complément de l’entreprise.
C’est pourquoi des institutions telles que l’OCDE, la Commission européenne et le FMI demandent depuis des années à la Belgique d’introduire une pénalité sur les pensions, c’est-à-dire une réduction de la pension par année de travail non prestée. Une autre possibilité consiste à lier l’âge de la retraite à l’espérance de vie, ce qui pourrait réduire la facture des retraites de 1,3 % du PIB, soit près de 7 milliards d’euros par an, selon la Commission européenne.
10. Moins de jeunes quittant l’école, plus de diplômés en STIM
En 2021, 6,7 % des jeunes de 18 à 24 ans n’étaient pas scolarisés ou ne possédaient pas de diplôme de l’enseignement secondaire. S’attaquer à ce problème pourrait contribuer à combler les nombreux postes vacants, selon le Conseil supérieur de l’emploi. En outre, la poursuite des matières STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) devrait être encouragée car la numérisation fera disparaître certains emplois et apparaître de nouveaux, mais elle entraînera surtout un besoin de nouvelles compétences. Dans ce domaine, la Belgique obtient de mauvais résultats, avec peu d’étudiants en STIM et de grandes difficultés à pourvoir les postes vacants dans le domaine des TIC.
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