Comment Orange a fait oublier Mobistar

Ouverture, le 14 mars dernier, du nouveau "Orange flagship store" avenue Louise, à Bruxelles. © Belgaimage

L’ancien Mobistar végétait entre Proximus et Base. Repositionné comme challenger du marché des télécoms, Orange est parvenu à regagner des clients mobiles et à imposer son offre “fixe”.

Les derniers résultats d’Orange ont surpassé les attentes des analystes. Ces derniers ont été séduits par la progression du nombre d’abonnés mobiles (+ 7% au dernier trimestre) et de clients adeptes des packs convergents (+ 75%). Pour Orange Belgique, c’est le résultat d’une stratégie de repositionnement patiemment mise en place au cours des dernières années. Dans le milieu des années 2010, quand elle opérait encore sous la marque Mobistar, l’entreprise a traversé une période difficile. L’opérateur a fait face à un véritable exode de ses clients mobiles : rien qu’entre 2012 et 2013, pas moins de 260.000 clients ont résilié leur contrat. Ces mauvaises performances commerciales se sont rapidement traduites dans les résultats financiers, entraînant une perte de chiffre d’affaires et un effondrement de l’Ebitda (bénéfices avant impôt).

Base est devenu plus conservateur, Orange est plus disruptif. “-David Wiame (Test-Achats)

A l’époque, le positionnement peu clair de Mobistar sur le marché mobile lui était souvent reproché. L’opérateur naviguait à vue entre Proximus et Base. En tant qu’entreprise exclusivement mobile, Mobistar ne pouvait pas proposer d’offre télécom complète, incluant la TV et l’Internet, comme Proximus, ce qui coupait l’entreprise d’une partie importante du marché. D’un autre côté, Mobistar se faisait tailler des croupières par Base, qui axait sa stratégie sur les prix les plus bas. Mais les choses ont changé. De nouvelles opportunités se sont ouvertes pour Orange, suite à deux événements importants : le rachat de Base par Telenet et l’ouverture du câble à la concurrence.

En 2015, le câblo-opérateur Telenet met la main sur l’opérateur mobile Base pour 1,325 milliard d’euros. Son intégration dans un grand groupe axé sur les produits premium va progressivement faire évoluer le profil de ce dernier . ” Base est moins agressif sur les prix depuis son rachat par Telenet, analyse David Wiame, expert télécoms chez Test-Achats. La dynamique s’est déplacée du côté d’Orange, qui cherche maintenant à se démarquer des mastodontes Proximus et Telenet “, poursuit le spécialiste.

En position de chasseur

Opportuniste, Orange a récupéré la place de challenger laissée vacante par Base. Sur le créneau du mobile, l’opérateur s’est mué en chasseur, et tente de proposer des offres originales avant ses concurrents. C’est ainsi qu’Orange a été le premier à se positionner sur le créneau de l’illimité, avec la première offre incluant communications vocales, SMS et données, au début de l’année 2018. Proximus a embrayé huit mois plus tard. Base-Telenet ne s’est aligné qu’en février dernier. ” Base est devenu plus conservateur, Orange est plus disruptif “, tranche David Wiame. Selon la direction d’Orange, les nouvelles offres illimitées lancées par l’opérateur ont largement contribué à l’augmentation du nombre d’abonnés en 2018. Plus de 10 % des clients mobiles d’Orange disposent désormais d’une formule illimitée.

Orange Belgique, qui est soutenu par sa maison mère Orange, opérateur historique en France, ne s’est cependant pas transformé en concurrent ultra-agressif, prêt à tout pour gagner des parts de marché : ” Orange n’est pas un casseur de prix. Sur le marché belge, les mouvements restent assez relatifs “, tempère David Wiame. Chez Orange, on reste effectivement prudent sur cette nouvelle identité : ” Nous sommes un challenger, mais nous ne faisons pas la course au prix le plus bas, explique Michaël Trabbia, CEO d’Orange Belgique. Nous devons fixer un prix juste. Si vous allez au restaurant et que vous payez votre repas 2 euros, je vous conseille d’aller jeter un oeil dans les cuisines. ”

Le CEO d'Orange, Michaël Trabbia et sa
Le CEO d’Orange, Michaël Trabbia et sa “chief consumer unit” Cristina Zanchi inaugurant le nouvel “Orange flagship store” de l’avenue Louise.© belgaimage

Percée réussie sur le fixe

” Quand nous avons lancé notre offre fixe, personne n’y croyait “, rappelle Michaël Trabbia. La réussite d’une offre alternative à Proximus, Telenet et Voo était effectivement loin d’être garantie. Et les exemples passés incitaient à la prudence. Mobistar, à l’époque, a loupé son coup avec une offre TV par satellite qui n’a pas convaincu grand monde. Quant au dernier échec en date, il est signé Base. L’opérateur mobile, qui officiait encore sous la coupe du groupe néerlandais KPN, n’est jamais parvenu à dépasser les 35.000 clients avec son offre Snow, avant de la débrancher définitivement.

Orange a profité de l’ouverture du câble à la concurrence pour bâtir une nouvelle offre convergente, incluant la TV, l’Internet et la téléphonie mobile. En deux ans, l’offre Love, qui passe par le réseau des câblo-opérateurs Voo et Telenet, est parvenue à séduire 180.000 clients. Une belle performance sur un marché belge réputé pour son conservatisme. ” Pour Orange, c’était très important de pouvoir proposer un produit convergent, explique Stefaan Genoe, analyste chez Degroof Petercam. Un opérateur focalisé uniquement sur le mobile est soumis à une rotation de clients beaucoup plus importante que sur le fixe.” Pour des raisons de coût, mais aussi de facilité technique et administrative, les consommateurs changent plus facilement de carte SIM que de décodeur. Les clients fixes étant plus fidèles, ils ont plus de valeur pour les opérateurs. Pour Orange, prendre pied sur ce marché du fixe était crucial.

Un opérateur focalisé uniquement sur le mobile est soumis à une rotation de clients beaucoup plus importante que sur le fixe. “-Stefaan Genoe (Degroof Petercam)

Cela dit, avec 180.000 clients, Orange reste un acteur mineur sur le marché belge des offres ” packagées “. Par comparaison, Telenet compte 1,15 million de clients triple-play (TV-Internet-téléphone fixe), et Proximus a 1,46 million de clients triple-play ou quadruple-play (avec la téléphonie mobile en plus).

Sur le marché du fixe, la principale difficulté d’Orange reste la rentabilité. Les offres alternatives de l’opérateur lui font toujours perdre de l’argent. Pour proposer des packs incluant la télévision et l’Internet fixe, Orange est contraint de ” louer ” l’infrastructure des câblos-opérateurs Voo et Telenet. Le tarif de ” location “, fixé par l’IBPT (le gendarme des télécoms), auquel s’ajoutent les coûts techniques, administratifs et commerciaux liés au développement de cette offre, qu’Orange doit nécessairement proposer à des tarifs attractifs afin de séduire les clients, rendent actuellement l’équation déficitaire.

Les tarifs de gros pour la location de l’infrastructure câblée vont prochainement diminuer, et Orange reste en discussion avec l’IBPT pour tenter de faire évoluer la régulation en sa faveur. Mais la seule solution pérenne pour rentabiliser une offre fixe reste de posséder un réseau fixe. Tous les regards se tournent une nouvelle fois vers Voo, qui appartient au conglomérat Nethys, toujours chapeauté par l’intercommunale liégeoise Enodia (ex-Publifin). Jusqu’à présent opposé à toute scission de ses activités, le groupe Nethys a récemment évoqué la possibilité de céder certaines activités concurrentielles, dont les télécoms. Si Voo se retrouve sur le marché, Orange est évidemment candidat, tout comme Telenet. L’aquisition du premier réseau câblé de Wallonie donnerait à Orange de nouvelles armes sur le marché des télécoms.

Rien que de l’Internet

En attendant cette hypothétique évolution du marché, Orange compte poursuivre sa stratégie de challenger. Sa prochaine offre disruptive sera lancée dans quelques mois. Il s’agit d’une offre Internet Only, donc une simple connexion Internet. Peu original de premier abord (les opérateurs ont tous ce type d’offre dans leur catalogue, même s’ils n’en font pas une grande promotion), ce nouveau produit vise en fait les clients qui se détournent de la télévision. C’est le cas notamment des millennials, qui consomment de plus en plus de contenus à la demande sur des plateformes comme YouTube et Netflix, et se détournent de la ” télé de papa “. Mais l’opérateur espère séduire une clientèle plus large : ” D’après nos études, un tiers des foyers belges sont intéressés par une offre Internet Only “, estime le CEO Michaël Trabbia. Orange lancera son offre d’ici l’été prochain, mais refuse pour l’instant d’en dévoiler le prix.

Michaël Trabbia (CEO) : “Notre image est en train de changer”

Comment Orange a fait oublier Mobistar
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Michaël Trabbia est le CEO d’Orange Belgique depuis septembre 2016.

TRENDS-TENDANCES. Comment Orangese positionne-t-ilsur le marché belge ?

MICHAËL TRABBIA.

Sur le marché du ” fixe ” (télé+internet), nous avons choisi de bousculer un duopole en place qui ronronnait. Nous avons étendu cette stratégie l’année dernière sur le mobile, avec le lancement de l’illimité. L’image d’Orange est en train de changer. Nous sommes de plus en plus perçus comme un challenger. Mais nous ne sommes pas au bout du chemin.

Avec 180.000 clients pour votre offre “fixe”, vous avez dépassé certaines attentes. Mais votre part de marché reste faible.

Nous sommes sur le point d’atteindre les 200.000 clients, alors que beaucoup doutaient de notre capacité à nous développer sur un marché où d’autres acteurs se sont cassé les dents. Commercialement, c’est un immense succès, alors que personne ne nous connaissait sur le “fixe “. Tous les trimestres, nous gagnons 15 à 20 % de clients, parfois même plus.

Pourtant, vous continuez à perdre de l’argentsur cette activité. Est-ce tenable à long terme ?

Nous améliorons sensiblement d’année en année l’équation économique du fixe. Nous sommes en discussion pour améliorer les conditions financières et opérationnelles de l’ouverture du câble à la concurrence. Et des opportunités peuvent se présenter.

Justement, où en sont les négociations avec Voo, qui appartient à Nethys ?

Aujourd’hui, il n’y a pas de négociations à proprement parler. Il y a un travail à mener pour voir comment un processus va se mettre en place pour la cession possible des activités télécoms de Nethys.

Si Telenet rafle Voo, c’est une mauvaise nouvelle pour Orange ?

Nous pensons être les mieux positionnés pour un partenariat avec Nethys sur les activités télécoms. Toutes les parties prenantes y ont intérêt. Les actionnaires auront un intérêt en termes de valorisation de l’entreprise. Pour les clients wallons et bruxellois, notre positionnement est également plus attractif que celui de Telenet, qui n’est pas vraiment pro-consommateurs. Pour les salariés, je fais un constat simple : Orange n’est pas un câblo-opérateur, nous n’avons pas d’équipes pour gérer le câble, nous ne sommes donc pas dans une situation de redondance de personnel, contrairement à Telenet. Mais un scénario différent ne serait pas une catastrophe pour Orange. Nous sommes capables d’avoir une bonne dynamique sur le marché sans posséder de réseau.

L’arrivée d’un quatrième opérateur mobile est-elle crédible ?

D’un point de vue politique, il y a beaucoup de réticences. D’un point de vue économique, il n’y a pas de business case. Certains sont allés chercher des gens pour leur proposer un pont d’or. Mais malgré cela, personne ne semble intéressé. Je ne souhaite pas que cela se fasse et je pense qu’il y a une probabilité forte pour que cela ne se fasse pas. Mais on ne peut pas exclure totalement le risque. Or, dans tous les marchés où un quatrième opérateur est entré, on a assisté au même phénomène : il y a eu un impact sur l’emploi, une baisse des investissements, puis une tentative de relever les prix, et finalement une tentative de consolidation, parce que quatre réseaux à financer avec le même argent qu’aujourd’hui, ce n’est pas tenable. C’est une question de rationalité économique, pas de dogmatisme.

Dans le groupe Orange, les patrons de filiale restent généralement en poste quatre à cinq ans. Allez-vous bientôt plier bagage ?

Je n’en suis pas encore là. Et je n’ai pas l’intention de partir. Mais je ne suis pas propriétaire de mon job, c’est mon conseil d’admi- nistration qui décidera. Je suis très heureux ici. Avec Orange, on a encore beaucoup de choses à faire. Je n’ai aucune intention de m’enfuir.

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