Comment LVMH veut faire voyager les valises Rimowa
En rachetant 80 % de l’entreprise allemande Rimowa, le leader mondial du luxe se positionne dans le bagage premium fonctionnel et mise sur l’essor du tourisme mondial. Si LVMH tient à préserver l’ADN de la marque, le groupe de Bernard Arnault veut aussi faire évoluer sa nouvelle maison.
Des valises géantes. C’est la forme qui a été donnée aux bâtiments abritant la production des célèbres Rimowa ultralégères en aluminium, reconnaissables à leurs rainures. Nous sommes à Cologne, au siège de l’entreprise fondée en 1898 par Paul Morszeck. Six cents personnes s’activent ici pour fabriquer chaque semaine environ 6.000 valises, toutes en aluminium. Les valises en polycarbonate, elles, sont produites dans les deux autres usines du groupe, situées au Canada et en République tchèque.
Les plaques d’aluminium sont façonnées pour y imprimer les fameuses rainures, les coins sont découpés et les bords repliés. Tout se fait ensuite à la main : fixation des roulettes, pose du mécanisme de fermeture et de la poignée, aménagement de l’intérieur de la valise, etc. Au total, ce sont pas moins de 90 étapes qui sont nécessaires à la fabrication d’une valise Rimowa, dont 80 % sont effectuées manuellement. Les deux parties de la valise sont d’abord fabriquées séparément, avant d’être ” rejointoyées “. C’est l’étape du wedding (le mariage), dans le jargon de l’entreprise. Tout au long du processus, trois contrôles de qualité sont prévus.
C’est précisément ce savoir-faire qu’a récemment racheté le géant français du luxe LVMH (Moët Hennessy Louis Vuitton). Le groupe du milliardaire Bernard Arnault a en effet acquis en octobre 2016 80 % de la ” Rolls allemande du bagage “, qui devient ainsi sa première maison en Allemagne. Les 20 % restants demeurent entre les mains de Dieter Morszeck, le petit-fils du fondateur qui est aujourd’hui co-CEO de la marque, aux côtés d’Alexandre Arnault. Le troisième des cinq enfants de Bernard Arnault se voit ainsi propulsé à la tête de l’entreprise à seulement 24 ans.
Si LVMH assure vouloir préserver l’ADN du malletier, le groupe entend aussi faire évoluer la marque dans un contexte de plus en plus concurrentiel. Rimowa doit en effet composer avec un nombre important de challengers. La griffe doit rivaliser avec Tumi (racheté en début 2016 par le leader mondial Samsonite), Delsey, Victorinox, Zero Halliburton ou encore Antler. ” La catégorie des bagages a longtemps somnolé, affirme Hector Muelas, ancien directeur créatif worldwide marketing communications chez Apple, désormais chief brand officer de la marque nouvellement acquise. Les choses sont toutefois en train de changer. Il y a de nouveaux acteurs, de nouvelles marques qui s’adressent directement au consommateur, des marques digitales plus attractives, etc. Les jeunes voyagent davantage et veulent vivre des expériences. La catégorie devient donc très intéressante, marquée par beaucoup de créativité et d’innovations. Dans ce contexte, notre grand défi est de retrouver notre rôle d’archétype. ” Voici comment la marque compte s’y prendre.
1. Du désir
Rimowa révélait en début d’année son nouveau logo. Plus moderne, plus sobre, celui-ci est censé refléter l’image d’un luxe fonctionnel. Mais si LVMH souhaite à tout prix préserver cet aspect fonctionnel qui constitue l’essence même de la marque, le groupe veut ajouter une touche de désir. Il va notamment se recentrer sur une communication plus inspirante, plus orientée vers le voyage et le lifestyle. ” Nous avons commencé un exercice de repositionnement, explique Hector Muelas. Le terme n’est peut-être pas très bien choisi car Rimowa a toujours été à la bonne place, mais la marque n’avait tout simplement pas communiqué suffisamment à son propos. Ce que l’entreprise a très bien fait pendant toutes ces années, c’est créer un produit excellent, mais elle ne s’est pas vraiment comportée comme une marque de luxe. Nous voulons aujourd’hui faire en sorte que le consommateur comprenne bien pourquoi il s’agit de luxe. Nous allons mettre davantage en avant l’histoire de la marque, ses principes de qualité, d’innovation, etc. Ensuite, nous voulons développer un langage visuel plus moderne, qui élève la marque. ”
2. Des boutiques
Le malletier allemand possède à ce jour un réseau de 150 boutiques qui commercialisent ses bagages dans 65 pays. Mais la marque est surtout très forte en Asie, en Allemagne et au Brésil. Elle va à présent pouvoir bénéficier de l’expertise de LVMH pour élargir son réseau de distribution en Europe et aux Etats-Unis. Chez nous, le groupe ne possède qu’une seule boutique à Anvers. En France, l’entreprise a ouvert une première boutique à Paris l’année dernière. Ce qui est certain, c’est que le spécialise du bagage veut faire évoluer son business model en matière de distribution. Celui-ci reposait beaucoup jusqu’à présent sur des magasins multimarques mais Rimowa entend aujourd’hui se recentrer sur un réseau contrôlé. ” Nous avons encore quelques ouvertures importantes prévues en Europe, aux Etats-Unis et en Asie d’ici la fin de l’année et dans les prochaines années. ”
En matière d’e-commerce aussi, le groupe nourrit pas mal d’ambitions. ” Outre notre site de commerce électronique nouvellement redessiné, nous lancerons un site d’e-commerce aux Etats-Unis et en Asie avant la fin de l’année, explique le responsable. Cela constitue la première étape vers une stratégie entièrement ‘omnicanal’. Nous allons pouvoir nous inspirer des bonnes pratiques de LVMH en la matière tout en gardant à l’esprit que nous parlons de valises. Il y a donc beaucoup de modèles dans l’univers ‘omnicanal’ qui ne fonctionnement pas en ce qui nous concerne. Le click & collect, par exemple, n’est pas forcément quelque chose que nos clients attendent, puisque nos articles sont assez imposants. ”
3. Des partenariats
LVMH souhaite apporter un côté plus événementiel à la marque via des éditions limitées. Les produits existants se voient ainsi customisés grâce à de nouvelles collaborations y ajoutant des éléments de mode.
Rien que cette année, Rimowa a déjà noué des partenariats avec la marque italienne de prêt-à-porter de luxe Fendi (également propriété de LVMH), avec la marque de mode et d’accessoires streetwear Supreme, ou encore avec Off-White. Avec ce dernier label, Rimowa a lancé un bagage en polycarbonate transparent qui fait fureur sur les réseaux sociaux.
Les collaborations avec les marques favorites des millennials sont-elles la formule consacrée pour mettre en lumière Rimowa ? Dans une interview au journal français Le Figaro, le jeune co-CEO Alexandre Arnault répond : ” La collaboration est une formule qui nous est naturelle, nos valises étant fortes d’un design reconnaissable, sorte de toile blanche au cadre précis sur laquelle des talents peuvent s’exprimer sans dénaturer le produit. Ces rencontres inédites augmentent le pouvoir d’attraction de la marque, interpellent le client et l’incitent à fréquenter plus souvent nos magasins. Notre série limitée avec Supreme a été un succès à tous les niveaux. Elle s’est écoulée en moins de 30 secondes sur Internet et en moins d’une journée dans nos magasins “. En matière de partenariats, Rimowa table sur trois lancements par an.
4. De la connectivité
Les fabricants de valises rivalisent d’inventivité pour rendre leurs bagages ” intelligents “. Delsey, par exemple, a mis au point plusieurs applications. La marque a demandé à ses clients de voter pour celles qu’ils estiment les plus pertinentes. Cela va du pèse-bagage intégré au détecteur de présence pour s’assurer que sa valise est bien à bord de l’avion, en passant par un système intégré de recharge de smartphone, l’ouverture grâce à son empreinte digitale, le contrôle du verrouillage, ou encore des enceintes intégrées pour pouvoir écouter de la musique…
Pour sa part, Rimowa a lancé, en partenariat avec Lufthansa, un système de connexion qui permet de simplifier l’enregistrement des bagages en jumelant la carte d’embarquement à une étiquette électronique intégrée dans la valise. Le malletier a également testé un système de géolocalisation des bagages.
Mais Hector Muelas se veut très clair : hors de question de faire technologique pour faire technologique : ” La question à se poser, explique-t-il, est de savoir si la technologie connectée est la solution en matière d’innovation. Si c’est le cas, nous devons nous demander comment construire une expérience pertinente pour le consommateur. D’autres marques introduisent dans leurs valises des technologies qui, de notre point de vue, ne sont pas spécialement pertinentes. Certaines intègrent des chargeurs de smartphones. Ce n’est, d’après nous, pas le rôle d’une valise. La technologie doit être pertinente et customer centric ( centrée sur le consommateur, Ndlr). Elle tiendra probablement une place importante dans notre stratégie d’innovation mais je ne peux pas vous en dire plus à ce stade “.
” LVMH gets first-class luggage at no-frill price. “ LVMH achète bon marché un bagage de première classe. Voilà comment l’agence de presse Reuters annonçait, début octobre 2016, le rachat des 80 % du spécialiste allemand du bagage premium Rimowa. Et pour cause : la somme de 640 millions d’euros mise sur la table par le groupe de Bernard Arnault semble tout à fait raisonnable si on la compare, par exemple, à celle déboursée quelques mois plus tôt par Samsonite, leader mondial du secteur, pour mettre la main sur Tumi, un concurrent de Rimowa dans le bagage haut de gamme. Le géant américain avait alors sorti 1,8 milliard de dollars de sa poche, soit 3,3 fois le chiffre d’affaires de sa ” proie “. Alors que Rimowa réalisait un chiffre d’affaires de 350 millions d’euros en 2015…
Comment expliquer ce deal à prix réduit alors que l’entreprise allemande a vu son activité bondir depuis 2013 ? En 2015, ses ventes ont même augmenté de 28 % ! La marque Tumi, elle, voyait ses revenus augmenter de ” seulement ” 4 % la même année. La clé du mystère est peut-être à chercher du côté de la marge d’exploitation. Alors que l’entreprise américaine rachetée par Samsonite enregistre 18 % de marge, LVMH ne donne aucun détail quant à la profitabilité de Rimowa. Celle-ci pourrait être bien moindre que celle de son concurrent. Il est aussi possible que la famille Morszeck ait accepté un prix plus bas de la part de LVMH en raison de l’expertise du groupe français en matière de gestion de marques de luxe. Sans héritier pour reprendre les rênes, Dieter Morszeck, qui reste co-CEO et propriétaire de 20 %, aura voulu assurer un avenir favorable à l’entreprise. Désormais dans l’escarcelle de LVMH, la marque va, de fait, pouvoir booster sa distribution et son marketing.
Pour le groupe de Bernard Arnault, ce rachat est clairement stratégique. La croissance enregistrée par Rimowa est la bienvenue alors que les ventes des autres marques du groupe stagnent ou diminuent. LVMH se renforce par ailleurs dans le secteur du voyage en misant sur l’essor du tourisme mondial. A noter enfin que les prix des valises, s’ils peuvent atteindre – voire dépasser – les 1.000 euros, débutent à 300 euros. Un positionnement ” luxe accessible ” intéressant pour LVMH, très complémentaire de celui de Louis Vuitton (des valises à plusieurs milliers d’euros). Face au ralentissement du marché mondial du luxe, les grands groupes adaptent leur stratégie pour répondre aux aspirations des classes moyennes émergentes, notamment chinoises, et aux besoins d’une clientèle européenne (les millennials notamment) rebutée par des prix jugés trop élevés.
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