Comment la guerre en Ukraine dope l’industrie belge des drones

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De prime abord, BriskSky-ACEG n’est pas une entreprise militaire. Au contraire, cette dernière s’est spécialisée dans les inspections industrielles à l’aide de drones, ainsi que dans les formations à leur utilisation. Et pourtant, à la fin du mois de décembre, Jochen Walschaers, le directeur de l’exploitation et copropriétaire, a débarqué en Ukraine…

“Une commande a soudainement été passée par l’Ukraine”, explique M. Walschaers. Son client ? L’armée ukrainienne. “C’était une surprise. Finalement, nous avons rassemblé la technologie nécessaire et je me suis rendu en Ukraine pour y dispenser les formations correspondantes. » Depuis, un de ses modèles de drone aide à détecter les mines terrestres dans ce pays.

“On s’est bien occupé de moi, mais c’était effrayant”, déclare M. Walschaers. “J’ai voyagé avec une délégation militaire ukrainienne depuis la frontière polonaise jusqu’à Kiev, en passant par toutes sortes de petites routes. On voit des destructions partout. La première fois qu’une alerte aérienne retentit la nuit, on a peur. Mais au bout d’un certain temps, cela devient presque une routine. »

Détection de mines

En Belgique, BriskSky-ACEG travaille principalement dans le domaine des inspections industrielles. “Nous faisons de la formation, mais nous effectuons aussi des mesures”, précise M. Walschaers. “Par exemple, nous mesurons le pont de Vilvorde afin de pouvoir le visualiser en 3D. Nous nous sommes spécialisés dans tout ce qui concerne les inspections. »

Depuis plusieurs années, l’entreprise développe sa propre technologie. “Nous nous sommes rendu compte que nous ne pouvions offrir une valeur ajoutée que si nous concevions tout nous-mêmes”, explique M. Walschaers. “Par exemple, nous utilisons l’infrarouge lors des inspections, notamment pour détecter l’humidité derrière les murs. »

Il y a deux ans, BriskSky-ACEG s’est intéressé à la détection des mines terrestres : “Nous avons installé un tel capteur sur un drone et avons commencé à le tester”, explique M. Walschaers. “Au début, nous l’avons fait dans le jardin de l’un de nos employés. Finalement, la technologie a bien progressé. Il y a un an et demi, nous avons été autorisés à présenter notre solution à un public comprenant le FBI et une délégation ukrainienne. »

Sous terre

En collaboration avec la société belge Aero Solutions, BriskSky-ACEG propose désormais un drone de détection de mines. Un capteur de Sensys, une entreprise allemande, a été fixé sur un drone existant afin de détecter les mines enfouies dans le sol. Les utilisateurs peuvent s’en servir pour balayer des zones beaucoup plus vastes que les techniques de détection au sol. C’est ce modèle de drone que l’entreprise belge de drones a fourni à l’armée ukrainienne. Et l’activité de détection des mines ne s’arrêtera pas après l’Ukraine, car l’armée nigériane a déjà fait savoir à BriskSky-ACEG qu’elle serait intéressée et envisagerait une grosse commande d’une centaine de drones. “Il est évident que nous ne deviendrons pas un seigneur de la guerre”, précise M. Walschaers. “Nous ne fournissons que des pièces approuvées. Il ne s’agit donc pas d’une arme. Les mines sont une saleté, et plus vite nous pourrons les éliminer, mieux cela sera”.

Pilotage en immersion

Une autre entreprise, qui est arrivée de manière complètement inattendue sur le marché militaire, après l’invasion de l’Ukraine, est le fabricant de jeux vidéo LuGus Studios, à Hasselt. L’un de ses jeux vidéo est Liftoff, un simulateur pour apprendre à piloter de petits drones FPV. Les drones FPV – l’abréviation signifie « first person view » (pilotage en immersion) – sont contrôlés à l’aide de lunettes qui vous permettent d’avoir une vue d’ensemble via la caméra qui équipe le drone. Cette technique est compliquée à maîtriser. C’est pourquoi LuGus a mis au point un simulateur pour former les pilotes de drones.

Si sur le marché civil, ces drones servent principalement à faire la course ou à filmer des séquences vidéo, en Ukraine, les belligérants les utilisent pour des missions de reconnaissance, voire y attachent des grenades pour foncer sur l’ennemi. Les Ukrainiens ont rapidement constaté que le Liftoff constituait un bon entraînement pour leurs pilotes. “Ce fut une énorme surprise”, déclare le fondateur Kevin Haelterman. “Soudain, nous avons constaté que de nombreuses licences étaient achetées en Ukraine. Nous n’avions jamais pensé que Liftoff serait utilisé à des fins militaires.

LuGus a rapidement travaillé avec l’armée ukrainienne et le fait sous le nom d’Or & Sable, sa spin-off destinée à gérer l’activité militaire. La version militaire de Liftoff, qui n’est pas ouverte au public, comprend un générateur de missions. Grâce à lui, les Ukrainiens peuvent s’entraîner dans des paysages réels, reconstitués à l’aide d’images satellites. LuGus a bloqué les licences russes de son logiciel.

“Nous voyons un grand avenir dans ce marché, déclare M. Haelterman. Les petits drones FPV sont aujourd’hui utilisés de manière intensive dans les nouveaux conflits. En même temps, nous sommes leader sur le marché des simulateurs pour ces drones. Si auparavant, il s’agissait principalement d’applications civiles, aujourd’hui, les applications militaires les ont rejointes. D’autres clients militaires s’intéressent également à Or & Sable (qu’est-ce que c’est?), mais M. Haelterman ne souhaite pas citer de pays.

L’entreprise s’efforce de gérer cette activité de manière éthique. “Nous suivons les règles”, déclare M. Haelterman. “Nous suivons également un code d’éthique. Nous ne coopérerons jamais avec un pays qui promeut des valeurs problématiques. Dans la pratique, notre technologie est principalement destinée aux pays de l’OTAN et à leurs alliés.

Période creuse

L’Ukraine a donc fait bouger les choses dans l’industrie belge des drones, mais Bart Theys, expert en drones chez Flanders Make, met en garde contre une surestimation de cette tendance. L’invasion de l’Ukraine a coïncidé avec une période creuse pour l’industrie belge des drones. “Le Covid a entraîné une baisse des commandes”, explique Bart Theys.  “Par la suite, la guerre en Ukraine a d’abord gelé les envies d’investir. Ces dernières années, nous avons donc vu de nombreuses petites entreprises de drones fermer leurs portes ou changer d’orientation. Le 1er janvier 2021, la nouvelle législation européenne sur les drones est également entrée officiellement en vigueur, avec des mesures transitoires jusqu’au 1er janvier 2024. Cela a entraîné un surcroît de travail administratif dans le secteur. Ces deux dernières années, la croissance a été moins importante que prévue. Certaines entreprises de drones ont commencé à travailler pour l’Ukraine au cours de cette période, mais leur nombre est resté limité.

“Je ne pense pas que la guerre en Ukraine ait un grand impact en ce moment”, déclare Ward Decaluwe, PDG de Droneport. “Cependant, on parle de plus en plus d’applications militaires. En Belgique, il n’était pas évident pour une entreprise de s’engager dans cette voie. On sent que le vent tourne. »

Drones civils

Les applications militaires peuvent également renforcer le secteur des drones civils. “Les drones sont devenus populaires dans les applications civiles grâce aux investissements militaires”, explique M. Decaluwe. “Il y a toujours une interaction entre les technologies civiles et militaires. Un domaine stimule l’autre. Le fait que nous pensions davantage au domaine militaire est positif. Les résultats stimuleront également le développement de drones dans des applications civiles.

Les entreprises de drones notent que la défense belge ne réagit pas aussi rapidement aux évolutions du marché des drones. “Comparée à l’Ukraine, la défense belge est désespérément en retard en ce qui concerne les drones”, affirme M. Walschaers. “Pourtant, une transition est en cours. Bientôt, la défense lancera un nouvel appel d’offres pour les drones. Nous verrons ce qu’il en ressortira”.

“En Belgique, la défense s’est réveillée”, affirme Kevin Haelterman. “Elle réalise peu à peu que les drones ne doivent pas nécessairement être de grosses bêtes extrêmement coûteuses. Pourtant, il y a encore beaucoup d’hésitations. La défense belge ne joue pas un rôle de premier plan dans ce type de changement et n’a que très peu de contacts avec l’industrie locale des drones. J’espère que dans quelques années, nous ne nous rendrons pas compte que nous avons été trop laxistes.

“Les drones étaient déjà importants d’un point de vue militaire lorsqu’ils étaient très grands et très chers”, explique Bart Theys. “Mais la guerre en Ukraine a démontré que les petits drones « bon marché » deviennent également importants. En fait, nous l’avions déjà constaté avant l’Ukraine, et le conflit à Gaza l’a confirmé. Les États-Unis veulent même produire en masse des drones bon marché. La Belgique devrait suivre cette tendance de près.

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