Comment ces dirigeants d’entreprise ont réduit leurs coûts (témoignages)
Les entreprises sortent à peine d’un confinement strict lié au coronavirus mais la perspective d’un retour en force de l’épidémie inquiète la plupart des dirigeants de sociétés, qu’elles soient petites ou grandes. Alors que le contexte économique semble de moins en moins favorable, les réductions de coûts s’imposent dans la tête de nombreuses directions. Reste qu’un “cost-cutting” se doit d’être bien réalisé… sous peine de se révéler dangereux. Témoignages.
> Lire notre analyse : Entreprises: Réduire les coûts? Oui, mais pas n’importe comment
“La réduction des coûts, ce n’est pas la décroissance”
Pour Alexandre Plissart, il faut éviter de réduire la voilure au point de s’engager dans une politique décroissante : “C’est incompatible avec notre économie de marché. La décroissance, c’est l’antichambre de la faillite“, explique le patron de Decube, un groupe industriel wallon employant 450 personnes, présent dans des activités comme l’ingénierie ou la peinture industrielle.
Depuis son arrivée début 2019, le patron a entamé une restructuration de l’entreprise, dont certains départements historiques perdaient de l’argent. Dans le cadre de cette restructuration, il a mis en place un programme de réduction ciblée des coûts. La feuille de route était simple : faire des économies sans toucher au volume d’emplois.
Alexandre Plissart et son équipe ont opéré une analyse détaillée des coûts et de la marge contributive que chaque département apportait à l’entreprise. Plutôt que de décider d’une diminution linéaire des dépenses pour tous les départements, choix a été porté de miser sur certaines activités prometteuses et de désinvestir les segments les moins porteurs. Sur 12 départements, trois ont donc fait l’objet de nouveaux investissements importants, l’un a été totalement désinvesti, et un autre est encore en balance. Quant aux sept derniers, ce sont des départements arrivés “à maturité” qui tournent tout seuls et ne nécessitent pas de mesures particulières.
Au-delà de cette analyse par segment d’activité, une attention toute particulière a été apportée aux achats de matériel industriel, qui représentent le deuxième poste de coûts de l’entreprise, juste après le personnel. “Nous avons standardisé nos achats et réduit le nombre de nos fournisseurs de 15 à 4. Cela a eu un impact direct sur les coûts, qui ont diminué de 15%, mais aussi sur la qualité de services rendus par nos fournisseurs, vu le poids plus important que nous avons dans leur carnet de commandes.”
La mise en place combinée de ces différentes actions a permis aux départements déficitaires de reprendre le chemin de la rentabilité, assure Alexandre Plissart.
Cartographier les compétences pour réduire les coûts RH
Chez MySkillCamp, la crise Covid a eu des effets contrastés. “Certains dossiers en cours ont été postposés. En mars-avril, nous avons aussi fait face à un boom des demandes de devis”, explique Amandine Coutant, COO de cette jeune pousse spécialisée dans la formation en ligne. Certains clients ont décidé de couper dans les coûts et de reporter ou réduire le volume de formations. Dans le même temps, la formation en ligne a connu un nouveau regain d’intérêt avec le télétravail forcé.
Pour faire face à ce double flux contraire, MySkillCamp a dû jongler avec le chômage temporaire. Une solution aurait été de mettre tous les collaborateurs indistinctement au chômage temporaire partiel. Mais Amandine Coutanten en a préféré une autre, orientée sur les besoins spécifiques de chaque poste.
La COO a donc profité de la crise pour réaliser une cartographie complète des compétences (hard skills et soft skills) des effectifs de la start-up. Certains profils ont été placés en chômage temporaire partiel. Cette cartographie a également permis de déceler certains profils surnuméraires dans l’entreprise, qui a donc procédé à certains licenciements ciblés. D’autres, comme les collaborateurs en charge de l’accueil des nouveaux clients, sont restés sur le pont à 100 %. “Nous sommes restés très prudents en matière de dépenses. Dans l’ensemble, nous sommes parvenus à nous stabiliser”, indique Amandine Coutant.
Economiser sur l’innovation ?
“Sur les budgets recherche & développement, il y a toujours deux réactions possibles, soutient Agnès Flemal, directrice de WSL, la structure de soutien wallonne aux techno-entrepreneurs. Soit on écoute les financiers et on coupe tous les nouveaux investissements. Soit on écoute les entrepreneurs et on se dit qu’il faut continuer à se développer, pour être prêt dès que le marché redémarre. Je suis plutôt en faveur de la deuxième solution. L’innovation, c’est rentable à terme.”
Des économies grâce aux réseaux sociaux
Le Covid-19 a cassé ses réseaux de distribution physiques. Du coup, il a décidé de se focaliser sur le marketing digital. Mehdi Ben Brahim dirige la start-up B4Lab, soutenue par le réseau BeAngels. Il commercialise des boissons énergisantes sous la marque Wise. Ses boissons étaient présentes dans le comerce de détaill, les parapharmacies, les salles de sport et surtout dans les restaurants d’entreprise via Sodexo. La crise sanitaire a forcé l’entrepreneur à se réinventer.
Il a réorienté tous ses efforts commerciaux vers une campagne ciblée sur les réseaux sociaux. “Ça a fait exploser nos ventes en ligne”, évoque Mehdi Ben Brahim. Tout cela pour un coût quatre à cinq fois moins élevé qu’avec une stratégie commerciale ‘classique'”, estime l’entrepreneur.
La start-up faisait auparavant appel à cinq commerciaux indépendants. Elle a ensuite travaillé avec des distributeurs proposant plusieurs références, déjà pour réduire les coûts. Mais c’est sa campagne digitale qui lui a permis d’augmenter son efficacité à moindre prix. Via les réseaux sociaux, Wise va à la rencontre des consommateurs, en direct, alors qu’elle ne démarchait auparavant que le marché professionnel. La start-up s’est également fait remarquer par des commerçants, qui proposent désormais ses références dans leurs rayons.
Réduire les coûts du transport en s’associant
La crise de 2008 a donné quelques sueurs froides à Philippe Martin, CEO de Walmat, groupe wallon actif aujourd’hui dans le commerce de matériaux de construction. A l’époque, l’homme dirigeait une série d’activités variées : négoce de matériaux, promotion immobilière, carrière de pierre, construction, etc. Pour faire face à la crise, le groupe s’est séparé d’une série d’affaires moins rentables pour se concentrer sur ce qu’il faisait de mieux : le négoce de matériaux.
Depuis, Philippe Martin a aussi revu totalement sa stratégie en matière de transport et de logistique, une partie importante du business, afin d’assurer la satisfaction de ses clients. Sa solution ? L’association. “Avec plusieurs amis, nous avons constaté que nos entreprises rencontraient les mêmes complications et que créer ensemble une joint-venture pouvait nous être bénéfique.” C’est ce qu’ils ont fait : monter une entreprise séparée, spécialisée dans le transport, en s’appuyant sur la licence de l’un des partenaires. “Cette option offre une série non négligeable d’avantages qui permettent de diminuer les frais, témoigne Philippe Martin.
D’abord, la mutualisation permet de réduire les coûts administratifs puisqu’au lieu de dédier une personne au volet “transport” de chaque entreprise, cet employé travaille pour la joint-venture au service de tous les partenaires.
Ensuite, cette joint-venture nous a permis de changer de commission paritaire. Résultat : la durée de travail peut être plus longue tout en respectant les obligations légales de pause, etc. Cela nous permet d’amortir plus rapidement, en cinq ans plutôt que sept ans, du matériel comme des camions grues qui coûtent entre 300.000 et 400.000 euros.” Cette solution aura en tout cas permis de réaliser des économies assez rapidement, confirmées suite à l’analyse et la comparaison des coûts réels.
Et, à l’inverse du recours à des sous-traitants externes, elle permet aux partenaires impliqués dans l’aventure “de conserver notre souplesse dans la livraison et d’avoir la maîtrise du transport. Il s’agit d’un service à valeur ajoutée pour notre clientèle qui attend de nous d’être just in time“, se réjouit Philippe Martin.
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