Au cœur de l’été, Clarebout, le numéro 1 européen des frites surgelées, a été vendu au conglomérat agricole américain J.R. Simplot. Mais qui est son patron et fondateur, Jan Clarebout, ce magnat de Flandre-Occidentale qui a développé un géant de l’alimentation à partir de pommes de terre ?
Jan Clarebout est l’un des industriels les moins médiatisés de Flandre. Et pour cause, il n’a encore jamais accordé d’interview. Mais tous ceux qui le connaissent le respectent. “C’est un entrepreneur pur et dur. Si seulement nous avions plus de gens comme lui en Belgique. Il a travaillé d’arrache-pied pour devenir le numéro 1 de son secteur en Europe”, explique un interlocuteur du monde financier.

“On parle de Jan Clarebout avec respect. Il s’est hissé, à partir de presque rien, au rang de leader mondial”, raconte Christophe Vermeulen, l’administrateur délégué de Belgapom, l’association du secteur de la pomme de terre.
“Jan Clarebout est un homme innovant, mais surtout un homme qui connaît très bien son terrain. Pour les gens du secteur, il est considéré comme très amical et accessible. Il n’est absolument pas arrogant, au contraire, il est modeste et très chaleureux. Ce n’est pas quelqu’un de flamboyant, même s’il sait aussi profiter de la vie. Jan Clarebout n’est pas un grand bavard. Il parle quand c’est nécessaire et même s’il le fait à voix basse, tout le monde écoute. Il délèguera ce qu’il doit déléguer et fera ce qu’il doit faire lui-même. Son proche collaborateur, Yves Capoen, directeur des achats pour les pommes de terre, est aussi une figure connue dans le secteur. Ce dernier est l’une des personnes qui connaît le mieux la culture de la pomme de terre en Belgique et dans le nord de la France.”
Un banquier qualifie aussi Jan Clarebout de “très accessible”. “Pour ceux amenés à le fréquenter personnellement, pas tellement pour les personnes extérieures. Cette discrétion est typique des entrepreneurs du Westhoek. Ils sont axés sur l’efficacité. Regardez comment son entreprise est structurée et dirigée. C’est un superbe modèle d’efficacité. Cela me fait penser à une citation d’Elon Musk : ‘Si tu veux que ta journée soit utile, concentre-toi sur ce que tu veux vraiment faire ce jour-là. C’est de cette manière que tu seras le plus efficace.’”
Depuis la cession de Clarebout aux Américains, Agristo est devenu le plus grand transformateur de pommes de terre encore entre des mains belges. L’entreprise a été fondée en 1986 par Luc Raes, décédé en 2019, et Antoon Wallays.
“C’est évidemment regrettable que le centre de décision de Clarebout traverse désormais l’Atlantique, réagit Antoon Wallays. Nous avons démarré à la même époque, au milieu des années 1980. La famille Mylle lançait alors Mydibel. Ensemble, nous avons saisi les opportunités qu’offrait le marché en pleine expansion de la pomme de terre surgelée. À l’époque, les grands acteurs néerlandais comme Aviko ou Farm Frites nous regardaient avec condescendance. ‘Les petits Belges vont aussi tenter leur chance’, plaisantaient-ils. Pourtant, nous avons grandi pour devenir des acteurs respectés de l’agro-industrie européenne. La détermination de Jan a insufflé à toute la filière une dynamique d’ambition et de croissance à l’échelle mondiale. Son efficacité industrielle, avec des usines d’une grande performance, a même servi de référence pour le secteur.”
Peu de transparence
Nos interlocuteurs affirment donc que Jan Clarebout a permis à son entreprise de devenir le numéro 1 des produits surgelés à base de pommes de terre. Pourtant, ce n’est pas ce qui ressort clairement des bilans déposés à la Banque nationale. Il faut dire que l’on reproche souvent à ce secteur un certain manque de transparence. La société consolidante pour les activités liées à la pomme de terre est la SA Clarebout. Mais celle-ci ne dépose plus de bilans consolidés depuis 2018.
En Belgique, Clarebout possède quatre usines. Tout a commencé en 1988 à Nieuwkerke, près de Heuvelland. Raf Clarebout, le père de Jan, était actif dans le tri et le commerce de pommes de terre fraîches. Le fils a pris une autre direction et a transformé une ancienne usine textile en centre de production de pommes de terre surgelées. La société qui en est à l’origine est la SA Clarebout Potatoes. Le dernier bilan que celle-ci a déposé était pour l’exercice 2022. Cette année-là, elle a enregistré plus de 1,1 milliard d’euros de chiffre d’affaires et dégagé un bénéfice net de 126 millions d’euros. L’année 2023 a apparemment été encore meilleure. Selon le bilan individuel de la SA Clarebout, la filiale a réalisé cette année-là un bénéfice net de 297 millions d’euros. Un record.
Nous avons commencé à la même époque que Clarebout. L’ardeur de Jan nous a tous entraînés vers une croissance et une ambition mondiales.
La plus grande usine de frites surgelées d’Europe
Clarebout possède trois usines dans le Hainaut. À Warneton se trouve la plus grande usine de frites surgelées d’Europe. Cette filiale, CL Warneton SA, a également établi un record : 411 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024. “La capacité de production de l’usine a été bien utilisée en 2024”, rapporte le rapport annuel du conseil d’administration. Pourtant, ce qui se cache derrière ces chiffres n’est pas tout à fait clair. Clarebout a, par exemple, aussi construit une nouvelle usine à Dunkerque, dans le nord de la France. La construction a débuté en août 2022 et la production a démarré en novembre 2023. Cette nouvelle usine est intégrée comme filiale dans le bilan de CL Warneton SA.
Les chiffres des deux autres usines de frites hainuyères, à Mouscron, ne sont pas plus clairs. Clarebout les a acquises en reprenant l’ancienne entreprise Mydibel. Fin décembre 2022, Clarebout a conclu un accord avec les propriétaires de l’époque, les frères Bruno et Carlo Mylle. Depuis l’été 2022, Mydibel se trouvait en difficulté en raison de la pandémie de coronavirus et de la crise énergétique. Dans une interview accordée à Trends-Tendances au milieu du mois de septembre 2022, Marc Van Herreweghe, le CEO de Mydibel, avait souligné la dépendance au secteur de l’horeca et de la restauration collective. Un marché qui s’était retrouvé pratiquement à l’arrêt pendant la pandémie. À peine un dixième du chiffre d’affaires provenait de la vente en magasin.
La société consolidante de l’époque, B.C. Mylle, reflète ce champ de ruines dans ses chiffres. Dans le dernier bilan consolidé, celui de l’exercice 2022, on trouvait bien 413 millions d’euros de chiffre d’affaires, mais l’entreprise était déficitaire depuis 2020 et affichait une perte reportée de 46 millions d’euros. De plus, les fonds propres se trouvaient en négatif.
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Depuis, Jan Clarebout a repris les rênes. Depuis début septembre 2023, la production ne se fait plus que sur commande de la SA Clarebout Potatoes. Le résultat opérationnel de la SA Mydibel est ainsi passé de 356 millions d’euros, en 2023, à 95 millions d’euros pour l’exercice 2024. Sans doute existe-t-il des imputations internes entre les différentes activités liées à la pomme de terre. Mais pour le monde extérieur, il reste difficile de comprendre l’ensemble du tableau.
Le royaume de la frite situé en Flandre-Occidentale va désormais être dirigé par J.R. Simplot. Originaire de l’Idaho, cette société américaine spécialisée dans la pomme de terre appartient à la famille éponyme et partage le même culte de la discrétion que Clarebout.
Le nouveau Jan Clarebout
Le passage de flambeau à la troisième génération dans l’entreprise familiale n’a pas été une évidence. Jan Clarebout est pourtant le père de deux enfants. Sa fille Florence possédait cinq pharmacies dans le Westhoek. Celles-ci étaient regroupées dans la SRL CLF Invest et présentait un bilan total de 10 millions d’euros lors du dernier exercice. Cette société est désormais surtout assise sur une montagne de liquidités, car Florence Clarebout a vendu ses pharmacies ces dernières années.

Son fils Gilles est, lui, actif dans le royaume de la pomme de terre. Mais succéder à Jan Clarebout ne serait pas une sinécure. “Gilles est sans doute celui qui est le plus heureux de la reprise, pense Christophe Vermeulen, actif chez Belgapom. La pression sur ses épaules devait être énorme. Il est très talentueux, mais ça ne faisait pas encore de lui le successeur de Jan Clarebout.”
Peut-être que Gilles, le fils de Jan Clarebout, est encore plus heureux de la reprise. Il est très talentueux, mais la pression sur ses épaules devait être énorme.
Un financier compare d’ailleurs le roi de la frite à un footballeur de haut niveau. “Marcher dans les pas d’un tel monument est particulièrement difficile. Pour cela, il faut avoir le même niveau. Combien de fois avons-nous eu en Belgique un Michel Preud’homme ou un Vincent Kompany ? Jan est désormais sexagénaire. Élargir l’activité avec de nouvelles usines en Amérique et en Asie ne va alors plus de soi. Les décalages horaires et les nombreux déplacements deviennent plus lourds avec les années. Je trouve qu’il était judicieux de vendre. De plus, Jan Clarebout réinvestira cet argent dans l’économie belge. Il ne laissera pas ce pactole dormir sur un compte en banque.”
Investissements immobiliers en Belgique et à l’étranger
Ces dernières années, le roi de la frite a déjà considérablement diversifié son empire. À cette fin, la SA Peruna a notamment été créée en mars de l’année dernière. Peruna est le mot finlandais pour “pomme de terre”. C’est aussi le nom du véhicule financier avec lequel la famille Clarebout gère son patrimoine. Mais là encore, la transparence fait défaut. Peruna ne dispose pas de site web expliquant ses intérêts et sa stratégie. Le capital social de la SA Peruna s’élevait à peine à 61.500 euros lors de sa constitution. Cela semble peu au regard des deux mandats que la société détient, selon la base de données financière et économique Trends Business Information.
Jan Clarebout réinvestira l’argent de la vente de sa société dans l’économie belge.
La SRL PerTill détient une participation dans Studibo Group, un groupement de bureaux d’ingénierie et d’études. En outre, Peruna détient un mandat dans la SRL Tilleghem Capital I. Ce fonds dispose de fonds propres de pas moins de 60 millions d’euros. Avec pour actionnaires, notamment, Peruna et Quva Invest. Ce dernier véhicule appartient à Pascal Vanhalst, un homme d’affaires tout aussi discret et également originaire de Flandre-Occidentale. Le fonds de Flandre-Orientale Tilleghem Capital I investit dans des PME de taille plus importante au Benelux. La première participation a été pour DKM, un spécialiste en douane basé à Anvers. La seconde pour Aptco, société établie à Nazareth. Celle-ci s’occupe de distribution, production, maintenance et étalonnage d’équipements scientifiques pour les laboratoires de recherche, les hôpitaux, les universités et l’industrie.
Jan Clarebout a aussi beaucoup investi dans l’immobilier ces dernières années. À Roulers, il l’a fait dans le complexe d’entreprises Westwing Park. Il a aussi misé sur le développement du quartier urbain Boevrie à Bruges. Un projet qui compte plus de 100 appartements et 25 maisons. Clarebout gère Boevrie en compagnie de Filip Balcaen, qui a fait fortune grâce au fabricant de tapis Balta. Mais la Belgique n’est pas le seul terrain d’investissement de Jan Clarebout, qui possède un projet immobilier aux îles Canaries. Et en Europe de l’Est, il gère des participations dans des immeubles de bureaux en Pologne et en Roumanie. z