Chute de FNG: “Le magasin de chaussures populaire Brantano devait devenir élitiste”
En 2016, le groupe FNG s’est emparé du leader du marché belge, Brantano. Selon le rapport annuel de 2017, l’entreprise allait ” rendre son éclat au diamant d’origine “. Les anciens employés racontent une tout autre histoire. ” Après six mois, nous avions compris ce qui nous attendait. “
L’histoire derrière la chute de FNG
Fin : La reprise de Brantano
Pendant des années, la groupe de mode FNG, coté en bourse et connu pour ses marques comme Brantano, CKS, Claudia Sträter, Fred & Ginger et Van Hassels, a été l’une des entreprises les plus populaires de notre pays. Les médias adoraient son PDG, Dieter Penninckx, car il avait toujours une réplique juteuse à leur servir. En tant qu’actionnaire principal du club de football KV Mechelen, il faisait également l’objet d’une attention toute particulière.
Le gouvernement flamand avait également confiance en le groupe. Le fonds d’investissement gouvernemental Participatiemaatschappij Vlaanderen (PMV) en était actionnaire à environ 11 pour cent. De célèbres hommes d’affaires et des entrepreneurs, comme Emiel Lathouwers (ex-AS Adventure) et les familles Boone, Torfs et Vandeurzen, avaient également investi dans le groupe. Au printemps 2020, les banques, avec ABN-AMRO, Belfius, BNP Paribas Fortis et ING Bank en tête, avaient accordé pour 258 millions d’euros en prêt à FNG.
Mais ce printemps-là, la bombe a explosé. Le 11 mai, la cotation de l’action a été suspendue. Au début du mois d’août, FNG faisait faillite. Depuis le 20 juillet, le juge d’instruction de Malines, Theo Byl, se penche sur l’affaire. Les trois acteurs clés, Dieter Penninckx (46 ans), sa femme Anja Maes (45 ans) et son camarade de classe Emmanuel Bracke (46 ans), sont soupçonnés de diverses choses et étaient déjà en détention. L’enquête porte principalement sur le détournement de fonds des entreprises, la mise en place de structures frauduleuses et le blanchiment d’argent.
Dans cette septième partie de notre série, vous lirez comment la reprise de Brantano a d’abord suscité l’enthousiasme des employés. Mais qu’il est vite apparu que l’expérience présente au sein de l’ancien leader belge du marché des chaussures ne pouvait pas rivaliser avec le comportement entêté de la direction de FNG.
Mi-janvier 2016, les applaudissements des 180 employés retentissaient au siège de Brantano à Erembodegem. Dieter Penninckx, Wouter Torfs et Rens van de Schoor venaient d’acheter Brantano, le leader belge du marché des chaussures, à la chaîne néerlandaise MacIntosh, cotée en bourse et en faillite, pour un montant de 28,3 millions d’euros, plus 1,75 million d’euros de frais d’acquisition.
Le précédent propriétaire n’avait pratiquement pas investi à Brantano depuis des années. “Subitement, trois demi-dieux sont apparus, les poches pleines de plans prometteurs. Tout le monde pensait : ‘C’est parti. Nous avons le vent en poupe'”, se rappelle le secrétaire syndical de la CSC, Sven De Scheemaeker. Le néerlandais Rens van de Schoor, qui s’était retrouvé dans le groupe FNG à la suite de divers rachats aux Pays-Bas, motivait les employés. “Nous croyons en l’entreprise. Dans un premier temps, le personnel n’a rien à craindre. Nous conserverons ce qui fonctionne, et nous améliorons le reste”. Voici les propos qu’un journaliste de Het Laatste Nieuws avait repris de la bouche du Néerlandais lors d’une réunion du conseil d’entreprise.
Bien sûr, une reprise sert aussi à donner un nouveau souffle à une entreprise. Mais cela ne signifie pas qu’il faut tout démolir – Stefaan Van Weyenbergh, ancien directeur général de Brantano.
Beaucoup d’incertitudes planaient encore, mais la satisfaction prenait le dessus. Wouter Torfs, figure emblématique, à l’époque numéro trois dans le secteur de la chaussure en Belgique et couronné Meilleur Employeur des années durant, était à la base de cette confiance. Avec sa société de holding familiale, Torfs Import Service, il s’est lancé dans l’aventure. “Notre famille veut investir et faire de Brantano une entreprise florissante, nous ne laisserons pas la chaîne faire faillite”, avait-il promis. “Enfin, des personnes qui connaissaient quelque chose aux magasins de mode arrivaient à la barre”, s’est dit Jean-Pierre Vergeylen, actif chez Brantano depuis 35 ans, il était responsable de la sécurité et de la prévention au moment de la faillite. “Au départ, nous pensions que de nouvelles idées étaient en développement pour Brantano. Mais après six mois, nous avions compris ce qui nous attendait.”
“Diamant étincelant”
À la mi-octobre 2016, la participation dans Brantano, initialement un investissement du trio, a été reprise par FNG, en échange d’un million de nouvelles actions. Dans le rapport annuel 2016, une opération de rénovation à grande échelle, d’une valeur de 50 millions d’euros, a été annoncée. En trois ans, au moins 100 magasins Brantano seront rénovés. Dorénavant, Brantano vendra également des vêtements. “Nous avons trouvé une belle entreprise, même si elle a quelque peu pris la poussière. Nous allons polir ce diamant caché et lui rendre son éclat”, promettait Dieter Penninckx à la mi-septembre dans la revue Retail Detail.
En juin 2018, Anja Maes, son épouse et directrice artistique du groupe, s’exprimait dans De Standaard : Une certaine fatigue régnait chez Brantano. La chaîne était négligée depuis longtemps. Il n’y avait pas de budget. L’atmosphère était morose. Lors de la relance, nous avons volontairement parlé d’un Brantano 4.0, pour annoncer la couleur. Certaines personnes se sont épanouies, d’autres ont abandonné le navire.”
“L’expérience à la porte”
Les employés racontent une version différente de l’histoire. Ça a commencé par un vaste renouvellement du personnel. “Leur plus grande erreur est que presque toute la direction est partie”, explique un ancien cadre. “Le directeur général, Stefaan Van Weyenbergh, a été mis à la porte, après 28 ans chez Brantano. Stefaan était un fantastique directeur. Des collaborateurs à l’expérience vertigineuse ont dû quitter la boîte. Subitement, nous étions des dinosaures. Toute une série de jeunes est arrivée. Le bon sens devait céder la place au fashion business. La situation est alors devenue périlleuse.”
Entre le rachat et la faillite, au début du mois d’août de l’année dernière, cinq directeurs généraux se sont succédé à la tête de Brantano. Il y a d’abord eu le Néerlandais Rens van de Schoor, que les employés ont peut-être vu cinq fois, lors de réunions. Puis Dieter Penninckx. Jan Huysmans, qui disposait de nombreuses années d’expérience dans le secteur, a donné sa démission au bout d’un an. Manu Bracke, le directeur des opérations de FNG. Et enfin Evy Dottermans, forte de 18 ans d’expérience au sein d’IKEA. “Evy y a laissé du sang, de la sueur et des larmes, mais elle n’a pas non plus réussi à rectifier la situation”, ajoute l’ancien cadre. Evy Dottermans et Jan Huysmans ne souhaitent faire aucun commentaire.
“Un changement trop radical”
Brantano était le leader du marché dans son domaine, les chaussures. Mais au fur et à mesure, l’accent a été mis sur les vêtements. FNG voulait aussi vendre ses marques dans les magasins Brantano. La rénovation des magasins, associée à l’élargissement de la gamme pour inclure des vêtements, permettrait d’augmenter les ventes au mètre carré, et de rendre l’entreprise à nouveau rentable. De 2014 à 2017, Brantano enregistrait des pertes.
“Associer chaussures et vêtements en repensant Brantano était une bonne idée : la même surface de vente allait simplement accueillir une nouvelle catégorie de produits”, explique Wouter Torfs. En 2019, Torfs Import Service a enregistré une perte nette d’un peu plus de 15 millions d’euros. Perte due à l’amortissement complet de l’investissement dans FNG, un montant d’un peu plus de 15 millions d’euros.
“Cette combinaison n’était absolument pas une mauvaise décision”, ajoute également Stefaan Van Weyenbergh, ancien directeur général de Brantano Belgique et Luxembourg. Elle permettait d’augmenter le rendement en agrandissant la gamme destinée au même groupe cible. Mais tout d’un coup, ce groupe cible a changé, il est devenu plus chic, alors que Brantano était censé être le magasin de toute la famille. Ce changement était trop radical. Il n’y a pas eu d’analyse approfondie de l’offre et de besoins de la clientèle. Bien sûr, une reprise sert aussi à donner un nouveau souffle à une entreprise. Mais cela ne signifie pas qu’il faut tout démolir. Toute l’expérience qui aurait pu être utile a été mise à l’écart. Les employés n’ont jamais été consultés.”
Werner Meeus a travaillé 26 ans pour Brantano, notamment en tant que manager de différents points de vente. “Tout d’un coup, on ne parlait plus que des vêtements. Brantano a toujours été un magasin de chaussures. Les clients qui sont entrés dans les boutiques rénovées ont cru qu’il s’agissait maintenant d’une chaîne de vêtements. Pour se rendre au rayon chaussures pour homme, il fallait d’abord traverser le département de vêtements pour femme. Mais le nom est resté Brantano, connu comme un magasin de chaussures. En outre, les clients ont eu l’impression que l’offre de chaussures avait été réduite. Ce n’était pas le cas, les paires étaient simplement agglutinées dans les rayons. Les magasins n’étaient pas plus grands.”
“Leur ambition n’avait pas de sens”
Un autre problème était le déséquilibre entre les marques de vêtements de FNG, dans le segment haut de gamme, et les chaussures de Brantano, plus abordables. Le prix moyen pour une paire de chaussures était de 70 à 80 euros. Mais à côté des chaussures pour enfants, par exemple, se trouvaient des vêtements CKS, considérablement plus chers.
“Leur ambition n’avait pas de sens” explique Elise Vanaudenhove, CEO d’Euro Shoe Group, le numéro 2 du marché belge. “Ils voulaient devenir plus chic et plus chers, alors que Brantano faisait plutôt dans le milieu de gamme. Associer chaussures et vêtements n’est en soi pas une mauvaise idée du tout. Nous le faisons depuis 1991. Mais dans nos magasins, vous trouverez des chaussures et des vêtements dans la même gamme de prix. J’ai été choqué par le prix des vêtements proposés par Brantano. Brantano avait la réputation d’être un magasin accessible. Tout d’un coup, il devenait élitiste. Brantano avait une clientèle fidèle. Nous l’avons vu débarquer dans nos boutiques. Avant, nous avions peur de ce concurrent. Mais à partir de 2018, nous avons commencé à nous rendre compte que cette peur n’était plus si justifiée.”
“Dans une tour d’ivoire”
Les anciens employés expliquent que la direction ne s’intéressait plus à leurs idées. “Différents cadres ont quitté le navire en annonçant qu’il était impossible de travailler avec ces trois personnes, Bracke, Maes et Penninckx”, explique Sven De Scheemaeker, secrétaire CSC. “Ils portaient des oeillères. Les réunions avec Dieter étaient plus que stériles. Seule sa vision comptait. C’était frustrant, surtout quand on avait des signaux et des messages à faire passer depuis le terrain. “Ces gens vivaient dans une tour d’ivoire”, ajoute Werner Meeus. “En fin de compte, nous n’avons jamais vraiment su quels étaient leurs objectifs. Nous n’étions tout simplement pas impliqués dans leurs plans.”
Fin 2016, la rénovation des huit premiers Brantano commençait. En septembre, Dieter Penninckx donnait une interview à la revue spécialisée Retail Detail et expliquait que le nouveau concept pourrait faire augmenter les ventes par magasin “de 20 à 25 %”.
“En effet, certains des premiers magasins à être rénovés ont enregistré une hausse de 20 %”, se rappelle Walter Meeus. “Mais les magasins en question étaient déjà ceux qui enregistraient les meilleurs résultats avant les rénovations. En outre, la période de comparaison de l’année précédente comprenait les ventes plus la période de clôture. Au cours de la deuxième année suivant la rénovation, les ventes ont dû augmenter de 10 %. C’était beaucoup trop ambitieux. Et les magasins rénovés par la suite n’ont certainement pas atteint les 20 % prévus.”
“Un plan brillant, dans leur tête”
Le fossé entre la direction et les employés s’est encore agrandi avec le lancement de deux nouveaux projets : Boutik by Brantano et Brantano Market. Ces concepts seraient plus grands que les magasins classiques et proposeraient principalement des vêtements, pas seulement des marques FNG. Lors d’une interview avec De Tijd en mars 2018, Dieter Pennincks envisageait l’ouverture d’une cinquantaine de ces nouveaux magasins. “Chaque magasin représente un investissement de 500.000 euros, et dispose de son fichier Excel reprenant ses objectifs de chiffre d’affaires.” En juin 2018, FNG réintégrait la Bourse de Bruxelles. Le prospectus promettait dix nouveaux magasins classiques Brantano, trente nouveaux Boutik by Brantano et vingt nouveaux Brantano Markets.
Le personnel restait plus prudent, et pensait à un établissement de chaque par province. “Anja et Dieter avaient élaboré ces concepts autour de la table lors d’un souper”, soupire Sven De Scheemaeker. “Ce plan était brillant dans leur tête, et tout se passerait bien, même si après deux mois, tout le monde savait que ce n’était pas le cas.” En mars 2020, avant la faillite, six magasins Boutik by Brantano et cinq Brantano Markets avaient vu le jour, selon un porte-parole de FNG. Il s’agissait en partie de magasins déjà existants.
D’après les bilans officiellement déposés de la S.A. Brantano, l’opération rénovation a été un succès. Le chiffre d’affaires de plus de 163 millions d’euros a été le plus élevé de l’histoire de l’entreprise et près d’un tiers plus élevé qu’en 2017. Le groupe a obtenu des résultats nettement supérieurs à ceux du marché général. Selone les rapports annuels du FNG, le marché de l’habillement en Belgique a chuté de 1 % en 2017 et de 2,6 % en 2018. Le secteur des chaussures a été plus durement touché : 7 pour cent en 2017 et 5,1 pour cent en 2018.
Aucun des employés contactés par Trends n’a pris au sérieux les chiffres officiels du bilan. Lors des présentations internes des résultats, il était question d’une augmentation moyenne des ventes par magasin de 3 à 5 % pour la période 2016-2018. Pour le personnel en magasin, aucune véritable augmentation n’était observable.
Brantano sur le Meir
Fin août 2019, le magasin phare du groupe a ouvert : un Boutik by Brantano sur le Meir, d’une superficie de 1350 mètres carrés. Plus de 250 marques y étaient vendues, principalement haut de gamme. Un magasin de deux étages, dans un emplacement de choix, avec vingt employés. Mais pour acheter des chaussures, il fallait monter à l’étage. “La formule était la bonne, mais pas le nom”, explique Werner Meeus. “Vendre des marques coûteuses n’est pas un concept fou sur le Meir. On peut y trouver de tout. Mais le magasin portait le nom de Brantano. Les consommateurs qui achètent des marques de luxe n’aiment pas forcément se promener sur le Meir un sac Brantano à la main.”
Ce magasin s’est avéré être une dépense gigantesque. Un expert en immobilier commercial sur le Meir a estimé que rien que le loyer coûte 900 000 euros par an. Les résultats étaient loin d’être à la hauteur. Le chiffre d’affaires n’était pas plus élevé que celui d’un magasin Brantano ordinaire, alors que les prévisions étaient quatre fois plus élevées.
FNG voulait ouvrir 50 établissements Boutik by Brantano et Brantano Market. Avant la faillite, il y en avait onze.
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