Chronique d’une gloire annoncée: les “Loups” de retour en première division

Salvatore Curaba. "Je voulais avant tout démontrer que le modèle Easi pouvait inspirer n’importe quelle entreprise et s’adapter au monde du football." © BELGAIMAGE
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

Ressuscitée par un entrepreneur visionnaire, la RAAL La Louvière a réalisé un “sans faute” pour se hisser, en huit ans à peine, au sommet du football belge. Gros plan sur une “success story” signée Salvatore Curaba, fondateur de la société Easi qui a servi de modèle pour les ambitions du club wallon.

Il avait clairement fixé ses objectifs lors de la reprise du club et il y est arrivé avec deux ans d’avance sur le calendrier. À la fin de l’année 2016, Salvatore Curaba décide de faire un pas de côté chez Easi, la société de services informatiques qu’il a fondé il y a presque 20 ans et qu’il dirige avec succès. Las, l’entrepreneur veut s’offrir un nouveau challenge : la résurrection de la RAAL La Louvière, le club de foot de sa ville natale, déclaré en faillite quelques années plus tôt. L’homme est ambitieux : il vise la Jupiler Pro League (D1A) à l’horizon 2027, alors que l’équipe hainuyère redémarre tout doucement en Division 3 Amateur pour sa première saison 2017-2018 sous cette nouvelle ère.

Ancien joueur de football professionnel, Salvatore Curaba aime les défis et la reprise du club louviérois n’est pas son premier coup d’éclat. En 1998 déjà, le jeune programmeur informatique devenu commercial s’offre en effet le luxe de refuser une carrière toute tracée au sein d’une grande entreprise et surtout le poste de directeur général de sa filiale belge. Motif : il veut fonder sa propre société et le pari est audacieux. À 35 ans, Salvatore Curaba est alors papa de deux enfants en bas âge et il n’hésite pas à hypothéquer la maison familiale pour mener à bien son projet entrepreneurial. Quelques mois plus tard, Easi voit le jour avec la réussite qu’on lui connaît aujourd’hui : sacrée “Entreprise de l’Année” en 2019, la société de services informatiques n’a jamais cessé de grandir et compte désormais près de 600 collaborateurs pour un chiffre d’affaires qui flirte avec les 110 millions d’euros en 2024.

Adapter la méthode Easi

En reprenant la RAAL La Louvière, le patron s’est immédiatement fixé les mêmes objectifs de succès et de grandeur. “Je voulais avant tout démontrer que le modèle Easi pouvait inspirer n’importe quelle entreprise et s’adapter au monde du football, rappelle Salvatore Curaba, c’est-à-dire un modèle où l’humain, le partage et la transparence sont au cœur du projet. Si on est bien organisé, si on est entouré de personnes compétentes et passionnées qui ont des valeurs humaines très fortes, si on est transparent dans la gestion au quotidien et si on choisit un management collaboratif où l’on fait tout pour rendre les gens heureux, alors on peut y arriver. Il n’y a pas d’obstacle insurmontable !”

Pour fédérer ses troupes et valoriser cette notion de partage, le président de la RAAL a aussi importé, dans son club de football, le modèle de l’actionnariat participatif mis en place chez Easi. Aujourd’hui, ce sont plus de 200 supporters qui détiennent le club de La Louvière, même si Salvatore Curaba possède à lui seul 75% des actions sur un capital de 15 millions d’euros.

La mobilisation des forces vives et l’énergie déployée par toute l’équipe ont rapidement donné de très bons résultats sportifs. En huit saisons à peine, la RAAL La Louvière est ainsi passée de la “cinquième division” du football belge (la D3 Amateur) à la prestigieuse Jupiler Pro League (D1A) qu’elle s’apprête à défier pour la saison 2025-2026. Un exploit qui n’est pas le fruit du hasard et qui repose sur une ambition et une stratégie mûrement réfléchie.

Viser haut

Dans son “plan à 10 ans” défini en 2017, Salvatore Curaba a tout de suite vu grand en investissant rapidement dans un centre de formation. Inaugurée en 2022, la “Wolves Academy” a coûté 7 millions d’euros et a clairement fixé les prétentions du club en termes de recrutement, alors que la RAAL était encore en Division 2 Amateur. Dans la foulée, le projet d’un tout nouveau stade a également émergé, non seulement pour embrasser l’objectif fixé de jouer en Jupiler Pro League à l’horizon 2027, mais aussi pour redonner une certaine fierté à La Louvière et à ses habitants. Aujourd’hui, le timing s’annonce parfait : alors que la RAAL pensait jouer encore une saison (voire deux) en Challenger Pro League (D1B), son stade flambant neuf de 8.000 places sera inauguré ce 28 juin et donc prêt pour le championnat 2025-2026 en D1A qui débutera fin juillet.

Montant de l’investissement pour cette arène à dimension résolument humaine : 16,5 millions d’euros, sans compter la facture de 1,5 million payée par la Ville pour les abords du stade et les parkings, soit 18 millions au total. “La charge d’amortissement pour la RAAL sera d’un million par an sur une vingtaine d’années, confie son président Salvatore Curaba, ce qui n’est pas énorme comparé au budget pour les joueurs qui est de l’ordre de 3 à 3,5 millions par an. Mais le stade sera vite rentabilisé, d’autant plus que nous jouerons immédiatement en D1A.”

Cette arrivée spectaculaire en Jupiler Pro League a en effet électrisé les supporters. En deux jours à peine, 2.000 abonnements avaient déjà été vendus dès l’ouverture des réservations pour la nouvelle saison. “Il ne reste déjà donc plus que 3.500 abonnements à vendre, enchaîne le président, puisque nous devons garder environ 500 places pour les supporters visiteurs à chaque mach et que 2.000 sièges sont également réservés à nos partenaires dans la tribune business.”

Un budget doublé

Franchement méritée, cette arrivée providentielle des “Loups” en première division rebat quelque peu les cartes du business model du club hainuyer. “Pour la dernière saison passée en D1B, nos recettes opérationnelles s’élevaient à 5 millions d’euros, ce qui n’inclut pas la vente de joueurs, explique Toni Turi, à la fois CEO de la RAAL et CFO du groupe Easi. Comme les dépenses se sont élevées à 6,7 millions cette saison-là, nous enregistrons une perte de 1,7 million que nous allons combler justement avec la vente de l’un ou l’autre joueur car notre objectif est d’atteindre précisément l’équilibre financier pour cet exercice. La saison prochaine sera plus confortable car nous devrions doubler nos recettes avec le nouveau stade et l’arrivée en D1A.”

Une série de paramètres vont en effet permettre au club louviérois d’atteindre les 10 millions de revenus pour la saison 2025-2026, à commencer par les droits télé qui vont doubler en Jupiler Pro League (1,5 million prévu au budget de la RAAL contre 700.0000 euros en D1B). Les recettes générées par la billetterie, le catering et les bars devraient aussi fortement augmenter avec l’arrivée des “Loups” en D1A, portée par le nouveau stade de 8.000 places qui affichera certainement complet lors des grandes rencontres avec Anderlecht, Bruges ou le Standard, alors que la moyenne des spectateurs stagnait sous les 3.000 places vendues en D1B.

Mais ce sont surtout les revenus du sponsoring qui risquent d’exploser dans les prochains mois avec cette intronisation en première division. “La saison dernière, les sponsors nous ont rapporté un peu plus de 2,5 millions d’euros, soit la moitié du budget du club, détaille Ludovic Martins, directeur commercial de la RAAL. La saison prochaine, notre objectif qui se veut réaliste est d’atteindre 4,5 millions pour le sponsoring, auxquels s’ajoutera la somme de 500.000 euros pour le naming du stade, soit 5 millions au total.”

Précieux partenaires

La nouvelle tanière des “Loups” ne portera pas en effet le nom de la RAAL, mais bien celui d’une marque ou d’une entreprise qui déboursera un demi-million par an pour voir son nom associé au stade louviérois, à l’instar de la Ghelamco Arena à La Gantoise, référence au promoteur immobilier flamand. À côté de ce revenu récurrent, ce sont surtout les 15 loges du stade flambant neuf (déjà toutes réservées !) et les 2.000 business seats qui vont apporter de l’argent frais au club avec le catering qui s’y rapporte.

Le stade ne portera pas le nom de la RAAL, mais bien celui d’une marque ou d’une entreprise qui déboursera un demi-million par an pour voir son nom associé au stade louviérois.

“Aujourd’hui, nous comptons déjà 350 sponsors qui déboursent chacun entre 3.000 et 200.000 euros selon le degré de visibilité, mais avec la D1A, nous allons entrer dans un autre monde !”, se réjouit le directeur commercial Ludovic Martins qui dirige déjà une équipe de cinq vendeurs. Point d’orgue des négociations : le principal sponsor de l’équipe louviéroise qui s’affichera sur le torse des joueurs en Jupiler Pro League et dont le renouvellement du contrat est en voie de finalisation. Comme à la fin de la saison passée en D1B, Golden Palace Comédie Centrale devrait remporter la mise, du nom de ce théâtre à Charleroi (Comédie Centrale) racheté par la société de jeux de casinos et de paris sportifs basée à Bruxelles (Golden Palace).

Avec l’ensemble de ces revenus, la RAAL La Louvière devrait relever le défi de la première division sans trop de difficulté. “Nous voulons atteindre et respecter l’équilibre financier chaque saison, insiste le CEO du club Toni Turi. Cela se fera grâce au mécanisme de vente de joueurs, tout en maintenant une qualité de recrutement car nous voulons continuer à grandir. Nous visons le milieu de classement en D1A pour les cinq prochaines années, même si notre président se montre un peu plus ambitieux (sourire).”

Le nouveau stade de 8.000 places, qui a coûté 16,5millions d’euros, sera inauguré ce 28 juin. © PG

Une PME de 60 employés

Sans doute charmé par les sirènes européennes, Salvatore Curaba souhaite que les Loups “se battent pour la sixième place” (sic), même si le pari de la D1A est d’ores et déjà gagné. En ressuscitant la RAAL et en la propulsant au sommet du football belge, le fondateur d’Easi a prouvé que son rêve n’était pas démesuré. Lui qui avait sorti le livre On m’a pris pour un fou avant la passation de pouvoir dans sa propre entreprise a d’ores et déjà réussi à bâtir une autre success story qui réveille La Louvière. “Le club compte aujourd’hui 26 employés auxquels s’ajoutent les 23 joueurs et une dizaine de personnes pour le staff sportif, énumère le CEO Toni Turi, soit environ 60 personnes au total, sans compter tous les bénévoles qui encadrent les jeunes. Au fil des années, nous avons gagné en légitimité et notre réussite est la preuve que l’on peut appliquer le modèle Easi à un club de football.”

Sans aucun bémol ? “Mon seul regret aujourd’hui, c’est que mes collaborateurs ne gagnent pas encore assez bien leur vie, conclut Salvatore Curaba. Je ne parle pas des joueurs, mais des employés qui se dépensent sans compter parce qu’on veut tous y arriver. Nous sommes aujourd’hui en mode start-up et cela suppose que tout le monde fasse des efforts, tant au niveau des heures de travail que du point de vue financier. Mais on avancera. Car il ne faut jamais s’arrêter d’être plus ambitieux, année après année. Pour rappel, Easi a décroché le titre de ‘L’Entreprise de l’Année’ 20 ans après sa création…”

Le président n’en dira pas plus. Mais on devine dans ses mots que le titre de champion pour la RAAL est plus qu’une ambition.

60 – Nombre de personnes embauchées par la RAAL, hors bénévoles.

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