Cécile Béliot, CEO du groupe Bel: “L’IA réduit considérablement le temps nécessaire pour créer des recettes végétales”

Cécile Biélot, CEO DE BEL “Je n’oppose pas produits laitiers et végétaux. Pour moi, c’est une offre complémentaire.” © photos: pg
Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

Proposer des alternatives végétales en tant qu’acteur agroalimentaire spécialisé dans les produits laitiers, c’est le pari du groupe français Bel qui commercialise des fromages végétaux grâce à l’intelligence artificielle. Objectif? Réduire l’impact environnemental du secteur.

La Vache qui rit, Kiri, Maredsous ou encore Babybel… Derrière ces produits bien connus se cache un acteur majeur de l’agroalimentaire: le groupe français Bel. Celui-ci a intensifié sa transformation vers un modèle de performance durable et responsable. “Aujourd’hui, l’alimentation correspond à un tiers des émissions de gaz à effet de serre”, alerte Cécile Béliot, CEO du groupe Bel qui était en visite en Belgique.

Forte d’une expérience de 17 ans au sein de groupe Danone, Cécile Béliot a rejoint le groupe en 2019, devenant la première femme à le diriger et la deuxième dirigeante non issue de la famille actionnaire. Celle-ci incarne aujourd’hui une génération de dirigeantes et dirigeants engagés pour inventer le futur de l’industrie agroalimentaire. “Nous sommes la première génération de leaders à connaître les conséquences du système agroalimentaire sur l’environnement”, explique la CEO qui rappelle que la décroissance n’est pas une solution pour rendre le secteur de l’alimentation plus durable. “Tant que la population mondiale croît, nous avons besoin de la nourrir, par conséquent nous avons besoin d’une croissance”, poursuit-elle.

MOHAMED ZARIOUHI
MOHAMED ZARIOUHI et Cécile Béliot, CEO du groupe Bel © pg

Avec des produits présents dans plus de 120 pays, l’entreprise est leader du marché des fromages de marque. En Belgique, trois Belges sur quatre consomment une des marques du groupe. Le Maredsous – que le groupe a acquis en 1991 – est même la marque de fromage consommée par le plus grand nombre de Belges, selon les données de GFK. Avec sa trentaine de marques aux dimensions internationales, l’entreprise a réalisé en 2022 un chiffre d’affaires de 3,6 milliards d’euros.

Le groupe collecte près de deux milliards de litres de lait par an auprès de ses 2.650 éleveurs partenaires à travers le monde.

“Si une entreprise comme la nôtre peut changer, les autres devraient aussi avoir la capacité de faire bouger le système”, soutient la dirigeante qui voit deux défis pour le secteur de l’agroalimentaire. D’une part, les industriels doivent être capables de nourrir près de 10 milliards d’êtres humains d’ici 2050 avec des produits sains, durables et accessibles. D’autre part, le secteur doit contribuer à limiter le réchauffement climatique conformément à l’Accord de Paris. Pour le groupe français, cela implique de réduire d’un quart ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2035. “Nos usines ne représentent que 3% de notre impact carbone, il faut donc agir sur toute la chaîne de valeur pour être à la hauteur des enjeux”, précise Cécile Béliot.

Les alternatives végétales sont commercialisées en Europe mais également aux Etats-Unis et en Grande- Bretagne, marchés plus matures.
Les alternatives végétales sont commercialisées en Europe mais également aux Etats-Unis et en Grande- Bretagne, marchés plus matures. © National

Diversification

Afin d’atteindre ses objectifs de durabilité, l’entreprise a choisi de rééquilibrer son portefeuille de produits pour, à terme, atteindre 50% de produits laitiers et 50% de produits végétaux et fruitiers. Après avoir acquis l’entreprise Mont Blanc-Materne – qui propose notamment les célèbres Pom’Potes – pour étoffer son offre de fruits, le groupe mise aujourd’hui sur une gamme de fromages végétaux. “La Belgique est l’un des premiers pays où nous avons rapidement lancé ces variantes”, explique Mohamed Zariouhi, directeur de Bel pour la Belgique.

Le groupe a par exemple développé la marque Nurishh qui regroupe un fromage râpé classique, du camembert, des tranches de fromage ou du fromage tartinable… Tous à base d’ingrédients végétaux. Ce qui n’empêche pas le groupe de décliner également ses marques historiques comme Boursin ou les Mini Babybel dans une version végétale. “Proposer ces alternatives avec des marques très connues encourage les consommateurs à les essayer et les tester”, avance Cécile Béliot qui précise que le groupe vise principalement les flexitariens, désireux de réduire leur consommation de produits d’origine animale. “Avec ces produits, nous contribuons à élargir l’offre végétale de manière à ce que les consommateurs puissent faire leur choix consciemment.”

Les alternatives végétales sont commercialisées en Europe mais également aux Etats-Unis et en Grande- Bretagne, marchés plus matures.
Les alternatives végétales sont commercialisées en Europe mais également aux Etats-Unis et en Grande- Bretagne, marchés plus matures. © National

Le principal défi de ces alternatives, c’est d’être similaire en termes de goût et de texture à leur version classique tout en restant abordable. Afin de pallier ces difficultés techniques, le groupe Bel a noué des partenariats exclusifs avec des start-up capables

d’apporter des solutions. Ces dernières se concentrent sur la technologie, tandis que le grand groupe élabore des nouvelles recettes, s’occupe de la production puis de la distribution via ses relais commerciaux. La start-up américaine Climax Foods va par exemple développer les futures portions de Vache qui rit ou de Babybel végétales. “Ils ont la compétence et l’expertise pour réaliser ce que nous ne sommes pas capables de faire”, assume la CEO. Basée en Californie, la start-up a répertorié dans une base de données toutes les sources de protéines, comme le pépin de pamplemousse, qui existent et sont disponibles dans la nature.

IA et biotechnologies

Les procédés d’analyse prédictive et l’intelligence artificielle (IA) développés par la start-up permettent aujourd’hui de comprendre précisément, au niveau moléculaire, les caractéristiques des aliments d’origine animale. “En croisant les données sur ces aliments d’une part, et de la richesse du monde végétal d’autre part, l’intelligence artificielle réduit considérablement le temps nécessaire pour créer les meilleures recettes végétales”, analyse Cécile Béliot qui précise qu’il faudrait “des milliards d’années pour créer les mêmes recettes avec des procédés de recherche et développement traditionnels”.

Outre l’utilisation de l’intelligence artificielle, le groupe se sert également des procédés de fermentation pour développer la protéine du futur. Toujours en collaboration avec des start-up, l’entreprise a lancé une gamme de fromages à tartiner à base de protéines issues des biotechnologies: autrement dit, ne provenant pas du lait lui-même, et sans protéine animale.

Ces alternatives sont commercialisées en Europe mais également aux Etats-Unis et en Grande- Bretagne qui sont des marchés plus matures, selon la CEO. Dans la catégorie fromage aux Etats-Unis, on estime que 40% de la croissance est tirée par cette offre végétale. “Dans 10 ans, en complément de l’offre laitière, l’offre végétale pèsera 10% au niveau mondial”, prédit la dirigeante. Pour le moment, le végétal représente cependant moins de 5% des ventes pour le groupe. En tant qu’entreprise laitière, miser sur le végétal ne présente-t-il pas un risque de dénaturer les produits que l’on propose? Mille fois non pour la CEO. “Je n’oppose pas les produits laitiers et végétaux. Pour moi, c’est une offre complémentaire. Je ne dis pas que l’on n’a plus besoin des caséines (protéines présentes dans le lait) mais on a besoin de rééquilibrer notre alimentation.” Et la CEO de rappeler que son discours n’est pas le même dans tous les pays du monde car ce sont les habitudes alimentaires des habitants des pays du G20 qui doivent radicalement évoluer.

En Belgique, 42% des emballages du groupe sont en carton ou papier et 86% des produits sont recyclables.” – MOHAMED ZARIOUHI (BEL BELGIQUE)

Transition de la filière

En Inde par exemple, où l’entreprise commercialise La Vache qui rit, la population a besoin d’accéder aux protéines laitières. Afin d’accélérer son développement dans le pays, le groupe a créé une joint-venture avec Britannia Industries, la première entreprise agroalimentaire indienne. “Grâce à cet accord, nous aurons la capacité d’accéder à 6 millions de points de vente”, explique Cécile Béliot qui précise que les produits sont fabriqués sur place, avec le lait des agriculteurs locaux. A travers le monde, le groupe collecte près de deux milliards de litres de lait par an auprès de ses 2.650 éleveurs partenaires. Se concentrer sur le végétal ne signifie pas pour autant abandonner les éleveurs français qui sont la source de l’amont laitier des produits français et belges. “Nous n’avons pas diminué les volumes de lait que l’on achète mais ce lait doit être durable”, poursuit la CEO. Pour cela, l’entreprise a décidé d’accompagner la filière laitière dans sa transition écologique – environ 70% de l’empreinte carbone de Bel provient des matières premières, principalement l’amont laitier. Le groupe a par exemple développé un complément alimentaire destiné à l’alimentation des bovins qui permet de diminuer les émissions de méthane.

Les alternatives végétales sont commercialisées en Europe mais également aux Etats-Unis et en Grande- Bretagne, marchés plus matures.
Les alternatives végétales sont commercialisées en Europe mais également aux Etats-Unis et en Grande- Bretagne, marchés plus matures. © National

Revenus décents

L’entreprise propose également des primes aux fermes qui pratiquent une agriculture régénérative et soutient les agriculteurs en leur offrant un prix garanti pour le lait plus élevé que celui du marché. Une démarche qui permet aux éleveurs de bénéficier de revenus fixes. “Un agriculteur reste un entrepreneur. S’il n’a pas de revenus décents, c’est impossible de changer ses pratiques”, relève Cécile Béliot. Si le groupe a décidé de prendre ses responsabilités à tous les niveaux, Cécile Béliot rappelle cependant que les entreprises ne peuvent pas être la seule source de changement: les distributeurs et les clients doivent également prendre leurs responsabilités. “Aujourd’hui quand on parle de l’alimentation, on parle uniquement de prix, c’est une véritable catastrophe”, pointe la CEO qui rejette l’argument inflationniste sauf pour les consommateurs précarisés. “Je veux bien considérer une marge différenciée pour cette tranche de la population mais je ne comprends pas pourquoi cela devrait être appliqué à ceux qui ont des revenus décents.” Pour elle, l’alimentation est devenue une commodité car on ne communique pas assez sur ce qu’elle représente, à savoir la santé, le climat et la biodiversité.

Packaging durable

Autre élément important dans la stratégie de durabilité de l’entreprise: le packaging. Un enjeu de taille pour le groupe qui vend des produits en portion et donc emballés individuellement. “Pour nous, vendre en portion, c’est un énorme atout”, assure Cécile Béliot qui défend la praticité du modèle. L’intérêt de la portion est d’apporter une juste dose d’un point de vue nutritionnel au consommateur et permet également d’éviter le gaspillage alimentaire puisqu’elle se conserve mieux. “La limite du modèle, c’est évidemment le packaging”, concède la CEO.

L’entreprise a l’ambition de tendre vers le zéro plastique: l’enveloppe du Babybel par exemple est faite à partir de fibre de bois et non pas de plastique comme on pourrait le croire.

“En Belgique, 42% des emballages du groupe sont en carton ou papier et 86% des produits sont recyclables”, explique Mohamed Zariouhi. Reste l’aluminium pour certaines portions de fromage mais qui seront prochainement emballés dans du papier. En attendant, le groupe a collaboré avec les fabricants d’aluminium à travers la coalition AREME, afin d’équiper les centres de tri pour capter les petits aluminiums qui sont désormais recyclables. “Une innovation belge qui permet de réutiliser l’aluminium pour les emballages”, souligne Cécile Béliot.

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