BVI triple sa capacité de production à Liège

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Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Le rachat par un groupe international peut être un nouveau vecteur de croissance pour des entreprises innovantes de Wallonie. Démonstration avec l’aventure de l’ex-PhysIOL, intégrée depuis 2019 dans le groupe américain BVI.

Le petit paquet contient une série de granules jaunes, semblables aux bonbons au citron de notre enfance. Mais ne vous avisez pas de les manger. Ces granules sont des polymères, destinés à être tournés et fraisés dans les toutes nouvelles installations de BVI (ex-PhysIOL) dans le parc arboré du Sart Tilman à Liège, afin de devenir des lentilles intra-oculaires. L’entreprise produit ainsi plus de 2.500 références de lentilles pour corriger les différents types de défaut de vision, avec toutes les dioptries.

“Nous ne fabriquons pas à façon, précise le responsable des opérations Frédéric Jodogne. Nous avons un stock qui permet de livrer la lentille qui correspond aux besoins du patient, un peu comme cela existe pour les lunettes. Nos lentilles sont minuscules mais ce sont de véritables condensés de technologie, tant pour les matériaux que pour leurs spécificités correctrices.”

“Nous n’aurions pas pu connaître un tel essor sans une intégration dans un groupe mondial.”

Cette technologie a été développée dans les années 1980 à l’université de Liège. La spin-off PhysIOL n’a cependant véritablement pris son envol industriel que quand Marc Nolet en a pris les commandes en 1997. L’entreprise a connu des années de forte croissance, en misant notamment sur l’innovation. Ses performances lui ont valu d’être plusieurs fois lauréate des Gazelles de Trends- Tendances.

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En 2019, elle a été rachetée par le groupe américain BVI. Encore un fleuron industriel qui s’en va? Pas du tout. L’intégration dans BVI semble, au contraire, avoir placé l’ex-PhysIOL dans les conditions optimales pour accentuer encore sa croissance. Le chiffre d’affaires est en effet passé de 46 millions en 2017 à 71 millions en 2022 et représente maintenant plus de 20% du chiffre d’affaires total du groupe BVI. L’entreprise liégeoise a connu une croissance de 12% l’an dernier et envisage une croissance d’environ 10% par an pour les cinq prochains exercices.

Frédéric Jodogne, responsable des opérations
Frédéric Jodogne, responsable des opérations © FRÉDÉRIC SIERAKOWSKI

“Je suis convaincu que nous n’aurions pas pu connaître un tel essor sans une intégration dans un groupe mondial comme BVI, concède Frédéric Jodogne. Il nous apporte des moyens pour notre développement et tout un support de vente.”

L’ascenseur va dans les deux sens puisque la vente des lentilles produites à Liège est l’un des plus forts vecteurs de croissance du groupe. Celui-ci est spécialisé dans les équipements nécessaires à la chirurgie de l’œil (instruments, champs opératoires, liquides injectés dans l’œil lors d’une opération…). Il s’agit donc de produits complémentaires aux lentilles de l’ex-PhysIOL, ce qui permet à BVI de proposer désormais des solutions globales aux chirurgiens.

Usine au Sart Tilman

L’intérêt d’un groupe, c’est aussi des moyens pour des investissements. En l’occurrence, 4,3 millions d’euros pour la construction de nouvelles unités de production, afin de tripler la capacité du site du Sart Tilman. Ces bâtiments ont été inaugurés en juillet et sont pleinement opérationnels depuis ce 21 août. “Cela nous permettra de rencontrer les besoins de notre expansion géographique”, se réjouit Frédéric Jodogne.

Ces polymères vont être transformés en lentilles intra-oculaires.
Ces polymères vont être transformés en lentilles intra-oculaires. © FRÉDÉRIC SIERAKOWSKI

Les lentilles de BVI-Liège sont certes déjà disponibles dans environ 90 pays mais quelques grands marchés manquaient encore au portefeuille. Depuis le début de l’année, les lentilles sont commercialisées au Japon et les études cliniques sont en cours pour une arrivée sur l’imposant marché américain à l’horizon 2025. A nouveau, l’appui de BVI sera évidemment précieux pour les premiers pas outre-Atlantique et peut-être ensuite en Chine. Mais ne croyez pas que ces ambitions planétaires minimisent le marché belge: celui-ci représentait encore 12% des ventes d’implants en 2022 (9,2 millions d’euros).

“Avoir la production à côté de la R&D est un atout.”

Bien fonctionner dans un groupe, c’est aussi utiliser les forces des uns et des autres. Certaines lentilles sont aujourd’hui préfabriquées dans l’usine américaine de BVI, avec une technologie qui permet d’assurer la production des lentilles les plus communes en gros volumes et à un prix très concurrentiel.

Elles reviennent cependant à Liège pour la finition (fraisage) et pour le contrôle de qualité. Ces opérations sont réalisées dans les nouveaux bâtiments, où l’on extrait les éventuelles matières résiduelles après le fraisage, on vérifie la puissance focale des implants, on analyse l’état de surface des lentilles.

“Le contrôle de conformité reste une opération humaine”, précise Gilles Noël, manager de production de cette usine, par ailleurs largement automatisée. Les différentes références de lentilles sont stockées sur le site (on vous rappelle qu’il y en a plus de 2.500! ), avant d’être distribués à travers le monde. “Nous réalisons parfois des séries d’à peine cinq implants pour les corrections les plus rares”, ajoute Gilles Noël.

2.500 références de lentilles sont stockées sur le site de Sart Tilman.
2.500 références de lentilles sont stockées sur le site de Sart Tilman. © FRÉDÉRIC SIERAKOWSKI

Les lentilles monofocales sont de loin le produit le plus vendu par BVI-Liège. L’entreprise a pourtant mis sur le marché en 2010 des lentilles trifocales, qui corrigent à la fois la vision de près, de loin et entre les deux. Ces lentilles dites premium ne représentent qu’une minorité des ventes de la société (un million d’implants depuis 2010 tout de même) mais il s’agit de produits à haute valeur ajoutée. Ils ont été conçus à Liège par l’équipe de Christophe Pagnoulle (directeur R&D) et ils y sont intégralement fabriqués.

“Nous avons ici un personnel doté d’une haute maîtrise du tournage et du fraisage, acquise notamment dans la sidérurgie et grâce au centre Technifutur, qui forme des opérateurs aux techniques de micro-usinage, explique Frédéric Jodogne. Avoir la production à côté de la R&D est un atout. Elle est impliquée très amont dans le développement des nouvelles lentilles. Dans les prochaines années, plusieurs nouveaux modèles vont sortir et compléter notre gamme. A nouveau, ces recherches sont portées par BVI qui nous donne les moyens de les développer et a, ensuite, la puissance commerciale pour les amener sur le marché.”

BVI-Liège emploie aujourd’hui 220 personnes. Et a priori, cet effectif devrait rester stable dans les prochaines années et donc ne pas suivre la courbe de croissance attendue du côté de la production. L’explication est double: d’une part, les nouvelles installations intègrent des technologies d’automatisation d’une partie des opérations ; d’autre part, le moulage est externalisé dans une autre usine du groupe.

“Le marché du travail est tendu mais, jusqu’à présent, nous parvenons à recruter les profils dont nous avons besoin à Liège”, rassure le directeur des opérations. Si l’emploi n’augmente pas chez BVI-Liège, ses activités contribuent à la croissance d’une myriade d’autres entreprises, essentiellement en Belgique et parfois en France. Elles fabriquent des cartouches d’injection, calibrent des instruments, assurent leur maintenance, etc.

“Vous n’imaginez pas toute la technique qu’il y a derrière.”

Pour étayer le propos, Frédéric Jodogne prend en main une cartouche d’injection et en pointe l’extrémité: un petit tube qui va entrer dans l’œil, pour y injecter la lentille sans la déformer et, bien entendu, sans abîmer l’œil. “Vous n’imaginez pas toute la technique qu’il y a derrière pour calibrer l’épaisseur des parois de ce tube, dit-il. Ça a pris des années pour mettre cela au point et ce n’est pas fini car nous cherchons toujours des améliorations. Pour un tel degré de sophistication, il fallait que cela se passe avec un partenaire près de chez nous (en l’occurrence Plast4Life à Ans, Ndlr). Au fil du temps, notre directeur de la recherche Christophe Pagnoulle a ainsi créé un réseau de fournisseurs, qui participent au développement des nouveaux produits.”

Fournisseurs locaux

Cela contribue à la force de BVI-Liège et c’est très peu délocalisable car un changement de fournisseurs pour de tels équipements implique des procédures de certification qui peuvent prendre parfois plusieurs années. Dans le même esprit de partenariats locaux, l’entreprise s’est impliquée dans les pôles compétitivité (MecaTech), ce qui a permis de faire émerger certains projets ambitieux. Le développement des lentilles trifocales a ainsi été réalisé en collaboration avec huit partenaires, dont l’université de Liège et la société nivelloise Lamda X.

“Il y a eu des avancées technologiques fantastiques ces dernières années dans le domaine des corrections optiques avec notamment la mise sur le marché de lentilles progressives et de lentilles multifocales, explique Christophe Pagnoulle. Il est important de mieux informer les patients des choix qui s’offrent à eux aujourd’hui dans le domaine des corrections optiques.” Aujourd’hui, les personnes qui optent pour une lentille de BVI souffrent de la cataracte. L’implant vient alors remplacer le cristallin de l’œil et permet ainsi à la personne de retrouver une vision correcte. “C’est un message d’espoir pour toutes les personnes atteintes de cataracte et qui hésitent à se faire opérer”, conclut Frédéric Jodogne.

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