Brussels Beer Project, une brasserie gérée comme une start-up
Le Brussels Beer Project souffle ses cinq bougies en septembre. Conçue selon les principes de la culture start-up, elle s’est révélée rentable dès sa troisième année.
” Bienvenue au 21e siècle, adieu au Moyen Age “, peut-on lire en anglais sur les murs de la taproom du Brussels Beer Project (BBP), rue Dansaert à Bruxelles. Une taproom est un local de dégustation aménagé dans une brasserie. Le slogan sur le mur est significatif du désir des deux fondateurs d’injecter une bonne dose d’innovation dans un secteur brassicole toujours très traditionaliste.
Le Belge Olivier de Brauwere et le Breton Sébastien Morvan se sont rencontrés au Canada, où ils séjournaient dans le cadre de leurs études. Inspirés par les innovations qui bousculent l’univers brassicole nord-américain, ces deux ingénieurs commerciaux – ils ont également suivi une formation de brasseur – sont partis d’une feuille blanche. Ils ont conçu leur brasserie selon les principes de la culture start-up. Et l’entreprise se révéla rentable dès la troisième année.
” En 2017, nous avons enregistré un chiffre d’affaires de 2,4 millions d’euros ( pour un bénéfice de 92.574 euros, Ndlr), avec une croissance d’environ 50 %. Nous espérons poursuivre notre croissance à un rythme de 30 % par an “, explique Olivier de Brauwere.
Un travail en trois phases
A la différence des entreprises classiques, les start-up ne passent pas des années à mettre au point leur produit avant de le commercialiser. Elles produisent un produit viable, le vendent, écoutent le feed-back des utilisateurs et se lancent dans un nouveau cycle de développement pour améliorer le produit. C’est exactement ce qu’a fait Brussels Beer Project. L’entreprise a imaginé au départ quatre prototypes qu’elle a baptisés Alpha, Beta, Delta et Gamma. Elle a fait appel aux médias sociaux et participé à des événements pour faire connaître ses bières, laissant un public d’amateurs décider de la bière la plus savoureuse après dégustations. Delta l’a finalement emporté et le lancement officiel a eu lieu en septembre 2013. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’entreprise ne fête son cinquième anniversaire que maintenant alors qu’elle a été formellement créée en mars 2013.
Nous envisageons d’ouvrir une ‘taproom’ aux Pays-Bas ou une deuxième ‘taproom’ en Belgique.” – Olivier De Brauwere et Sébastien Morvan
Le Brussels Beer Project brasse 20 à 30 nouvelles bières par an selon les mêmes principes. ” Nous travaillons désormais en trois phases, détaille Olivier de Brauwere. Nous produisons des bières expérimentales en petites quantités, 2.000 litres. Elles ne sont disponibles que dans nos taprooms. Nous recueillons ainsi un feed-back semi-formel. Tenant compte de ces avis, la deuxième phase est la bière du mois. Nous en produisons donc 12 par an et en brassons 15.000 litres. Ces bières se retrouvent dans des boutiques spécialisées et sont exportées. Nous ne gardons ensuite que quatre prototypes, parmi lesquels nous choisissons une All Star. Les All Stars sont commercialisées en supermarchés et leur production est confiée à la brasserie limbourgeoise Anders, car la brasserie propre de Brussels Beer Project ne dispose pas des capacités suffisantes. ” Les entrepreneurs se sont notamment inspirés de la plateforme internet britannique Threadless, où des designers peuvent présenter leurs projets de tee-shirt. Si le nombre de souscripteurs est suffisant, il est produit.
Avec ses bières expérimentales, le Brussels Beer Project surfe sur les dernières tendances qui agitent le monde brassicole, comme le brassage durable et local, les bières peu alcoolisées et les boissons hybrides qui combinent de la bière avec par exemple du vin, du cola ou du cidre. Une de ses créations les plus étonnantes est la Babylone. Pour cette bière à base de vieux pain recyclé, le BBP collabore avec l’ASBL Groot Eiland et le distributeur Delhaize. Pour une autre bière, Tante Tatin, le brasseur recycle de ” laides ” pommes, et un projet est en cours pour réutiliser le marc de céréales en le transformant en farine.
Identité locale
Bien que le Brussels Beer Project ait l’ambition de devenir un leader européen dans les bières artisanales, la présence de ” Brussels ” dans le nom de l’entreprise met en valeur l’identité locale de l’entreprise. ” Les premiers producteurs de craft beer aux Etats-Unis avaient une brasserie sur la côte Ouest et une brasserie sur la côte Est, à partir desquelles ils desservaient l’ensemble du pays, poursuit Olivier de Brauwere. Aujourd’hui, on a des brasseurs qui se concentrent exclusivement sur leur ville, voire sur leur quartier. Rien qu’à Chicago, on recense plus d’une centaine de brasseries. ” Bruxelles est d’ailleurs un bel exemple de cette évolution vers des brasseries locales, à plus petite échelle (lire l’encadré “Bruxelles, ville brassicole”) ? Selon leur taille, elles se qualifieront de brasseries artisanales, microbrasseries, nano-brasseries ou pico-brasseries. Pour lancer le Brussels Beer Project, les deux fondateurs ont complété leurs propres économies par une action de crowdfunding. Au total, 3.300 personnes ont investi 180 euros via l’action Beer For Life du BBP. De quoi permettre à la brasserie de survivre la première année. ” La deuxième phase portait sur le financement de la brasserie actuelle et la croissance. Nous avons récolté 1,2 million d’euros. Nous avons à nouveau fait appel au crowdfunding, mais nous avons également bénéficié de subventions de la Région bruxelloise, de crédits bancaires et de l’intervention de trois business angels qui ont acquis 20 % de notre entreprise “, explique le Bruxellois. La construction à Anderlecht d’une deuxième brasserie nécessitera une nouvelle levée de fonds. De plus grande capacité, elle sera être opérationnelle en 2020 et permettra de réaliser tous les brassages en Région bruxelloise.
Communauté internationale
Les 3.300 crowdfunders de Beer for Life constituent le coeur de la communauté qu’a créée la brasserie et qu’elle fidélise via les médias sociaux et des événements. ” Ce sont des gens qui fréquentent beaucoup nos événements et nous proposent des idées, commente Olivier de Brauwere. L’idée de créer une nouvelle bière avec le groupe pop britannique Editors vient par exemple d’un fan. ” Le résultat a pour nom ” Salvation “, une Earl Grey Dark Ale, du nom d’une de leurs chansons.
La communauté constituée autour de BBP, qui emploie désormais 16 personnes, a dépassé les frontières belges depuis longtemps. En plus de Bruxelles, l’entreprise dispose désormais de taprooms à Paris – dans la rue de Bruxelles – et au Japon. Ce n’est pas un hasard si ce sont les plus grands marchés d’exportation de Brussels Beer Project, qui vend 25 % de sa production à l’étranger. ” C’était un mix d’opportunisme et de stratégie. Nous sommes ouverts à une taproom aux Pays-Bas ou une deuxième taproom en Belgique. ”
Après une longue vague de consolidation au 20e siècle, le producteur de gueuzes Cantillon est longtemps resté le dernier brasseur actif en Région bruxelloise. Jusqu’à ce que la Brasserie de la Senne, fondée en 2003 à Molenbeek, concrétise sa réussite avec l’installation d’une nouvelle brasserie sur le site de Tour & Taxis. En 2015, la brasserie En Stoemelings était fondée à Laeken. No Science est venue la rejoindre en 2017. La même année, la nano-brasserie L’Ermitage ouvrait ses portes tout près de Cantillon à Anderlecht. Des groupes d’amis peuvent également brasser de la bière dans la microbrasserie Beerstorming à Saint-Gilles, et dans la même commune, L’Annexe expérimente de vieilles recettes de bière depuis 2017. Dans le prolongement de grands festivals de la bière à Barcelone et Londres notamment, l’apparition de ces nouvelles brasseries a également favorisé l’organisation d’une foule de nouveaux événements brassicoles internationaux centrés sur les bières artisanales à Bruxelles.
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