“bpost n’est plus l’entreprise d’il y a 20 ans, pourtant les politiciens la traitent toujours de la même manière”
“Ce qui s’est passé chez bpost peut se produire dans n’importe quelle entreprise publique où le président, les directeurs et les ministres ne comprennent pas ou ne remplissent pas correctement leur rôle “, juge Herman Daems, président l’Institut européen de corporate governance (ECGI) et ancien président de BNP Paribas Fortis.
Toutes ses critiques concernant les capacités de gouvernance du fédéral sont revenues sur le devant de la scène ces dernières semaines, lorsque le fiasco de bpost a éclaté au grand jour. Des ministres, des politiques ainsi que des administrateurs et des employés de l’entreprise publique se sont retrouvés sous un feu nourri de critiques pour de présumés conflits d’intérêts. Jamais auparavant une société, cotée en bourse, n’avait enfreint autant de règles de bonne gouvernance que bpost dans ce cas-ci.
Dans ce contexte, Herman Daems trouve surprenant que le Premier ministre réclame des règles claires. Depuis des années, il existe des règles claires pour les sociétés cotées en bourse, comme le code de gouvernance d’entreprise dont l’application a été imposée par arrêté royal. Comment une telle chose peut-elle se produire ?
“Cela ne s’est pas mal passé avec Bpost. Cette entreprise s’est transformée de manière remarquable. C’est dans la relation entre bpost et le gouvernement que les erreurs ont été commises”, explique M. Daems. “Les gens se sont pliés aux désirs des ministres et des politiciens. Peut-on les blâmer ? Des patrons d’entreprises ont été sacrifiés parce qu’ils ne plaisaient pas aux politiciens.
Comment avez-vous perçu les événements survenus chez bpost ? Comme l’échec total de la gouvernance d’entreprise ?
HERMAN DAEMS. “Ce n’est pas un échec de la gouvernance d’entreprise, c’est l’échec de la gouvernance d’entreprise dans les sociétés publiques. La gouvernance d’entreprise fournit un cadre que chacun doit connaître et dans lequel il doit jouer son rôle. Chez bpost, il semble que le gouvernement, et certains de ses directeurs ne connaissent pas les règles du jeu ou ne veulent pas les respecter. En effet, les hommes politiques ont l’habitude de gouverner à la majorité. Ils se disent : nous avons 51 % des actions, nous pouvons donc faire ce que nous voulons. Ce n’est évidemment pas ainsi que cela fonctionne dans une société cotée en bourse.”
Au cabinet de la ministre des Entreprises publiques Petra De Sutter (Ecolo), deux personnes ont été détachées par bpost. Est-ce possible ?
DAEMS. “C’est possible si le gouvernement possède 100 % des actions de bpost. Dans ce cas, il serait possible de détacher des personnes. Mais ce n’est pas possible s’il y a d’autres actionnaires. Le gouvernement semble avoir oublié que l’apport de capitaux privés a permis à des entreprises comme bpost, Proximus et Brussels Airport de jouer dans la cour des grands. Mais il ne semble pas accepter les conséquences de cette privatisation partielle.”
Pourtant le modèle de la société publique cotée en bourse était considéré comme le meilleur : 49 % des actions sont introduites en bourse, tout en conservant le contrôle des 51% restants en tant que gouvernement. Est-ce la fin de ce modèle ?
DAEMS. “En soi, il n’y a rien de mal à ce modèle. Mais il faut l’utiliser correctement. Ce que le gouvernement a fait, c’est amener l’entreprise en bourse tout en continuant à faire ce qu’il a envie de faire. Il a vu cela comme un tour de manège gratuit : nous encaissons l’argent de l’introduction en bourse et nous continuons à jouer les patrons. Mais un actionnaire, même s’il s’agit du gouvernement, n’est pas au-dessus de la logique boursière, qui est d’encourager les entreprises à fonctionner de manière optimale et à protéger tous les actionnaires.”
Les administrateurs nommés par le gouvernement ne siègent-ils pas dans un conseil d’administration pour représenter les intérêts de ce gouvernement ?
DAEMS. “C’est là que réside le grand malentendu. Vous pouvez être nommé administrateur par le gouvernement ou par un parti politique. Mais une fois administrateur, vous devez servir les intérêts de l’entreprise. On ne siège donc pas au nom d’un actionnaire ou d’un parti particulier. Cela va même jusqu’à interdire à un administrateur de transmettre les documents, qu’il obtient au sein du conseil d’administration, à ses partisans”.
Plus de 3 000 emplois sont liés au contrat controversé de la distribution de journaux. En tant qu’actionnaire ou administrateur, est-il erroné d’insister sur le maintien de l’emploi ?
DAEMS. “L’emploi est important, mais pas de manière isolée. Il doit faire partie d’une vision et d’une stratégie globales, dans le cadre desquelles, en tant qu’entreprise, vous développez vos activités et mettez ainsi des gens au travail. Si l’on se contente de dire : voici 100 millions d’euros de subventions pour garder les gens au travail, on ne fait pas ce qu’il faut. L’entreprise ne tiendra pas, car il n’y a pas d’activité derrière elle qui puisse survivre sans subventions. Aucun gouvernement ne peut subventionner à l’infini, pas même la SNCB”.
Cette débâcle est-elle propre à bpost ? Où aurait-elle pu se produire ailleurs ?
DAEMS. “Cela peut arriver dans toutes les entreprises publiques où les personnes impliquées ne comprennent pas, ne veulent pas comprendre ou ne remplissent pas correctement leur rôle. Il y a aussi des problèmes à Brussels Airport. Le gouvernement veut un président ayant des relations politiques (Wouter Gabriëls, ancien chef de cabinet de Verhofstadt, NDLR). Le partenaire privé préfère quelqu’un qui a de l’expérience en matière de gestion (Roberte Kesteman, ancienne directrice générale de Nuon Belgium, NDLR). Le
Pourtant la gouvernance d’entreprise fonctionne à la banque Belfius, qui est également une banque publique. Pourquoi ?
DAEMS. “Parce qu’il y a deux organismes puissants qui la supervisent. La Banque Nationale, d’une part, et la Banque centrale européenne, d’autre part. Ils ont les choses en mains. On ne devient pas directeur d’une banque comme ça. J’ai moi-même été président de BNP Paribas Fortis pendant 14 ans. Je peux vous assurer que les obligations de reporting ne sont pas des moindres. Aujourd’hui, on ne peut vraiment pas se permettre de faire n’importe quoi en tant qu’administrateur d’une banque “.
Ce problème n’est toujours pas résolu ?
DAEMS. “Jamais en un, deux ou trois ans. Il faut un changement de culture. Chez bpost, le gouvernement est à la fois actionnaire et client. Cela conduit inévitablement à des problèmes. Il faut donc trouver des directeurs qui savent exactement ce que l’on attend d’eux et qui remplissent correctement leur rôle. Mais le PDG et la direction doivent aussi savoir ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Avec tout ce qui est paru dans la presse, il est clair qu’il faudra recruter d’autres personnes pour certains postes”.
Le rôle de la présidente Audrey Hanard, nommée par le PS et qui semble avoir son propre circuit de consultation parallèle en dehors du conseil d’administration, fait l’objet d’une grande attention.
DAEMS. “Le rôle du président.e est celui d’un funambule, qui doit équilibrer les intérêts de toutes les parties prenantes. La présidente de bpost n’a pas bien joué ce rôle. Le fait qu’en tant que présidente, elle ait des contacts avec le Premier ministre ou la ministre De Sutter n’est pas un élément. Il est normal qu’un président de conseil d’administration fournisse des informations sur sa vision et sa stratégie pour l’entreprise. Mais il ne doit évidemment pas consulter un ministre de tutelle sur un dossier concret, comme cela s’est apparemment produit avec le dossier de la distribution des journaux au travers ses contacts avec le ministre de l’Economie et du Travail Pierre-Yves Dermagne”.
Qu’Audrey Hanard ait eu un entretien avec le président du PS Paul Magnette, comment peut-on cataloguer cela ?
DAEMS. “Tout dépend du contenu de la conversation. Que Paul Magnette ait visité bpost, je n’y vois aucun inconvénient. En tant que président.e ou CEO de bpost, il est normal d’avoir des contacts avec des politiciens de premier plan et avec d’autres chefs d’entreprise. Mais il serait incorrect de négocier certaines activités ou certains contrats au cours de ces contacts. On ne peut pas faire cela, ni en tant que président d’une entreprise publique, ni en tant que président d’un parti politique.
Quelle est la solution : privatiser bpost ?
DAEMS. “C’est une des possibilités. Soit l’État se désengage complètement de la société, soit il la rachète. Mais je ne pense pas qu’il puisse se le permettre financièrement. Soit le gouvernement va diriger et gérer l’entreprise sérieusement. Dans ce cas, une professionnalisation et une discipline s’imposent.
Si l’on privatise bpost, ne risque-t-on pas de le regretter comme cela a été le cas pour la vente d’Electrabel ?
DAEMS. “Il ne faut pas surestimer bpost. Cette entreprise n’a pas d’importance stratégique. La distribution du courrier perd de l’importance et l’entreprise devient de plus en plus une société de livraison de colis. On peut s’interroger si justement la livraison de colis est une tâche gouvernementale. En outre, il existe de nombreuses autres entreprises qui offrent ce service. Je pense que nous devrions mieux réfléchir à ce qu’est une infrastructure stratégique pour ce pays et y prêter attention.
Supposons que l’on vous demande, en tant que président de bpost, que feriez-vous ?
DAEMS. “Je prendrais mon temps, car beaucoup de choses doivent être discutées. Je pense qu’il est important de définir exactement quel type d’entreprise bpost veut être : un fournisseur de services publics, une entreprise de commerce électronique moderne, ou les deux. Dans ce dernier cas, il faut clairement séparer les rôles d’actionnaire et de client. On pourrait dire que c’était déjà presque le cas, puisque la ministre De Sutter assumait le rôle d’actionnaire et le ministre Dermagne celui de client. Mais dans la pratique, il y a eu un amalgame, car le client a également commencé à agir en tant qu’actionnaire.
“J’opterais également pour un président indépendant, qui pourrait rétablir les relations et s’engager avec les actionnaires et toutes les parties prenantes en toute indépendance. Mais pour être honnête, je ne pense pas que cela se produira. Le gouvernement est coincé dans une façon de penser archaïque. bpost n’est plus la même entreprise qu’il y a 20 ans et pourtant les politiciens la traitent toujours de la même manière”.
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