Bourse: l’aéronautique en plein décollage

L’Airbus A320 vient de détrôner le Boeing 737 pour devenir l’avion le plus vendu de l’histoire. © Getty Images

Moins médiatisée que la défense, le luxe ou les nouvelles technologies, l’aéronautique européenne a connu de nombreux succès ces dernières années. Et les perspectives de croissance restent au beau fixe, tant à court qu’à long terme.

Le motoriste britannique Rolls-Royce, qui ne fabrique plus les prestigieuses voitures éponymes depuis 1998, illustre sans doute le mieux la période faste que connaît le secteur aéronautique. Lorsqu’il a repris les rênes du groupe, début 2023, Tufan Erginbilgic ne mâchait pas ses mots. “Chacun de nos investissements détruit de la valeur”, déclarait-il, précisant que financièrement, Rolls-Royce “sous-performe tous ses concurrents”. De quoi confirmer que les difficultés de la vénérable entreprise britannique ne s’expliquaient pas que par la crise du covid.

Redressement express

Deux ans et demi plus tard, “Turbo Tufan”, comme on le surnomme désormais dans la City, a métamorphosé le vilain petit canard en cygne majestueux. Les résultats parlent d’eux-mêmes : un chiffre d’affaires attendu à plus de 19 milliards de livres cette année, soit une progression de 52% en trois ans ; un bénéfice opérationnel qui devrait franchir les 3 milliards de livres, soit cinq fois mieux qu’en 2022 ; et une dette transformée en trésorerie plantureuse qui permet au groupe de gratifier ses actionnaires.

À la Bourse de Londres, la valeur du titre a été multipliée par dix, faisant de Rolls-Royce l’un des poids lourds du Footsie 100. Cette success story ne reflète pas seulement une stratégie interne réussie, elle traduit aussi la santé retrouvée de l’aviation civile européenne. Rolls-Royce est en effet le motoriste exclusif des gros-porteurs Airbus A330 et A350, entre autres.

Il reste en revanche absent du marché des monocouloirs, dominé par l’A320 et ses différentes versions (de l’A318 à l’A321). Ce dernier vient de détrôner le Boeing 737 pour devenir l’avion le plus vendu de l’histoire, avec plus de 12.000 exemplaires livrés depuis sa mise en production en 1988, soit 21 ans après le lancement du 737.

Airbus domine Boeing

Malgré l’échec commercial de l’A380, Airbus a en effet pris un ascendant considérable sur Boeing. L’avionneur américain, qui avait pourtant anticipé correctement l’évolution du marché, accumule depuis cinq ans les revers opérationnels.

Aux crashs du 737 MAX, ayant débouché sur une interdiction de vol mondiale entre 2019 et 2020, s’est ajouté l’incident spectaculaire de la porte arrachée sur un vol d’Alaska Airlines, début 2024. Dans la foulée, plusieurs lanceurs d’alerte internes ont évoqué des problèmes systémiques, notamment en matière de supervision, dans la chaîne de production.

Malgré l’échec commercial de l’A380, Airbus a pris un ascendant considérable sur Boeing.

Et les statistiques (macabres) sont implacables : sur les 10 dernières années, Airbus n’a déploré que trois accidents mortels pour les personnes à bord (attribués à un attentat, à un défaut de maintenance et à des erreurs de pilotage) pour 17 à Boeing. Qu’il s’agisse d’une loi des séries ou de failles de sécurité plus structurelles, le doute plane, et il pèse sur les carnets de commandes. Depuis 2019, Airbus a clairement pris le large.

Les déboires du 737 MAX ont en effet ouvert un boulevard à la famille A32Xneo, plébiscitée par les compagnies low cost du monde entier. L’A320neo revendique aujourd’hui 62% de part de marché dans les monocouloirs et son dérivé à rayon d’action étendu, l’A321neo, accapare 80% des commandes de sa catégorie. Ce dernier représente ainsi 60% du carnet de commandes d’Airbus.

Cadences de production

Un carnet de commandes qui comptait 8.690 appareils fin juin, contre 6.572 pour Boeing, dont plus de 600 considérés comme incertains. Pour Airbus, cela représente plus de 10 années de production au rythme de 2025 (820 livraisons prévues).

Cette visibilité offre surtout à Airbus la possibilité d’accélérer fortement ses cadences – qui sont actuellement essentiellement freinées par des difficultés d’approvisionnement. Le groupe devrait ainsi dépasser, dès l’an prochain, son record de 2019 (863 livraisons) et s’est fixé des objectifs particulièrement ambitieux pour les années suivantes : produire chaque mois 14 A220 à partir de 2026, 75 A32Xneo d’ici 2027, 12 A350 en 2028 et cinq A330 en 2029. Au total, Airbus vise à atteindre une cadence de 106 avions par mois à l’horizon 2029, soit 1.272 appareils par an, ce qui serait un bond de 55% par rapport à 2025.

À plus long terme, les perspectives de marché demeurent également favorables. Dans ses projections stratégiques publiées en juin, l’avionneur anticipe un quasi-doublement de la flotte mondiale d’ici 20 ans. En tenant compte du renouvellement des appareils vieillissants, cela représente 42.450 avions de passagers et 970 cargos à livrer entre 2025 et 2044.

Pas de réelle menace chinoise

Le principal défi d’Airbus consiste désormais à consolider son leadership mondial, non seulement face à Boeing, mais aussi face au constructeur chinois Comac, encore jeune dans l’industrie aéronautique. Fondé en 2008, ce dernier a repoussé à la prochaine décennie le développement d’un appareil long-courrier et concentre pour l’instant ses efforts sur son monocouloir C919, concurrent direct de l’A320neo.

Malgré plus de 1.000 commandes enregistrées – presque toutes issues de compagnies chinoises –, le programme peine à décoller commercialement. Depuis 2022, seuls 22 appareils ont été livrés, dont cinq au premier semestre 2025. L’objectif officiel de produire 50 exemplaires cette année, annoncé en mars, semble d’ores et déjà hors de portée.

Sur le plan commercial, Airbus conserve une longueur d’avance, tout particulièrement sur le plan de l’efficacité énergétique. L’exemple des monocouloirs l’illustre à merveille, les trois avionneurs recourant (notamment) à des moteurs comparables développés par CFM International (coentreprise entre Safran et GE). Selon les données de Simple Flying, le 737MAX8 consomme 1 à 2% de plus que l’A320neo, tandis que le Comac accuse un retard bien plus marqué, avec une surconsommation d’environ 10% par siège. Cet écart se reflète sur les coûts d’exploitation, l’autonomie réduite et l’empreinte environnementale.

Et l’avionneur européen ne relâche pas ses efforts. Sur le plan écologique, ses appareils actuels sont déjà capables d’utiliser jusqu’à 50% de carburants d’aviation durables (SAF), une proportion qu’Airbus entend porter à 100% d’ici 2030. Et surtout, il prépare activement le successeur de l’A320neo, attendu entre 2035 et 2040, avec l’ambition de réduire la consommation de carburant d’environ 20%.

Rolls-Royce en embuscade

CFM International, qui détient près de 72% du marché mondial des monocouloirs, travaille évidemment en étroite collaboration avec Airbus. Le motoriste franco- américain mise notamment sur son projet RISE, un concept de moteur “open fan” (soufflante décarénée), dont les pales externes rappellent celles d’une hélice.

Si Rolls-Royce parvenait à se développer sur le segment stratégique des monocouloirs, son potentiel de développement serait considérable.

Mais Rolls-Royce reste en embuscade. Son patron, Tufan Erginbilgic, a récemment indiqué avoir étudié la faisabilité d’un moteur décaréné, avant de privilégier une approche plus classique basée sur sa technologie “ultra fan” (combinant matériaux composites et un nouveau type de boîte de vitesses). L’industriel britannique estime en effet pouvoir offrir des gains de consommation comparables, tout en réduisant considérablement les risques commerciaux : la configuration proche des moteurs actuels limite les contraintes d’adaptation au niveau du design des avions et évite tout impact potentiel sur le confort des passagers.

Si Rolls-Royce parvenait à se développer sur le segment stratégique des monocouloirs, son potentiel de développement serait considérable. Cette perspective est toutefois lointaine, et dans l’immédiat, le groupe enregistre déjà une forte expansion grâce à l’accélération des cadences de production et à la croissance du trafic (synonyme de davantage d’entretiens), ainsi qu’au développement de ses autres activités, notamment les moteurs maritimes et la défense. Cela explique pourquoi la majorité des analystes recommandent encore le titre à l’achat, malgré une valorisation relativement élevée, à 36 fois le bénéfice attendu cette année.

Encore en difficulté au début de 2023, Rolls-Royce est depuis lors l’un des poids lourds du Footsie 100. © Getty Images

Safran et Airbus en références

Safran affiche une valorisation comparable, à 35 fois les bénéfices attendus cette année, avec un potentiel de croissance significatif à court comme à long terme. Le groupe bénéficie en effet de l’accélération des cadences de production grâce à sa coentreprise CFM International ainsi qu’aux nombreux équipements qu’il fournit aux avionneurs : trains d’atterrissage, câblage, aménagements intérieurs, systèmes de navigation… Safran se positionne par conséquent comme le deuxième équipementier aéronautique mondial et dispose également d’activités annexes dans la défense, où il est leader mondial en optronique, ainsi que dans le spatial. Les deux tiers des analystes sont à l’achat.

Airbus, de son côté, affiche une valorisation de 28 fois le bénéfice attendu cette année, un multiple qui retombe à 23 fois sur la base des prévisions pour 2026. Les résultats du groupe devraient en effet croître rapidement dans les prochaines années, portés par l’accélération des livraisons d’avions civils et par la bonne tenue de ses activités secondaires – hélicoptères, défense et spatial – qui représentent près d’un tiers de ses revenus. Sans surprise, la majorité des analystes recommandent l’achat, et aucun ne formule de conseil négatif.

D’autres groupes, comme Thalès ou Leonardo, sont également des acteurs majeurs de l’aéronautique, mais leurs résultats dépendent principalement de la défense.

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