Belga Solar, seul fabricant belge de panneaux solaires: “Il est temps d’agir”

Frédéric Conrads et Sébastien Mahieu dirigent Belga Solar. © PG
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

En décembre, une trentaine d’entreprises chinoises ont constitué une entente sur la production et les prix des panneaux photovoltaïques, s’inquiète Sébastien Mahieu, qui dirige, avec Frédéric Conrads, le seul fabricant belge du secteur, Belga Solar.

C’est l’histoire du petit village gaulois encerclé par les camps fortifiés romains. Mais c’est la saison 2. Les camps d’Aquarium, Babaorum, Petibonum et Laudanum sont devenus les grands fabricants chinois de panneaux solaires. Ils se nomment Longi, Trina Solar, JA Solar, Tongwei, Aiko, etc. Et le petit village gaulois se nomme désormais Belga Solar, l’unique fabricant belge de panneaux photovoltaïques. Il est situé dans le zoning de Baillonville, près de Marche-en-Famenne.

L’Opep des panneaux

Pourquoi Belga Solar se sent-il isolé ? Parce que lors de la réunion annuelle de l’Association de l’industrie photovoltaïque chinoise, qui s’est tenue au début du mois de décembre dernier, les principaux fabricants chinois de panneaux photovoltaïques ont constitué un cartel… sans grande réaction européenne.

On explique : depuis un peu plus d’un an, le marché mondial du photovoltaïque souffre de surproduction. La Chine, qui veut atteindre le net zéro en 2060, a investi en une dizaine d’années une cinquantaine de milliards de dollars dans de nouvelles lignes de production. Aujourd’hui, les entreprises chinoises représentent les quatre cinquièmes de la capacité mondiale de production de panneaux photovoltaïques. Elles peuvent produire chaque année du matériel pour une capacité de 1.200 GW. Ce qui est beaucoup plus que ce que la demande mondiale peut absorber.

Les entreprises chinoises, par ailleurs soupçonnées de bénéficier d’importants subsides, se sont livrées à une concurrence féroce. Entre 2023 et aujourd’hui, les prix des panneaux ont chuté de 60 à 80%. L’année 2024 a été particulièrement terrible pour ces entreprises. Sur les neuf premiers mois de l’année, Longi accuse une perte de 6,5 milliards de yuans (850 millions d’euros environ), Trina Solar de 846 millions de yuans (110 millions d’euros) et JA Solar de 484 millions de yuans (63 millions d’euros).

Cartel chinois

Pour mettre fin à cette guerre suicidaire, une bonne trentaine d’entreprises chinoises se sont inspirées de l’OPEP, l’organisation qui regroupe 12 pays exportateurs de pétrole. Ces producteurs chinois se sont mis d’accord en décembre dernier sur des quotas de production et un prix minimum de vente.

Ces remous mondiaux sont ressentis par Belga Solar. Cette entreprise fondée il y a une vingtaine d’années (elle s’appelait alors Evocells) a été reprise en 2022 par un duo d’entrepreneurs, Frédéric Conrads et Sébastien Mahieu. Si les années 2022 et 2023 ont été très bonnes, avec un bénéfice, respectivement, de 330.000 et 500.000 euros, 2024 s’est révélée plus compliquée. Même si financièrement, la société a pu, à l’été dernier, renforcer ses fonds propres à hauteur de 3 millions d’euros grâce à Wallonie Entreprendre et à la famille Moorkens. Mais cet argent, initialement destiné à financer la construction de nouvelles lignes de production, servira plutôt à renforcer la résilience de l’entreprise.

Lorsque Sébastien Mahieu a vu une dépêche d’agence de presse relatant la constitution de ce cartel chinois, il a averti la Commission européenne. “C’est une manipulation de marché, c’est illicite et cela va à l’encontre des règles de concurrence que les autorités européennes doivent faire respecter”, disait-il. Mais le chef d’entreprise belge s’est vu répondre que si son courrier avait retenu l’attention des services de la Commission, il n’avait toutefois pas déposé une plainte formelle. Donc aucune action spécifique n’était entreprise. “Je trouve cette réponse un peu étonnante, avoue Sébastien Mahieu. Mon travail consiste à gérer une entreprise, pas faire des enquêtes.”

Flexibilité et innovation

“Notre usine a l’avantage d’être un producteur de taille moyenne, ce qui permet une certaine flexibilité, explique Sébastien Mahieu. Nous avons pu faire face à cette situation. D’abord, parce que nous sommes également un installateur. Et sur cette activité, nous avons eu une année 2024 meilleure que la plupart des autres acteurs du marché. Je pense que c’est parce que nous avons une offre différenciante. Nous sommes un producteur belge, nous savons ce que nous installons. Et nous portons une grande attention au service après-vente, aux garanties, etc.” Belga Solar s’est aussi lancée dans l’enrichissement de sa palette de produits.

“Nous avons diversifié notre production en étant présents dans les matériaux photovoltaïques intégrés dans des éléments de construction, ajoute-t-il. Et nous produisons par exemple pour le groupe Colas du photovoltaïque circulable (comme des pistes cyclables intégrant des panneaux, qui existent aux Pays-Bas, ndlr). Nous pouvons également produire du photovoltaïque souple ou intégré dans des éléments en verre. Tout cela fait que, fort heureusement, la société peut continuer à travailler.”

Label B Corp

Belga Solar est le seul fabricant de panneaux photovoltaïques au monde à pouvoir revendiquer un label B Corp. Il étend également son marché en visant les pays voisins, mais aussi la grande exportation. “Nous venons de réaliser un important projet, financé par l’Awex et Finexpo, en Équateur”, se réjouit Sébastien Mahieu. Belga Solar a en effet équipé de panneaux les toits de l’Universidad Estatal Amazónica, qui couvriront l’entièreté des besoins en électricité de l’université.

“Ce qui est cependant frustrant, poursuit le patron de Belga Solar, c’est la part de marché relativement petite que nous occupons en Belgique. Quand on voit le nombre de panneaux installés dans le pays, nous devrions être beaucoup plus grands. Mais pour cela, il faut que les règles de concurrence s’appliquent de manière normale à tous.”

Belga Solar s’est lancée dans l’enrichissement de sa palette de produits. © PG

Géopolitique du photovoltaïque

Or, la géopolitique du photovoltaïque montre des inégalités flagrantes, et le problème n’est pas seulement chinois. “Le début de la dégringolade des prix est arrivé en même temps que l’Inflation Reduction Act américain. Une mesure (promulguée par l’administration Biden en août 2022, ndlr) que les États-Unis ont prise parce qu’ils ont constaté que s’ils n’y prenaient pas garde, ils allaient devenir très dépendants de la Chine pour réaliser leur transition énergétique. Ils ont donc favorisé le développement de leur industrie, en soutenant les investissements locaux et en appliquant des taxes afin de se protéger d’un dumping extérieur.”

Une politique qui n’a pas été suivie par l’Europe. “Nous avons laissé les portes de l’importation ouvertes aux quatre vents. Nous avons imposé aux entreprises européennes une concurrence déloyale, sans que le régulateur ne siffle la fin de la récréation”, déplore le patron de Belga Solar.

Le pire est que l’Europe se tire deux fois une balle dans le pied. Non seulement elle laisse se développer une jungle entre producteurs, mais elle ne réagit pas non plus côté demande. “Les marchés publics européens n’intègrent pas grand-chose d’autre que le prix dans leurs critères, souligne Sébastien Mahieu. La Chine n’est pas signataire des traités de l’OMC sur les marchés publics. Si je voulais répondre à un marché public chinois, je ne pourrais pas. En revanche, nous ouvrons grandes nos portes à des entreprises chinoises à qui nous ne faisons pas respecter les mêmes règles de production que chez nous.”

Qualité des composants

Ce dumping chinois risque par ailleurs de poser des problèmes à terme, car pour réduire les prix, des concessions sont faites sur la qualité. “Nous voyons une grande différence quand nous effectuons des tests de qualité, d’électroluminescence, etc. En jouant sur la qualité des composants, on peut gagner un peu, mais les problèmes se poseront fatalement dans quelques années”, avertit Sébastien Mahieu.

Il y a bien des règlements européens comme le net zéro industrie. Celui-ci vise à ce que d’ici 2030, 40% des technologies qui visent à décarboner l’économie soient produites en Europe. “Il y a le règlement sur le travail forcé adopté en décembre dernier. Et évidemment il touche aussi le secteur du photovoltaïque, poursuit Sébastien Mahieu. Mais là, on laisse trois ans aux entreprises pour s’y conformer. Nos entreprises sont déjà soumises à la réglementation sociale belge, mais nous devrons accepter encore pendant trois ans sur notre territoire des produits d’importation qui ne respectent pas ces règles-là. Nous ne nous battons pas à armes égales.”

“Ce problème chinois n’est pas propre au photovoltaïque. Il est généralisé au niveau industriel européen.” – Sébastien Mahieu (Belga Solar)

Agir sur les marchés publics

Face à une situation qui est devenue problématique en peu d’années, les pays européens, et la Belgique en particulier, ne sont pourtant pas désarmés. “Nous pourrions agir un peu plus vite en adaptant le cahier des charges des commandes publiques, observe Sébastien Mahieu. D’autres pays que la Belgique le font, tels que la France, l’Italie ou le Grand-Duché de Luxembourg. Il y a des clauses mises en avant pour favoriser officiellement l’ensemble des producteurs européens, et dans la pratique leurs fabricants locaux. En Ukraine, les projets photovoltaïques proposent des panneaux fabriqués en Europe plutôt qu’en Chine, car les Ukrainiens sont particulièrement sensibles au soutien que la Chine apporte à la Russie.”

La Lituanie a pris des dispositions pour interdire progressivement l’emploi de matériel électrique susceptible d’envoyer des données en dehors de l’Union européenne. Dans notre pays, on reste toutefois frileux. “J’ai vu récemment pour la première fois en Belgique un cahier de charges intéressant, dans lequel on tient compte du poids carbone des panneaux et des certifications comme Ecovadis ou B Corp.”

Des choses bougent, mais pas de manière énorme. Et pas suffisamment rapidement, observe Sébastien Mahieu, qui conclut : “Ce problème chinois n’est pas propre au photovoltaïque. Il est généralisé au niveau industriel européen. Pratiquement toute l’industrie européenne pointe vers le même endroit, que ce soient les producteurs de voitures, les producteurs d’onduleurs, d’éoliennes, de batteries ou les entreprises actives dans l’hydrogène. Quand on voit tout cela, on se dit qu’il est temps d’agir.”

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