Beaucoup d’entreprises ont profité de l’inflation pour augmenter leurs marges
Et elles ont profité de l’inflation et des distorsions causées par le covid pour le faire, observe la BCE qui a scruté les taux de marges dans la zone euro.
Voilà encore une étude qui va animer les débats au sein des partenaires sociaux. Trois économistes de la Banque centrale européenne viennent de publier un article sur l’évolution de l’inflation dans lequel ils pointent que, dans la zone euro, les marges des entreprises ont plutôt bien profité de l’inflation, particulièrement l’an dernier. Alors évidemment, comme toujours dans ce type d’exercices, on parle de moyennes. Cela signifie qu’un pays n’est pas l’autre (on verra que la situation belge est un peu différente), qu’une entreprise n’est pas l’autre et qu’un secteur n’est pas l’autre. Et dans ces moyennes, la situation des grandes entreprises pèse plus que celle des petites.
Spirale dangereuse
Petite précision : on va parler ici du taux de marge, qui est le rapport entre l’excédent brut d’exploitation et la valeur ajoutée. Il mesure la richesse (la valeur ajoutée) que les entreprises conservent après avoir payé les salaires. Contrairement au taux de profit, il ne prend pas en compte les amortissements, les intérêts à payer sur la dette et les impôts.
Le sujet du papier de la BCE est de mettre en garde contre l’amorce d’une spirale inflatoire incontrôlée, cauchemar des banquiers centraux. On observe en effet que personne – entreprise ou travailleur – ne veut lâcher du lest et prendre à sa charge une partie du coût de la hausse des prix de l’énergie et plus généralement de l’inflation.
« Les prix élevés de l’énergie ont fait chuter les revenus réels. La répartition de ces pertes est au cœur des récentes négociations entre les entreprises et les travailleurs, constatent Oscar Arce, Elke Hahn et Gerrit Koester. Si les deux parties tentent de compenser unilatéralement toute perte de revenu réel, cela pourrait déclencher des augmentations successives des salaires et des prix, et créer des risques de spirale ascendante qui pourrait appauvrir tout le monde », résument-ils.
Pas de pertes de parts de marché
Mais si les entreprises, du moins celles qui ont un « pricing power suffisant », peuvent ajuster rapidement leurs prix de vente, pour les salariés, le processus est généralement différent (on parle ici au niveau européen où il n’existe pas d’indexation automatique des salaires comme chez nous). « Alors que les ajustements de prix des entreprises peuvent être relativement rapides, la fixation des salaires est généralement échelonnée dans les pays de la zone euro et nécessite souvent un long processus de négociation », soulignent les économistes.
Ils ajoutent : « de nombreuses entreprises sont apparemment en mesure d’accroître leurs marges bénéficiaires sans subir de pertes significatives de parts de marché. Comment cela se fait-il ? Tout d’abord, la demande dépasse l’offre dans de nombreux secteurs : l’augmentation de la demande de certains biens et services après la pandémie a rencontré les contraintes d’offre des entreprises qui ont du mal à se procurer suffisamment de matières premières, de biens intermédiaires, d’équipements et de main-d’œuvre. Les prix élevés des intrants (par exemple pour l’énergie) ont également permis aux entreprises d’augmenter plus facilement leurs marges bénéficiaires, parce qu’il est plus difficile de déterminer si des prix plus élevés sont dus à des coûts plus élevés ou à des marges plus élevées. Et puisque les entreprises cherchent à récupérer leurs pertes de revenus réels chaque fois que cela est possible, l’environnement d’inflation élevée peut fournir une occasion supplémentaire de le faire ». Résumons : les perturbations nées du covid font qu’il est toujours difficile de se procurer certains biens et services, et donc, les entreprises sont dans une bonne situation pour augmenter leur prix sans perdre des parts de marché, d’autant plus qu’elles peuvent justifier cette augmentation par le réveil de l’inflation.
Agriculture, énergie, industrie, services…
Une comparaison des évolutions depuis le début de la pandémie montre que, dans l’ensemble de la zone euro, les taux de marges ont augmenté plus rapidement que les coûts unitaires de main-d’œuvre depuis le début de l’année 2022, et dans certains secteurs économiques depuis la fin de l’année 2019.
En zoomant sur les évolutions sectorielles, on constate que les marges ont augmenté beaucoup plus que les coûts de la main-d’œuvre dans le secteur agricole, soutenu par la hausse des prix des denrées alimentaires ; l’énergie et les services publics (y compris l’électricité et le gaz), où certains producteurs ont profité le plus de la hausse des prix de l’énergie ; la construction, où les entreprises ont profité de la hausse de la demande de logements après la pandémie ; l’industrie manufacturière, où les coûts des intrants ont augmenté et où l’offre restreinte a été confrontée à une forte demande ; les secteurs des services à forte intensité de contact, où les entreprises sont toujours confrontées à une reprise forte et persistante de la demande face à une offre limitée depuis la réouverture après la pandémie.
Et en Belgique ? Les taux de marge des entreprises non financières ont été en progression ces dernières années et sont restés l’an dernier à un niveau « historiquement élevé », notait récemment la Banque Nationale. Toutefois, ce taux s’est tassé ces derniers temps : il est passé de 44,1% (un record) en 2021 à 43,8% l’an dernier et même 43,1% au dernier trimestre 2022. La raison est évidemment la hausse des coûts salariaux. Et la BNB rappelle que ce taux « ne traduit pas l’hétérogénéité des situations au sein du secteur ». Une fois encore, les petites entreprises, en général, souffrent bien davantage que les grandes.
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