Barbie bientôt à nouveau incontournable ?

Le fabricant de jouets Mattel fait tout pour que Barbie reste désirable. Pourtant, à 64 ans, la poupée semble avoir perdu un peu de sa superbe. Le film tant attendu, avec Margot Robbie et Ryan Gosling, pourrait changer la donne.

Barbie est une poupée des extrêmes. Soit on l’aime, soit on la déteste. Pour ses fans, Barbie est un gourou du style, un modèle d’émancipation et l’une des icônes les plus puissantes de la culture populaire américaine. Très populaire auprès des petites filles amatrices de rose et de paillettes, son apparence – longs cheveux blonds, seins obus, taille ultra-fine et jambes interminables – en a aussi fait un sex-symbol. Pour Joe Cannizzaro, l’un de ses créateurs, “quand on voit la silhouette d’un lapin de Playboy, on voit Barbie”. Cette personnification d’un idéal de beauté irréaliste et stéréotypé en a fait l’une des bêtes noires des féministes. On l’accuse également d’être la Paris Hilton de la boîte à jouets, soit une écervelée doublée d’une matérialiste. Malgré cette relation d’amour-haine, plus d’un milliard de poupées Barbie ont déjà été vendues dans 150 pays. 85 % des filles américaines âgées de 3 à 10 ans en possèdent au moins une. Barbie a fait la couverture de Vogue et de Sports Illustrated, et a inspiré des artistes tels qu’Andy Warhol et Cindy Sherman. Des musées iront jusqu’à lui consacrer des expositions.

Einstein du marketing

Barbie – de son vrai nom Barbara Millicent Roberts – est officiellement née le 9 mars 1959, jour où elle a été présentée à l’American International Toy Fair de New York. Elle a été conçue par Ruth Handler, qui avait fondé l’entreprise de jouets Mattel avec son mari Elliot en 1945. Dans les années 1950, les Handler ont déjà à leur actif plusieurs succès commerciaux. Tous sont faits dans un nouveau matériau à la mode : le plastique. Rapidement, Ruth va avoir l’idée de fabriquer une poupée qui ressemblerait à une femme adulte. L’idée lui est venue après avoir constaté que sa fille Barbara et ses amies n’aimaient pas les poupées représentant des bébés ou des enfants. Soit la majorité des jouets pour filles à l’époque. Elles préféraient de loin jouer avec des images découpées de mannequins. Dans une interview, Mme Handler déclarera plus tard qu’”elles essayaient d’imaginer leur vie d’adulte dans leurs jeux”. “Je me suis dit que s’il y avait moyen de rendre ce jeu tridimensionnel, nous aurions quelque chose de très spécial entre les mains. »

Dans un premier temps, il semble pourtant impossible aux concepteurs de chez Mattel de produire une telle poupée à un prix raisonnable. Mais tout change lorsque, lors d’un voyage en Europe en 1956, les Handler découvrent les Bild Lilli à Zurich et à Vienne. Cette poupée pin-up à destination d’un public masculin est en plastique. Elle a une taille étroite, de longues jambes fines et des talons aiguilles. En les voyant, Ruth a une révélation : il est donc bel et bien possible de fabriquer une telle figurine. Elle achète plusieurs modèles et met son service créatif au travail.

Autre coup de génie, Mattel va faire appel à Ernest Dichter, “l’Einstein du marketing », pour s’occuper du lancement de cette nouvelle poupée.

Après avoir interrogé un panel de 191 enfants et 45 mères, Dichter conclut que la plupart des filles étaient séduites par la poupée, mais que pour les mères elle est trop osée. Dichter trouve la parade en axant la communication sur le fait que la poupée pouvait “éveiller l’intérêt des jeunes filles pour une apparence soignée”. Les mères de jeunes filles un peu souillonnes et négligées n’avaient pas à s’inquiéter : Barbie leur montrerait le chemin pour se métamorphoser en femme élégante. Dans la foulée, il va aussi conseiller à Mattel de donner de plus gros seins à Barbie.

Une louve sous une peau de brebis

Mattel a été le premier fabricant de jouets à cibler directement les enfants par le biais de la publicité télévisée. “Dès la première publicité, nous avons présenté Barbie comme un être humain. Nous ne disions nulle part qu’il s’agissait d’une poupée”, explique Cy Schneider, qui a conçu les spots. Les concepteurs ont imaginé une multitude d’activités sociales pour Barbie : elle se rendait à des fêtes, avait des rendez-vous sur la plage, partait en vacances au ski, faisait du shopping, de l’exercice, des pique-niques et des barbecues. Chaque activité impliquait une garde-robe que l’on pouvait se procurer séparément. Et le succès est immédiat. La première année, c’est 351 000 poupées qui seront vendues. Ce qui fera dire en 1960 au chef du département marketing que “si Mattel continue de croître à ce rythme, nos ventes dépasseront le produit intérieur brut dans les années 1980”

Vie de luxe, plus de 200 carrière et un petit-ami comme accessoire

Barbie mène une vie de luxe, mais cet argent elle l’a gagné elle-même. Une petite révolution à une époque où la réussite des femmes passe encore par le mari. Ce qui fait dire critique M.G. Lord que Barbie est une louve déguisée en brebis. Et si dès 1961, Barbie a un petit ami prénommé Ken, il n’a jamais été plus qu’un accessoire. Elle ne tombe pas non plus enceinte. En 64 ans d’existence, Barbie a connu près de 200 carrières. Elle a exercé des métiers plus classiques comme professeur, infirmière, vétérinaire, policière, hôtesse de l’air et photographe de bébés, mais aussi mannequin, chanteuse, ballerine, cuistot à la télévision, athlète olympique, officier de l’armée, entrepreneur, médecin, paléontologue, entraîneur de football, pilote de course et astronaute. Elle s’est présentée plusieurs fois à l’élection présidentielle américaine, et, en passant a aussi été elfe et sirène. Sa devise est I can Be “Je peux être”. “Barbie montre toujours qu’une femme a le choix”, telle était la conviction de Ruth Handler.

L’ultime fashionista

En même temps, Barbie est la fashionista par excellence. Mattel a d’ailleurs constamment renouvelé sa garde-robe pour la maintenir à jour, en faisant régulièrement appel à des couturiers de renom. Dans les années 1960, Barbie est à l’image de Jacky Kennedy, mais elle reçoit aussi une tenue hippie. Elle a une robe noire à la Coco Chanel, va skier à St Moritz dans une exquise tenue rose, s’imprègne du style disco et porte des jeans. Elle ressemblait tantôt à une femme de la haute société, tantôt à une superstar, tantôt à la bonne fille d’à côté.

Son apparence varie aussi constamment. Elle change souvent de visage et de couleur de cheveux. Les premières Barbie avaient un regard abattu et un eye-liner noir épais. Cela change en 1967 et porte un maquillage plus léger avec de “vrais” cils. Dix ans plus tard, elle subit un nouveau lifting pour ressembler à Farrah Fawcett, la star de la série télévisée Charlie’s Angels. En 1980, elle prend pour la première fois un virage multiculturel, mais sans grande conviction. La Barbie noire avait un bronzage foncé et des cheveux bouclés, mais pour le reste, elle ressemblait à la blanche qu’elle était.

Dans le collimateur des féministes

Barbie a beau se revendiquer comme une femme à l’esprit libre, elle a très tôt été dans le collimateur des féministes. Selon les critiques, le message de Barbie est que l’apparence est plus importante que le talent et l’intelligence. Elle incite les filles à croire que leur valeur personnelle dépend de ce à quoi elle ressemble. Une hargne entretenue par les faux pas de Mattel, comme en 2014 et la Barbie « I Can Be a Computer Engineer (Barbie : je peux être ingénieur en informatique) ». Barbie s’exclame qu’”elle a besoin de l’aide de Brian et de Steve pour s’en sortir, car les femmes sont des ignorantes numériques”.

Mais c’est surtout sa taille ultra mince qui lui a valu le plus de critiques. Les médecins de l’hôpital universitaire d’Helsinki ont ainsi démontré que si Barbie était une vraie femme, elle serait trop maigre pour avoir ses règles. Mattel lui a donné cette mini taille de guêpe pour que ses vêtements soient bien ajustés, selon la version officielle. Mais cela montre aussi que Barbie surveillait strictement son poids. Depuis des décennies, Barbie est accusée de déclencher des troubles alimentaires chez les jeunes filles. En 2006, une étude a confirmé que les filles qui jouent avec des Barbie dès leur plus jeune âge s’inquiètent davantage de leur poids.

Crise d’identité

Cela fait maintenant dix ans que Barbie traverse une crise d’identité. Rien qu’entre 2012 et 2014, les ventes mondiales ont chuté d’un cinquième. Alors qu’elle s’adressait autrefois aux filles de 12 ans, elle séduit aujourd’hui davantage les enfants de 3 à 7 ans. Dans les magasins de jouets, elle est en concurrence avec des poupées qui ont du cran et qui vivent des aventures passionnantes – comme Elsa, le personnage principal du film d’animation Frozen de Disney – et avec les Bratz, qui s’adressent aux filles âgées de 8 à 10 ans.

En 2016, Mattel annonce un nouveau remodelage de Barbie. Il promet d’être spectaculaire. En plus de la poupée originale, Barbie serait désormais disponible en trois nouvelles formes de corps plus réalistes : petite, grande et ronde. Avec ses tailles plus larges, elle va faire la couverture du Time pour la première fois. Et qu’importe si la Barbie ronde reste encore mince selon les normes américaines. Les filles ont également le choix entre un large éventail de coiffures, de couleurs d’yeux et de types de peau, allant du blanc au brun foncé.

“Nous pensons qu’il est de notre responsabilité, vis-à-vis des filles et de leurs parents, d’offrir une vision plus large de la beauté”, a écrit Evelyn Mazzocco, responsable mondiale de la marque Barbie chez Mattel, dans le communiqué de presse relatif à la nouvelle ligne. “La variété des morphologies, des couleurs de peau et des styles permet aux filles de trouver une poupée qui leur plaît”.

Mattel continue sur sa lancée. Pour sa série Barbie Fashionistas, elle sort une poupée avec une prothèse, un appareil auditif, une affection cutanée, sans cheveux ou encore avec le syndrome de Down. En 2019, la marque va également lancer une poupée asexuée qui ne ressemble ni à Barbie ni à Ken.

Pourtant, malgré les efforts consentis, la popularité de la poupée la plus célèbre au monde ne cesse de baisser. C’est pourquoi Mattel mise beaucoup sur le nouveau film sur Barbie et Ken, avec Margot Robbie et Ryan Gosling. “Barbie le film est un moment extraordinaire pour la marque et nous avons hâte que les fans découvrent Barbie comme jamais auparavant sur grand écran”, a déclaré Lisa McKnight, directrice mondiale de la division Barbie et poupées de Mattel. Et ça tombe bien, une nouvelle ligne de Barbie à l’image du film vient d’être lancée.

Wim Ver Elst

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