Arket, le premium au secours de H&M
Le géant suédois de l’habillement vient de lancer à Bruxelles sa huitième marque, Arket. A l’opposé des temples de la “fast fashion” auxquels H&M nous a habitués, cette nouvelle enseigne aux niveaux de prix plus élevés vend des basiques intemporels entre deux poivriers et trois sandwiches “veggies”. Pourquoi le groupe multiplie-t-il les enseignes premium ?
Impossible de deviner que l’on entre dans un magasin du groupe H&M. ” C’est peut-être une bonne chose de ne pas trop communiquer sur ce point “, lâche un observateur. Il faut dire que pour le géant suédois de l’habillement, l’idée, avec ce nouveau concept store, est d’attirer un autre public, lassé par la mode jetable à bas prix dont les conséquences sociales font de plus en plus souvent la une des médias. Lancée à Londres à la fin du mois d’août, la marque vient d’ouvrir un magasin avenue de la Toison d’Or, à Bruxelles. A ce jour, elle possède deux points de vente dans la capitale britannique, un à Copenhague, un chez nous, un à Munich, et Stockholm est déjà dans le pipeline.
Ajouter de la valeur au magasin pour contrer l’e-commerce
Il est vrai que le groupe avait déjà opéré une montée en gamme depuis plusieurs années avec des enseignes telles que Cos, & Other Stories, etc. Mais Arket va un cran plus loin. ” On est entre le prêt-à-porter et la haute couture “, affirme un vendeur. S’il est possible de trouver quelques T-shirts à 15 euros, une chemise pour homme varie plutôt entre 40 et 115 euros. A l’entrée, une veste pour femme s’affiche à 250 euros. Et une paire de chaussures monte même jusqu’à 450 euros, l’article le plus cher, nous dit-on. ” Il y a un grand écart entre les produits les plus accessibles et les articles les plus premium, constate Stefan Van Rompaey, rédacteur en chef de la revue professionnelle RetailDetail. L’objectif est d’attirer avec des prix plus bas pour mener vers des articles plus chers sur lesquels la marge est plus élevée. ”
Outre ce positionnement prix plus haut, Arket se différencie par les différents univers qui composent ce concept pour le moins original. A côté des vêtements (hommes, femmes, enfants de moins de 10 ans), on trouve un univers ” maison ” – essentiellement centré sur la cuisine et renouvelé régulièrement – qui propose des ustensiles, des livres de recettes, du café, etc. Il s’agit ici de surprendre les clients. ” Quand on commande en ligne, on va droit au but, souligne notre expert. On ne va pas repartir avec un poivrier Peugeot en s’achetant des vêtements. Ici, le groupe cherche à ajouter de la valeur au magasin physique par rapport à l’e-commerce. ”
Autre manière d’ajouter de la valeur : l’alimentation. Pour la première fois dans l’une de ses enseignes, le groupe H&M introduit de la petite restauration avec la possibilité de commander des sandwiches végétariens, un café ou une autre boisson, et de manger sur place (quelques tables sont prévues). Avec les spécificités nordiques vendues sur place, cela permet de renforcer l’image de la marque et de créer toute une atmosphère autour de l’enseigne. ” La nourriture est un produit d’impulsion, ajoute Stefan Van Rompaey. Elle permet de faire dépenser un peu plus et de garder les gens dans le point de vente. Par ailleurs, cela permet d’ajouter de l’expérience en magasin. La nourriture, contrairement aux vêtements, ne peut s’acheter en ligne. C’est donc une raison pour faire revenir le client. ”
A l’opposé de ses temples de la “fast fashion”, le groupe H&M prône ici la “slow fashion” et la transparence au niveau de la production et du ” parcours ” de chaque article.
Vendre un style de vie plutôt que des produits
Certains voient dans ce mouvement une tendance bien plus globale dans le secteur du retail, que l’on nomme dans le jargon ” blurring “, à savoir le regroupement de différentes spécialités sous un même toit, au sein d’un même concept de magasin. ” Un élément fondamental de cette tendance est qu’elle se caractérise par une approche lifestyle plutôt qu’une approche centrée sur les produits, explique Frank Goedertier, professeur de marketing à la Vlerick Business School. Plusieurs marques sont proposées et l’atmosphère joue un rôle très important. De petits textes inspirants renforcent le storytelling de la marque, avec pour objectif d’attirer les nouvelles générations de consommateurs (les millennials) par une expérience shopping harmonieuse. ” Pour cet expert, la combinaison de plus en plus fréquente entre le food et le non-food a également pour objectif de parler aux nouvelles générations. ” Les millennials et la génération Z expriment de plus en plus leur style de vie à travers la nourriture, dit-il. Sur les réseaux sociaux, des hashtags comme #yummy, #whatsfordinner ou même #foodporn, illustrent cette idée. Il semble donc tout à fait logique que les marques de mode cherchent à s’associer à la nourriture. ”
Des basiques qui restent en magasin
De manière générale, on peut dire que ce nouveau concept vise à toucher la partie du public qui se veut très critique vis-à vis de la mode jetable, et estime que ce modèle de production n’est tout simplement pas tenable. Avec Arket, le géant suédois répond à cette demande de vêtements basiques de qualité pouvant être retrouvés plusieurs mois, voire plusieurs années après les avoir achetés grâce à un matricule situé sur l’étiquette. A l’opposé de ses temples de la fast fashion, le groupe H&M prône ici la slow fashion et la transparence au niveau de la production et du ” parcours ” de chaque article. Une partie seulement de l’assortiment évolue avec les saisons. Le reste – des basiques intemporels – sera toujours disponible en magasin. ” Arket veut donner l’occasion de racheter un même produit beaucoup plus tard, assure Stefan Van Rompaey. Il y a une demande pour cela. ”
La concurrence de Primark et des “pure players”
Ce nouveau concept doit également permettre à la multinationale de l’habillement de rebooster des ventes en stagnation. C’est qu’H&M, tout géant qu’il soit, doit faire face à une concurrence féroce. L’enseigne à bas prix est mise sous pression par des acteurs encore meilleur marché comme Primark, et par des pure players comme Zalando. L’enseigne est dorénavant vue comme étant plus chère. De plus, elle s’est vu voler il y a plusieurs années le titre de leader mondial de l’habillement par son concurrent de toujours, l’espagnol Inditex (propriétaire, entre autres, de Zara).
Pour résister, le groupe est amené à repenser son modèle en profondeur. Pourquoi les consommateurs se rendraient-ils dans ses usines de la fast fashion à l’expérience somme toute assez limitée alors que tout peut s’acheter très facilement en ligne ? Plusieurs actionnaires se sont plaints récemment d’un manque de transparence au sein du groupe en ce qui concerne la santé des activités d’e-commerce. ” Le fait qu’H&M donne très peu d’informations à propos de ses développements en e-commerce crée de la suspicion, expliquait dans les colonnes du Financial Times Joacim Olsson, directeur de la Swedish Shareholders Association. Une croissance de 25 % ne dit absolument rien tant que le groupe ne communique pas le volume total. ”
Des résultats décevants
” Nous sommes arrivés à un point où des questions se posent sur le fait de savoir si H&M s’est adapté assez rapidement à la digitalisation, explique pour sa part Ramsay Brufer, head of corporate governance d’Alecta, deuxième plus grand actionnaire non familial du groupe. De nombreux investisseurs demandent aujourd’hui la possibilité de poser des questions au management. ” Le CEO de l’entreprise, Karl-Johan Persson, a pour sa part concédé que H&M avait été pris au dépourvu par le changement de comportement des clients et leur switch vers le commerce en ligne.
Résultat : le groupe cumule les résultats décevants. Au troisième trimestre, sur base d’un chiffre d’affaires de 51,22 milliards de couronnes suédoises (5,38 milliards d’euros), il a enregistré une chute de 20 % de son bénéfice net, à 3,83 milliards de couronnes. Son bénéfice opérationnel a lui atteint 4,93 milliards de couronnes, en recul de 21 %. Le groupe a dû recourir à des promotions plus importantes que d’habitude pour écouler ses vêtements d’été, ce qui a fait reculer sa marge brute à 51,4 %, contre 54 %. ” Nos ventes en ligne progressent mais ne compensent pas en totalité la fréquentation en baisse de nos magasins dans certains de nos marchés établis, ce qui explique que l’évolution de nos ventes n’ait pas atteint nos objectifs à ce stade de l’année “, explique le CEO. Dans ce contexte difficile, on comprend mieux la multiplication des concepts plus haut de gamme.
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