Après la fin du télétravail obligatoire, les entreprises réinventent leur fonctionnement
“Le télétravail sera intégré dans beaucoup plus de sociétés, souligne Joris Vandersteene (FEB). C’est le changement le plus fondamental auquel nous allons assister.” Mais il convient de veiller au bien-être du personnel sans négliger l’intérêt de l’entreprise.
Joris Vandersteene est senior manager à la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), spécialiste des questions liées au télétravail. Il évoque pour trends Tendances les enjeux d’une “remobilisation des troupes” après la crise du Covid.
La fin du télétravail obligatoire est effective. Comment, au niveau des entreprises, l’enjeu n’est-il pas remobiliser les troupes après ces deux années, avec les enjeux très importants de la relance ou de la transition?
C’est tout à fait mon sentiment. Le premier élément important, c’est que ce retour se fasse de manière progressive. Il n’y a aucune société qui veut brusquer son personnel. Des habitudes ont été acquises pendant deux ans. Il s’agit d’une intégration de la vie professionnelle avec la vie privée.
Pour ce retour progressif, je dis toujours qu’il ne faut pas prendre de décisions trop rapides sur la façon dont ce retour va s’organiser, avec une nouvelle politique de travail hybride. Les expériences de ces deux dernières années ne sont pas représentatives de la façon dont on pourra travailler à l’avenir. Ne pas prendre de décision, non plus, sur base d’enquêtes menées selon lesquelles l’idée est de travailler deux ou trois jours au bureau. Si cela ne correspond pas à la culture de l’entreprise, à son activité ou même à l’individu, cela ne sert à rien de forcer les choses ou de décider d’un schéma trop strict.
Une étude de Securex a démontré que ce n’est pas le nombre de jours qui est important, mais bien le fait de savoir si l’employé est entendu dans le mode de développement de cette nouvelle façon de travailler. C’est beaucoup plus important et cela peut être développé de façon individuelle. Je ne dis pas que c’est mauvais de prévoir un nombre de jours par semaine, mais il faut veiller au bien-être du personnel. Cela dit, il faut aussi combiner cela avec le bien-être de l’organisation de l’entreprise.
L’enjeu pour les entreprises, n’est-ce pas de reprendre la main pour remettre en place des chantiers majeurs?
Il est clair que certaines entreprises ont postposé des changements majeurs, même si certaines ont trouvé une solution pour le faire. En fin de compte, l’organisation du travail reste une décision de l’employeur. Mais la réalité, c’est aussi qu’il est de plus en plus difficile de trouver du personnel sur le marché du travail et une grande majorité des entreprises reconnaissent que le travail hybride fait désormais partie de la marque de l’employeur, cela apparaît d’ailleurs de manière claire dans beaucoup plus d’offres d’emploi – ce qui était rare il y a trois ans.
Mais il est vrai que les échanges stratégiques de plus long terme ont manqué à beaucoup d’entreprises et à beaucoup d’équipes. Il faut laisser aussi aux managers la possibilité de travailler sur des projets pour lesquels tout le monde sera présent deux jours par semaine, par exemple.
Il faut éviter de tout ancrer de façon trop figée au niveau sectoriel, voire de l’entreprise. Mais il ne faut pas nier le fait que le télétravail sera intégré dans beaucoup plus de sociétés, pour beaucoup plus de gens. C’est le changement le plus fondamental auquel nous allons assister. Avec un équilibre entre le bien-être du personnel et l’intérêt de l’entreprise.
L’entreprise doit donc intégrer les transitions et les ruptures, mais avec un fonctionnement à réinventer?
C’est sûr et certain, c’est la réalité dans laquelle l’expérience des deux dernières années va nous pousser. Nous avions fait un sondage en septembre – octobre 2021, la première fois que l’on pensait être sorti de la pandémie : 60% des employeurs se rendaient compte que l’on devrait aller vers un système de travail hybride. Mais il est clair que pour les changements majeurs dont vous parlez, je ne veux pas idéaliser l’idée de la machine à café où toutes les grandes idées sont inventées, mais cela reste le symbole d’une collectivité et d’une créativité spontanée. Pour le brainstorming, les réunions en présentiel génèrent une autre dynamique.
Au niveau de la créativité ou de l’impulsion du changement, n’est-ce pas vital, même?
Je crois beaucoup en la spontanéité, en effet, mener une réunion et la poursuivre en allant manger un morceau ensemble, par exemple, pour prolonger la discussion. C’est quelque chose que l’on ne fera forcément pas en ligne. Il y a une autre dynamique quand les gens sont ensemble.
A mon sens, la productivité n’est pas l’inquiétude principale: à court terme, ce n’était pas le souci premier des entreprises. Même si, après deux ans, cette inquiétude a grandi avec les congés maladies, un télétravail compliqué avec les enfants à la maison, des gens isolés socialement… Mais davantage que la productivité, la nécessité de mener ces échanges stratégiques peuvent avoir un contact à moyen ou long terme.
Le nouveau mode de fonctionnement des entreprises devra-t-il être évoqué au sein de la concertation sociale?
Mais cela a toujours été le ca ! Dans les entreprises, il y a deux régimes, celui du télétravail structurel et celui du télétravail occasionnel, et ces deux régimes existent toujours. Il y a eu un régime spécifique pour le Covid qui a été prolongé jusque fin mars, mais beaucoup d’entreprises avaient déjà un cadre prévu à cet effet. Encore une fois, le télétravail, ce n’est pas nouveau, cela se faisait déjà dans le dialogue social.
Il n’y a pas une pression syndicale pour obtenir une contribution plus importante?
La contribution fait partie des négociations, cela se trouve évidemment sur la table. Mais pour moi, elle fait partie d’un exercice de rémunération plus large au sein de l’entreprise avec les chèques repas, les interventions au profit de la mobilité, la mise à disposition de matériel…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici