Approvisionnement, gestion logistique… Quels sont les nombreux défis du “zéro déchet” ?
“Plastic attacks” devant les supermarchés, images de pollution des océans, etc. Les emballages ont mauvaise presse. Un contexte porteur pour les épiceries “zéro déchet”, qui ouvrent à tous les coins de rue. Mais que ce soit en termes d’approvisionnement, de logistique, d’assortiment ou encore d’information au consommateur, les défis pour les commerçants qui décident de se lancer dans l’aventure sont nombreux.
Ils connaissent une envolée fulgurante. Portés par le discours anti-plastique, les magasins zéro déchet poussent comme des champignons. Des petites épiceries indépendantes aux grandes surfaces traditionnelles en passant par les magasins bios, tous s’y mettent. De manière plus ou moins militante ou opportuniste. Certains commerces se sont même spécialisés dans le vrac. Il s’agit essentiellement de petits indépendants ne possédant qu’un ou – plus rarement – deux points de vente. Mais les lignes bougent. Des acteurs ” 100% vrac ” souhaitent dorénavant se structurer comme chaîne. C’est le cas de la marque française day by day, qui serait ainsi la première enseigne entièrement consacrée au vrac à disposer chez nous d’un nombre conséquent de points de vente ( lire l’encadré ” La chaîne française ‘day by day’ vise 25 magasins en Belgique d’ici 2022 ” plus bas).
Nous vendons les produits basiques qui ont une forte rotation et qui nous permettent d’afficher des prix bas.” Thomas Helleputte (The Barn)
Si le zéro déchet a le vente en poupe, il pose malgré tout une série de questions. Les défis, pour les commerçants qui décident de se lancer dans l’aventure, sont en effet nombreux. En voici quelques-uns.
1. L’approvisionnement
Les magasins zéro déchet doivent dénicher des fournisseurs qui livrent en vrac. Cela paraît évident. C’est pourtant le challenge numéro 1 pour les commerçants. ” L’industrie alimentaire s’est partout organisée autour de l’emballage, souligne David Sutrat, directeur général de day by day. Pour les produits d’épicerie, le vrac avait même totalement disparu. C’est pourquoi nous avons coutume de dire que nous n’avons pas inventé le vrac, mais bien le marché du vrac. ” La chaîne française s’approvisionne essentiellement auprès de producteurs de l’Hexagone, mais passe par des grossistes pour les produits importés. ” Nous avons 83 fournisseurs pour 750 références “, précise le responsable.
Mais attention, qui dit vrac ne dit pas nécessairement bio ou local. day by day ne s’en cache d’ailleurs pas : ” Notre combat, c’est la réduction du gaspillage alimentaire, précise notre interlocuteur. Le vrac est une réponse, mais nous ne sommes ni une enseigne bio, ni une enseigne locale. Les produits bios représentent 30% de notre offre et nous effectuons un sourcing local pour les oeufs, une référence de miel et une référence de vin. Toutefois, notre objectif reste de mutualiser les achats pour rendre les produits abordables économiquement. Par ailleurs, toutes les régions ne sont pas productrices. ” Si pas mal d’épiceries zéro déchet refusent de référencer des produits issus de grands groupes, day by day ne se l’interdit absolument pas. L’enseigne a d’ailleurs ouvert ses bacs aux pâtes Soubry et aux petits saucissons Aoste.
2. La gestion logistique
Elle est totalement différente de celle d’un magasin traditionnel. ” Mettre des paquets en rayon ou remplir des trémies ou des silos avec de grands sacs, ce n’est pas la même chose, relève Emmanuel d’Ieteren, chargé de projet pour l’organisation spécialisée en entrepreneuriat durable Groupe One et coordinateur de l’appel à projets zéro déchet pour Bruxelles Environnement. Il faut éviter de mélanger les lots, nettoyer correctement les distributeurs, respecter scrupuleusement les règles d’hygiène, etc. ”
Chez The Barn, une épicerie bio en vrac qui a ouvert un premier point de vente à Etterbeek l’an dernier, on a privilégié les fûts au détriment des plus classiques distributeurs ” robinets “. Et les produits y sont placés dans des sacs en… plastique. Incongruité ? ” Les règles de l’Afsca exigent que les aliments soient placés dans des contenants lavables ou changeables, explique Thomas Helleputte, futur gérant du deuxième magasin The Barn qui ouvrira à Saint-Gilles début de l’année prochaine. Les fûts sont davantage dans l’esprit ‘marché’ de notre concept et ils permettent aux clients de mieux doser la quantité dont ils ont besoin. ” Ils exigent toutefois une manipulation supplémentaire de la part des responsables du magasin. Chaque semaine, ces derniers doivent en effet retourner les sacs pour éviter que les aliments du bas ne stagnent.
Du côté de day by day, pas de fûts. L’enseigne travaille avec deux types de contenants : des bacs verseurs (les fameux ” robinets “) et des bacs à pelle. A la différence des fûts utilisés par The Barn, ces derniers permettent aux clients de se servir ” par le bas “. ” Grâce à ces deux systèmes, les aliments sont toujours bien protégés, assure David Sutrat. Les bacs ne peuvent être remplis qu’avec des aliments issus du même lot, et ils sont lavés, séchés et stérilisés dans un lave-vaisselle présent dans chaque point de vente à chaque changement de lot. ” En région parisienne, les magasins reçoivent directement les bacs préremplis dans l’entrepôt du groupe. Rien n’est fait sur place. ” Le fait que nous ayons pas mal de magasins à Paris nous permet de fonctionner de la sorte et donc de libérer les exploitants des tâches liées à l’hygiène “, affirme le directeur général. Lequel explique être même en train de plancher sur une alternative aux bacs. ” En fait, ils sont un frein au vrac, lance-t-il. Parce qu’ils constituent une solution chère et qu’ils exigent un protocole de nettoyage très poussé. Nous aimerions remplacer une partie de nos bacs par des contenants durables à usage unique. ”
3. La taille de l’assortiment
Peut-on tout vendre en vrac ? Lorsqu’on imagine un magasin de ce type, la première image qui vient à l’esprit est souvent celle de distributeurs de céréales, de noix ou de fruits secs. Tout le défi pour les commerçants qui se lancent dans l’aventure est donc d’élargir leur assortiment et de prouver aux consommateurs que ce genre d’enseigne peut accueillir d’autres produits. Chez The Barn, on trouve donc des fruits et légumes, des produits d’épicerie salés et sucrés, du fromage, de l’huile, de la pâte à tartiner, etc. ” Nous vendons les produits basiques qui ont une forte rotation et qui nous permettent d’afficher des prix bas, explique Thomas Helleputte. Mais nous a avons élargi notre assortiment. Il y a six mois, nous ne vendions pas de miel en vrac. Nous avons trouvé une solution qui consiste en un distributeur muni d’un petit chauffage pour maintenir le miel à bonne consistance. Et nous proposons la confiture dans des pots en verre consignés. C’est la seule solution que nous ayons trouvée jusqu’à présent pour garantir sa conservation. ”
Notre combat, c’est la réduction du gaspillage alimentaire. Le vrac est une réponse, mais nous ne sommes ni une enseigne bio, ni une enseigne locale.” David Sutrat (day by day)
Du côté de day by day, on a en plus élargi l’assortiment à des produits non alimentaires. Il est ainsi possible de trouver sur les étagères de la chaîne française du liquide vaisselle, des produits de nettoyage, de la litière, du dentifrice solide, du maquillage, du rouge à lèvres rechargeable, du shampoing, etc. ” Notre stratégie est de couvrir un maximum d’unités de besoins”, explique David Sutrat.
Il y a toutefois des aliments qu’il est difficile de vendre en vrac. On pense notamment au yaourt, au lait ou encore aux biscuits. ” Il est rare de trouver du lait en vrac, confirme Emmanuel d’Ieteren, principalement pour une question de stérilisation. Les machines sont très coûteuses. Pour les biscuits, il faut trouver le bon contenant afin que ces derniers conservent leur consistance et leur saveur. ”
4. L’information au consommateur
C’est l’une des fonctions importantes de l’emballage : l’indication de la composition du produit, de sa valeur nutritionnelle et de la date jusqu’à laquelle il peut être consommé. En mode vrac, comment transmettre toutes ces informations au consommateur ? ” Les indications concernant l’apport nutritionnel ne sont pas forcément nécessaires, souligne Emmanuel d’Ieteren. En revanche, la composition du produit doit être fournie, tout comme la date de péremption. C’est pour cette raison que les magasins en vrac sont souvent truffés de panneaux d’explicatifs. ”
Chez The Barn, pourtant, rien n’est indiqué sur les fûts. ” La liste des produits est toujours indiquée en tête de rayon, assure toutefois Thomas Helleputte. Et la liste des ingrédients est disponible pour les biscuits. Mais nous ne voulons pas non plus noyer le consommateur sous des tonnes d’informations. Et les dates de péremption de nos produits sont souvent très éloignées. Elles ne sont donc pas indiquées en magasin, à l’exception des fromages et des olives. Nous les tenons cependant à disposition des consommateurs si ces derniers venaient à nous les demander. ”
Les responsables de day by day ont pour leur part prévu une étiquette sur chaque bac. Cette dernière indique le nom du produit, sa composition, sa valeur nutritionnelle, son prix au kilo, son origine ainsi que le nom de son producteur (un code QR renvoie à la page consacrée au producteur sur le site web de l’enseigne). Pour les produits de nettoyage, les clients sont obligés d’utiliser les récipients réutilisables mis à disposition par le fabricant et qui sont déjà équipés d’une étiquette reprenant toutes les précautions d’usage. ” Par le passé, nous indiquions également la DDM (date de durabilité minimale) sur les bacs, ajoute David Sutrat. Pour les produits secs, celle-ci est toujours très éloignée. Pourtant, les clients se posaient des questions. Nous avons du coup cessé de l’afficher, mais nous la fournissons aux consommateurs qui nous la demandent. ”
5. La pesée des produits et le passage en caisse
Ce qui symbolise le plus le vrac, c’est le fameux bocal en verre. La plupart des consommateurs de vrac viennent en effet faire leurs courses avec leurs propres récipients. Chez The Barn, une balance est mise à disposition des clients pour leur permettre de tarer leurs contenants. Cette étape se fait à la caisse chez day by day, histoire d’éviter la triche. ” Il y a un premier passage à vide en caisse et un deuxième passage avec les aliments “, explique David Sutrat. La plupart des magasins zéro déchet mettent également à disposition de leurs clients des sacs en papier kraft ou en tissu. C’est le cas tant chez day by day que chez The Barn.
Le passage en caisse : autre défi de taille pour ce type d’enseigne. Le caissier doit à chaque fois ouvrir le sac pour vérifier ce qu’il contient. ” Tout doit être pesé en caisse, ce qui prend énormément de temps “, reconnaît Thomas Helleputte. C’est bien simple, The Barn a dû installer pas moins de 10 caisses pour absorber le flux de clients. ” En période de pic, la file se prolonge même dans les rayons “, explique le gérant. On pourrait certes imaginer l’installation de plusieurs balances délivrant des étiquettes dans le point de vente, mais cela se révélerait assez coûteux, et il faudrait alors accorder une confiance aveugle aux clients. ” Et puis la multiplication des étiquettes dans un magasin zéro déchet, ce n’est jamais top “, sourit Thomas Helleputte.
Propriété du groupe français My Retail Box, la chaîne ” 100% vrac ” day by day possède à ce jour 43 points de vente dans l’Hexagone et un magasin chez nous, à Saint-Gilles. Tous sont tenus par des franchisés et livrés depuis son nouvel entrepôt de Dreux, en périphérie parisienne. Même si certains magasins proposent quelques fruits et légumes, le concept de base se centre principalement sur les produits secs avec quatre zones : l’épicerie salée, l’épicerie sucrée, l’hygiène domestique et corporelle et la droguerie. ” Tout ce qui va dans le frigo ne fait pas partie de notre modèle, explique David Sutrat, directeur général. Non seulement le vrac dans le frais est déjà bien représenté par d’autres acteurs, mais ce sont surtout les produits du placard qui sont les principaux émetteurs de déchets et qui engendrent le plus de gaspillage. ”
Commercialisant environ 750 références sur une surface de 60 m2, day by day nourrit d’importantes ambitions à l’international. Chez nous, l’enseigne entend ouvrir 25 magasins d’ici 2022. Ce serait la première fois qu’une chaîne entièrement consacrée au vrac disposerait d’autant de points de vente en Belgique. Didier Onraita et David Sutrat, les deux responsables du groupe créé en 2013 et qui réalise à ce jour plus de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires, se disent intéressés par une douzaine de ville dans notre pays. ” Nous sommes en train de créer une organisation en Belgique et de constituer une équipe sur place “, assure Didier Onraita. C’est que si l’enseigne compte commercialiser en très grande partie les mêmes produits que ceux vendus dans ses magasins français, elle veut aussi s’adapter aux spécificités locales en proposant, par exemple, du chocolat, des biscuits et des bonbons belges.
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