Apellis, un parcours bon pied bon oeil

Alec Machiels et Cédric François, cofondateurs d'ApellisL'entreprise biotech, cotée au Nasdaq depuis 2017, est valorisée à 800 millions de dollars. © PG

La biotech américaine a misé sur la recherche, l’audace et la levée de fonds. Portée par des Belges, elle prépare la commercialisation de plusieurs médicaments, notamment contre la dégénérescence maculaire.

Il aurait pu être chirurgien, mais Cédric François est devenu chercheur. Aujourd’hui, il est le CEO d’Apellis. L’entreprise biotech, cotée au Nasdaq depuis décembre 2017, est valorisée à 800 millions de dollars.

Cette valorisation repose, entre autres, sur la commercialisation à venir de deux médicaments. Le premier traite la dégénérescence de la rétine, soit la cécité survenant avec l’âge. L’autre guérit une maladie rare du sang, caractérisée par la destruction des globules rouges. Les deux médicaments s’appuient sur un mécanisme immunologique et la découverte d’une molécule APL-2, dont Cédric François est l’auteur.

Actuellement, l’entreprise est en phase 3 pour ces deux médicaments. Cette phase clinique implique une période de tests à grande échelle sur les humains. Dernière étape avant l’autorisation éventuelle de la FDA (Food and Drug Administration) et la commercialisation. Si Apellis en est là aujourd’hui, alors que peu de médicaments arrivent en phase 3 tant le processus est long et coûteux, c’est que son histoire est basée sur l’amitié de deux Belges et leurs décisions avisées.

Les portes du capital

” N’importe quelle histoire entrepreneuriale repose sur une série de petites décisions. Ce n’est pas une grande décision qui fait la différence, mais les milliers de petites, prises au quotidien “, relève Alec Machiels, cofondateur d’Apellis. Solliciter le conseil d’un ami scientifique, également installé aux Etats-Unis, fait certainement partie d’une de ces bonnes microdécisions.

Nous sommes en 2001. Alec Machiels, diplômé en droit des Facultés Saint-Louis et de l’UCL, ayant fait ses gammes dans la finance à Londres et New York, poursuit un MBA à la Harvard Business School. Intéressé par l’entrepreneuriat, il s’allie à des scientifiques de la fac et du MIT (Massachussets Institute of Technology) pour élaborer un projet dans le cadre d’un cours. A plusieurs, ils créent Potentia Pharmaceuticals, un concept basé sur la nanotechnologie, et remportent un prestigieux concours de business plan. Cette victoire leur ouvre les portes du capital, d’autant que le financier sait murmurer à l’oreille des investisseurs. Le hic ? Il décode difficilement le langage scientifique de ses partenaires, l’amenant à douter de la faisabilité du projet. ” Comment pouvais-je accepter de l’argent alors que moi-même je n’avais pas la certitude que ça marcherait ? J’ai refusé plusieurs fois cet argent “, se souvient-il. Sage décision.

Le fait d’entretenir au quotidien un rapport honnête et direct, en venant de points de vue différents, crée la richesse de notre collaboration.

C’est là qu’intervient le docteur belge Cédric François. Celui-ci a bien bourlingué. Après ses études de médecine à l’Université de Louvain, il met le cap sur l’Argentine pour travailler en hôpital. Collaborant sur un cas de transplantation de main, il se découvre un intérêt pour la recherche. Pour gagner sa vie, l’aventurier devient médecin principal à bord d’un paquebot de 3.000 passagers. Une expérience improbable qui forge son ingéniosité et son esprit d’équipe. Il rejoint ensuite un laboratoire de Louisville dans le Kentucky. L’occasion de poursuivre un doctorat en physiologie au sein de l’université locale. C’est alors qu’Alec Machiels le contacte pour obtenir son conseil sur le bien-fondé de son business.

Du microscope au pitch

Très vite, ils arrivent à la conclusion que le projet ne fonctionnera pas. Ils font table rase et décident de relancer la boîte sur d’autres idées en s’associant et en intégrant un troisième partenaire, Pascal Deschatelets. Cette nouvelle version de Potentia nécessite du capital et demande d’en lever davantage. Cédric François passe du microscope à l’art du pitch. Avec audace et sincérité, il réussit tout de même à convaincre un partenaire émérite de Morgan Stanley de lui signer un chèque de 100.000 dollars. ” C’est typique aux Etats-Unis. Les personnes ayant fait fortune apprécient d’aider des jeunes entrepreneurs, ils sont là pour les épauler “, constate-t-il. Pour Alec Machiels, ” il y a un dynamisme, une capacité hors de l’ordinaire à prendre des risques et à investir du capital dans des projets risqués “.

Les partenaires décident aussi de relocaliser la société dans le Kentucky. Choix audacieux tant c’est inhabituel pour une start-up pharmaceutique. Mais le pari est financièrement intéressant. En effet, pour se relancer, Louisville se polarise sur les biotechnologies et les medtechs, essayant d’attirer des profils compétents et des start-up prometteuses. Leur entreprise est la première à bénéficier de ce programme. ” Potentia est entrée en période d’incubation purement scientifique. Je me suis retiré du quotidien et suis resté dans le CA “, précise Alec Machiels. Il rejoint Pegasus, un fond d’investissement privé, à Manhattan tandis que Cédric François passe CEO. Nouvelles décisions judicieuses.

Lutte de propriété intellectuelle

En 2009, une opportunité de rachat se présente. L’entreprise Alcon reprend les droits d’utiliser la molécule dans le domaine de l’ophtalmologie en échange de paiements conditionnels ( earn-out), c’est-à-dire qu’elle paie peu au début et davantage au fur et à mesure du développement. Les partenaires créent alors Apellis pour explorer les bienfaits de leurs découvertes dans d’autres domaines. L’ophtalmologie leur reviendra néanmoins.

Suite à une fusion d’Alcon avec Novartis, la big pharma propose de modifier les paiements. ” Notre molécule était en compétition avec d’autres programmes de recherche ophtalmologique chez Novartis “, explique Cédric François. Les entrepreneurs belges préfèrent récupérer leur molécule et les droits d’intervenir en ophtalmologie. ” Ce moment est clé, note le juriste financier, parce que nous avons pu rassembler toute la propriété intellectuelle du développement de la molécule dans une seule entité : Apellis. ”

La dynamique et la complémentarité unique des fondateurs ont permis ce léger tour de force. ” Le fait d’entretenir au quotidien un rapport honnête et direct, en venant de points de vue différents, crée la richesse de notre collaboration, avance Alec Machiels. Vu notre amitié, la confiance est implicite. ”

Phase finale

Les projets actuels d’Apellis sont toujours en ligne avec les idées de Potentia, soit ce fameux mécanisme immunologique. ” Nous sommes convaincus que le mécanisme derrière la dégénérescence maculaire implique des cellules mononucléaires et le système du complément ( composant du système immunitaire, Ndlr) “, détaille Cédric François. La route est engageante, rien que le médicament traitant la dégénérescence de la rétine pourrait soulager environ cinq millions de patients atteints de cette pathologie dans le monde.

Les tests approuvés, il faudra encore déterminer le prix du traitement et les modalités du remboursement. Impossible à ce stade d’entrer dans des projections financières concrètes. L’heure est aux relations avec les investisseurs et à l’organisation. En 2018, l’entreprise est passée de 25 à 85 personnes, ce nombre devrait encore doubler cette année. Si la base reste Louisville, l’entreprise prend aussi ses quartiers dans les centres névralgiques de la pharma, à côté de Boston et à San Francisco pour le manufacturing. Croissance d’effectifs et expansion géographique demandent la création d’une culture d’entreprise. Le tout sans négliger la relation avec les médecins, histoire qu’Apellis prenne les meilleures décisions, dans l’intérêt de ses patients.

Par Caroline Dubois-Legast.

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