Expérimentée, Annick Van Overstraeten, CEO du Pain Quotidien, raconte comment elle présente son “business case” aux étudiants. Avec des leçons très concrètes : il faut persévérer, travailler en équipe, faire preuve d’agilité et de créativité. La Belgique, dit-elle, doit plus que jamais soutenir ses entrepreneurs.
Oui, il y a des champions belges qui peuvent inspirer les étudiants. Depuis 2016, la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) organise une chaire universitaire, avec l’UCLouvain et la KUL, pour permettre à des CEO de partager leur expérience. Il s’agit, aussi, de formater ce partage avec des standards dignes de Harvard ou de Stanford pour exister à l’international.
Annick Van Overstraeten, qui se trouve à la tête du Pain Quotidien, fait partie de ces patrons qui donnent de leur temps pour inspirer les futurs entrepreneurs.
TRENDS-TENDANCES. A-t-on besoin de champions belges et les valorise-t-on assez ?
ANNICK VAN OVERSTRAETEN. Nous avons beaucoup de champions belges. J’insiste sur le mot “belges”, pas “flamands” ou “wallons” parce que je suis une Belge convaincue et que j’ai du mal avec cette séparation larvée du pays. Il y a des tas de sociétés qui avancent super bien et nous sommes trop timides à cet égard. Nous n’osons pas assez le montrer.
Cette chaire permet d’objectiver vos “business cases” ?
Oui, cette initiative de la FEB et des universités est très importante pour cela. Je présente mon business case chaque année devant 400 ou 500 étudiants. C’est magnifique ! Les étudiants rêvent tous des très grandes entreprises internationales, de AB InBev à Procter & Gamble, et ce sont certes des horizons magnifiques. Mais ils peuvent apprendre davantage dans de plus petites sociétés où ils exerceront une palette d’activités plus vaste. La restauration et le retail sont peut-être moins sexys pour les jeunes que la pharma et la biotech où l’on gagne bien sa vie, mais si je peux les motiver à venir chez nous ou à prendre des risques entrepreneuriaux, je n’hésite pas.
Que leur dites-vous de la belle aventure du Pain Quotidien ?
Je suis arrivée là-bas en juillet 2020, en plein covid. Tout le monde pensait que cette période durerait trois ou quatre mois, mais elle s’est prolongée plus d’un an et demi. C’était très difficile car la gestion d’une telle crise impose des réductions de prix et de la flexibilité. Je leur explique comment on a traversé cette période et, surtout, comment on a bâti les fondations de la croissance qui a suivi. Nous avons accompli cela en faisant plus que jamais travailler ensemble tous les départements : marketing, opérations, finances, IT, ressources humaines…
Votre croissance est-elle repartie sur les bons rails ?
Oui, depuis 2023, nous nous sommes lancés dans un développement international très important. Cette année, nous avons ouvert des magasins dans sept nouveaux pays. En tout, nous sommes présents dans 24 pays. Il est essentiel aussi d’expliquer à un public universitaire que cela requiert beaucoup de travail, que l’on rencontre des hauts et des bas, mais qu’il faut persévérer.
Le contexte géopolitique du moment complique-t-il votre tâche ?
Il n’y a pas de miracle et ceux qui vous disent le contraire, c’est qu’ils ne regardent pas leur business. Tout est difficile, bien sûr. L’être humain gère très mal l’incertitude. Or, tout bouge tous les jours. J’arrête d’écouter ce que le président américain dit parce que trois minutes après, il risque de changer d’avis. Mais les décisions se prennent plus difficilement dans un tel contexte, c’est sûr.
Faut-il garder le cap malgré tout ?
Dans le cas du Pain Quotidien, nous nous sommes fixé un objectif à moyen et long terme et nous évoluons dans cette direction. Il faut être prudent avec les budgets, c’est évident, mais il convient d’être résilient. Les étudiants doivent apprendre, à travers un projet comme le nôtre, qu’une société est avant tout un projet commun. Si le comité de direction ou le conseil d’administration n’est plus aligné, cela ne va pas. L’économie est déjà assez difficile à manœuvrer, on ne peut pas se permettre d’ajouter à cela des conflits internes.
“Les étudiants doivent apprendre à travers un projet comme le nôtre qu’une société, c’est avant tout un projet commun.”
Vous avez également été CEO de Lunch Garden, que retenez-vous de cette période ?
Je me suis occupée du redressement de Lunch Garden de 2010 à 2015. L’entreprise fut vendue début 2016, une expérience qui ne fut pas simple avec le nouvel actionnaire. Après la faillite cette année, une partie des restaurants a été reprise par CIM Capital et je suis revenue dans le conseil d’administration en 2025. Nous avons également présenté le business case aux étudiants et je pense que Lunch Garden peut réécrire une belle histoire.
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Y a-t-il des grandes leçons que vous partagez aux futurs entrepreneurs ?
Je leur ai dit qu’il faut toujours rester fidèle à ce que l’on croit. J’essaie de travailler toujours d’une façon déontologique et correcte : si ce n’était plus possible, je quitterais l’entreprise. Je leur fais passer le message qu’il est fondamental de pouvoir se regarder dans un miroir en se disant que l’on a fait tout ce que l’on pouvait pour garder la cohérence du projet. Les jeunes sont parfois impatients et veulent devenir CEO à 20 ans. L’exemple de certaines start-up et licornes renforce ce désir. Certains peuvent peut-être le faire, mais ce n’est pas donné à tout le monde. Je les invite à prendre le temps de construire et de travailler. L’avantage de l’âge et de l’expérience, c’est de pouvoir transmettre la sagesse. Mon fils m’a dit un jour qu’il voulait être riche à 30 ans : je lui ai répondu que ce n’était pas un objectif en soi. Il est important de rappeler qu’à côté des champions, il existe aussi bon nombre de sociétés qui n’ont pas réussi.
L’échec fait-il partie du chemin ?
Exact. En Belgique, nous avons aussi tendance à cacher ces échecs. Or, dans une carrière ou dans une entreprise, il y en a toujours. Il faut simplement réagir assez rapidement. Cela m’est arrivé dans chaque entreprise où j’ai travaillé. Que ce soit chez Quick, Lunch Garden ou au Pain Quotidien, j’ai ouvert des restaurants qui n’ont pas fonctionné. Il faut alors agir rapidement et reconnaître que l’on s’est trompé. Il faut savoir prendre des décisions difficiles pour ne pas mettre en péril le reste de la société : c’est quelque chose que les étudiants doivent apprendre également.
Le contenu et l’approche de votre chaire doit-il s’adapter plus que jamais à une réalité qui change constamment ?
Exactement. Dans cette chaire organisée par la FEB, des entreprises de différents secteurs interviennent et cela nourrit la réflexion. Nous n’avions pas cela du temps de mes études. Nos cours étaient plus théoriques. Or, cette capacité à intégrer une réalité de plus en plus volatile est vitale. Nous pourrions même aller plus loin encore : aux États-Unis ou en Angleterre, les études sont davantage encore connectées au terrain.
L’esprit d’entreprendre est-il mieux reconnu en Belgique ?
Je le pense, oui, c’est positif. J’ai participé récemment à la mission économique en Inde et c’était formidable de voir le nombre d’entreprises belges désireuses de s’ouvrir à ce marché.
Mais notre compétitivité n’est-elle pas en difficulté ?
Les sociétés agissent, de leur côté. Le gouvernement peut mieux faire. En Inde, pour reprendre cet exemple, ils font tout pour que les entreprises réussissent et que le pays se développe. Cette diversification vers de tels marchés internationaux est d’ailleurs un levier de croissance important pour nous. Une autre clé, c’est l’innovation et la capacité de développer de nouveaux produits : nous avons développé le pain au cannabis (ndlr: composé à 42% de chanvre), le pain protéiné… Il faut rester connecté aux attentes du marché.
Profil
• 1999-2004 : Directrice commerciale chez Leonidas
• 2004-2009 : Directrice chez Quick
• 2010-2020 : CEO de Lunch Garden
• Depuis 2020 : CEO du Pain Quotidien