Albert Heijn Belgique: ouvrir, puis mourir ?
Après la fusion Ahold-Delhaize, l’enseigne phare du distributeur néerlandais a-t-elle encore un avenir chez nous ? Elle devrait connaître son sort en 2019. Un passage sous pavillon Delhaize ? Un maintien, quitte à concurrencer l’enseigne au lion ? Tour d’horizon des scénarios.
Disparaîtra, disparaîtra pas ? Depuis l’annonce en 2015 de la fusion entre Delhaize et le distributeur néerlandais Ahold, le sort de l’enseigne Albert Heijn chez nous fait l’objet de nombreuses hypothèses. Le nouveau géant de la distribution décidera-t-il de maintenir les deux marques en Belgique ou fera-t-il progressivement passer ses magasins Albert Heijn sous pavillon Delhaize ?
Dans un communiqué diffusé fin mars, le groupe apporte une… non-réponse. ” Dans les prochaines années, notre priorité sera de renforcer Delhaize “, assure-t-il. Une fois cet exercice réalisé, ” la prochaine étape sera naturellement d’intégrer toutes les activités supermarché d’Ahold Delhaize dans Delhaize Le Lion. Le comité de direction d’Ahold Delhaize examinera à la mi-2019 si les marques sont prêtes pour l’intégration. ” Faut-il comprendre que la marque Albert Heijn est condamnée à terme dans notre pays ? Comment expliquer alors que l’enseigne vienne d’annoncer l’ouverture prochaine de deux nouveaux magasins (l’un à Wemmel, l’autre à Sint-Niklaas) et affirme que d’autres points de vente pourraient encore ouvrir en Flandre ?
Chez Ahold Delhaize, on l’assure : rien n’est encore décidé concernant Albert Heijn en Belgique. ” Dans notre communiqué, nous ne disons pas que nous voulons arrêter “, souligne Ellen van Ginkel, porte-parole du nouveau groupe fusionné. Dans ce cas, que peut bien vouloir signifier l’expression ” intégration des deux marques ” ?
La subtilité n’a pas échappé à Stefan Van Rompaey. Pour ce spécialiste de la distribution, rédacteur en chef de la revue RetailDetail, l’intégration dont il est question est simplement celle d’Albert Heijn au sein de Delhaize Le Lion.
” Le siège d’Albert Heijn déménagerait à Molenbeek, dit-il. Delhaize sera la marque principale du groupe chez nous, mais pas nécessairement la marque unique. A titre d’exemple, le magasin Albert Heijn qui va ouvrir à Sint-Niklaas n’a aucun sens si la marque est abandonnée en Belgique car il est situé juste à côté d’un Delhaize. Il devrait alors être vendu après seulement deux ans d’exploitation… ”
Un double positionnement intéressant
Quel intérêt le groupe aurait-il à maintenir les deux marques ? ” Cela lui permettrait de continuer à ennuyer Colruyt sur le terrain des prix, relève Claude Boffa, professeur de retail marketing à la Solvay Brussels School (ULB). De fait, Albert Heijn jouit d’une image-prix très forte. L’enseigne touche, par ailleurs, un public un peu différent de celui de Delhaize. Elle a une image plus jeune, plus technologique, plus innovante en termes d’assortiment. En raison de cette complémentarité au niveau de la clientèle, le groupe risque de perdre des parts de marché s’il abandonne la marque.
Outre ce double positionnement intéressant, un maintien d’Albert Heijn en Flandre pourrait permettre au distributeur de se défendre contre une possible arrivée d’autres chaînes néerlandaises. ” L’enseigne Jumbo a exprimé à plusieurs reprises son intérêt pour le marché belge, mais elle est un peu freinée par la présence d’Albert Heijn, souligne Stefan Van Rompaey. Si la marque venait à disparaître chez nous, cela lui ouvrirait des possibilités. ”
Ne pas fragiliser Delhaize
Reste qu’il existe des freins non négligeables au maintien d’Albert Heijn sur notre territoire. Et, en particulier, la complexité qui découle de la gestion de deux marques séparées. ” Pour la clarté de l’organisation en interne, il serait préférable d’abandonner la marque Albert Heijn, assure le rédacteur en chef de RetailDetail. D’autant que l’enseigne est arrivée en 2011 en concurrençant fortement Delhaize et les autres distributeurs. Les travailleurs sont-ils très enthousiastes à l’idée de travailler pour cet ennemi d’hier ? ”
Et puis se pose également la question du potentiel de croissance d’Albert Heijn en Belgique. Autrement dit : combien de points de vente la chaîne peut-elle espérer compter pour ne pas entamer la position de Delhaize ? Il y a, en effet, comme une contradiction entre, d’une part, la volonté du groupe de renforcer Delhaize et de stabiliser la chute de sa part de marché, et, d’autre part, le maintien d’une enseigne propre à lui grappiller, justement, des parts de marché. ” Cela a-t-il du sens de maintenir une marque qui n’a pas beaucoup de potentiel de croissance ? “, interroge Stefan Van Rompaey.
Un test de vie commune
On l’a compris : les deux années à venir seront cruciales pour Ahold Delhaize. Si ce laps de temps doit permettre au groupe de rebooster l’enseigne au lion, il constituera aussi un test de vie commune entre Delhaize et Albert Heijn.
” Il s’agira de voir si les deux marques peuvent cohabiter, estime Stefan Van Rompaey. C’est un choix risqué, mais si le groupe parvient à positionner correctement Albert Heijn à côté d’un Delhaize renforcé, il y a des possibilités. Le positionnement d’Albert Heijn, avec des prix néerlandais, est très proche du positionnement de Lidl chez nous. La chaîne pourrait fonctionner un peu comme le concept Red Market (la chaîne discount du groupe Delhaize qui a aujourd’hui disparu, Ndlr). ”
Ce qui est certain, c’est que le nouveau groupe fusionné devra opérer un arbitrage vis-à-vis des Albert Heijn à conserver, à transformer en Delhaize ou à céder. Car il faut absolument éviter que les magasins ne se cannibalisent.
” Il vaut mieux que la chaîne s’implante à proximité d’un Colruyt qu’à deux pas d’un Delhaize “, assure Claude Boffa. Du côté du groupe, on se contente de cette réponse laconique : ” Une fois que nous travaillerons ensemble au sein d’une seule et même entreprise, nous considérerons l’environnement concurrentiel lors de chaque ouverture de magasin. “
Leader aux Pays-Bas, Albert Heijn est l’enseigne phare du groupe de distribution néerlandais Ahold, qui vient de fusionner avec Delhaize. Elle fait son entrée sur le marché belge en 2011, où elle compte à ce jour 42 points de vente situés uniquement en Flandre. Dès son arrivée, elle fait trembler… et bouger nos distributeurs. Là où elle s’installe, la concurrence est forcée de baisser ses prix de 2 % en moyenne.
Si le retailer peut se permettre d’être très agressif sur les prix et les promotions affichés, c’est parce qu’il bénéficie de conditions d’achat néerlandaises avantageuses. Avec une part de marché de 35,2 % outre-Moerdijk, il se trouve en bonne position pour négocier avec ses fournisseurs. Les magasins belges étant approvisionnés depuis son centre de distribution de Tilburg, cela leur permet d’obtenir les mêmes conditions et donc d’être très concurrentiels.
Delhaize est fortement mis sous pression par l’enseigne batave. Et pour cause, les deux chaînes possèdent, à peu de choses près, le même modèle de supermarché, basé sur la qualité, l’assortiment, le service au client, l’expérience d’achat, etc. Il est, par ailleurs, intéressant de pointer la différence de perception d’Albert Heijn aux Pays-Bas et chez nous. Alors que, chez nos voisins, la chaîne n’est pas du tout la moins chère (c’est un peu le Delhaize local), en Belgique, certains la qualifient de discounter en raison de ses prix néerlandais.
Suite à la fusion entre Ahold et Delhaize, le groupe doit céder 13 magasins en Belgique (huit Albert Heijn et cinq Delhaize). C’est une exigence de l’Autorité belge de la concurrence destinée à éviter que le nouveau géant de la distribution ne soit trop dominant dans certaines régions. Lidl, Carrefour, la chaîne halal Tanger et un entrepreneur indépendant annonçaient récemment qu’ils reprenaient des magasins. Il reste à ce jour deux Albert Heijn et deux Delhaize à céder pour que la fusion soit effective chez nous.
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