Aider à vieillir dans la dignité, la mission de la biotech belge Rejuvenate Biomed

Ann Beliën, biologiste de formation, cherchait un moyen de ralentir le processus du vieillissement humain. Ne trouvant pas de réponse satisfaisante dans l’environnement de la big pharma où elle travaillait, elle a décidé de lancer sa propre entreprise. Rejuvenate Biomed développe aujourd’hui un premier médicament et a mis en place un système d’intelligence artificielle pour identifier de nouvelles applications à des traitements existants.

Nous rencontrons la docteure Ann Beliën à un moment décisif. Dans les jours à venir, elle saura si une étape réglementaire cruciale est franchie pour le développement de Compound RJx-01, un composé chimique découvert par les chercheurs de son entreprise, Rejuvenate Biomed. Il est actuellement testé pour son impact sur le processus de vieillissement humain.

Mais attention, prévient-elle aussitôt : un feu vert ne signifie pas que nous vivrons tous jusqu’à 200 ans. « Ce n’est pas notre objectif de rallonger la durée de vie humaine indéfiniment. De nombreux experts se sont déjà penchés sur cet aspect, au point que notre champ d’activité, dans le monde de la biotech, a longtemps souffert d’une image négative. On nous a parfois traités de charlatans. Nous travaillons plutôt sur la qualité de vie. Plus précisément, nous voulons permettre aux personnes de 60 à 80 ans de rester en bonne santé aussi longtemps que possible. Que chaque organe fonctionne de manière optimale le plus longtemps possible. Jusqu’à ce que, pour ainsi dire, survienne une « panne générale » : vous vous endormez un soir… et ne vous réveillez plus le lendemain matin. Mais sans avoir traversé une longue période de perte de mobilité, de confusion mentale ou d’autres maux liés à la vieillesse. »

Rester mobile plus longtemps

Il pourrait encore falloir des années avant qu’un médicament à base de Compound RJx-01 voie le jour. Mais les premiers essais cliniques sont prometteurs. L’an dernier, 42 volontaires en bonne santé, âgés de 65 à 75 ans, ont permis d’établir que la molécule avait le potentiel de ralentir la sarcopénie, une perte progressive de masse musculaire, de force et de fonction qui touche environ 22 % des personnes de 65 ans et la moitié des plus de 80 ans. « Ce processus déclenche chez les aînés un cercle vicieux », explique Ann Beliën. « Moins vous bougez, plus vos contacts sociaux diminuent, ce qui réduit les stimulations mentales et accélère le déclin cognitif. Sur le plan physique aussi, il est crucial de garder des muscles actifs. Ce sont des organes métaboliques, qui jouent un rôle dans la transformation du sucre. Dès qu’on bouge moins, des problèmes cardiovasculaires apparaissent, car le cœur est moins sollicité. En maintenant les gens mobiles aussi longtemps que possible, on brise ce cercle vicieux et on leur permet de rester actifs dans la société. »

La prochaine étape – pour laquelle Beliën et son équipe attendent à présent le feu vert des autorités – consistera à tester son médicament sur des patients souffrant de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), une pathologie qui limite fortement l’activité physique en raison de l’essoufflement qu’elle provoque. La demande d’essai clinique a été déposée auprès de l’agence britannique MHRA (Medicines and Healthcare Products Regulatory Agency).

« Le vieillissement est un processus biologique, ni plus ni moins. Ce que nous voulons, c’est influencer ce processus pour que les mécanismes de réparation du corps fonctionnent plus longtemps. »

Ann Beliën

65 ans, l’âge charnière

Ann Beliën, docteure en neuro-oncologie, est une oratrice très demandée dans les congrès dédiés à la biologie du vieillissement. Avec passion et transparence, elle parle du travail de son entreprise biotech Rejuvenate Biomed. Après un master en sciences biomédicales à la VUB, elle obtient son doctorat à l’Université de Zurich. Elle passe ensuite près de vingt ans chez Janssen Pharmaceutica, fleuron de la pharma belge, d’abord comme chercheuse, puis dans des rôles de R&D et d’innovation.

C’est la maladie de son père qui change la donne. « Papa souffrait de divers problèmes cardiovasculaires, plus ou moins maîtrisés, puis sont venus Alzheimer, et ensuite, Parkinson. Et je ne comprenais pas pourquoi les médicaments qu’on lui donnait ne faisaient pas ce qu’ils étaient censés faire. Ce fut une immense frustration. Je ne pouvais rien faire pour celui qui était mon héros. Alors je suis retournée au labo. »

Un immense potentiel économique

Fin 2016, alors qu’elle est toujours chez Janssen, elle réalise que la biologie du vieillissement recèle non seulement un immense potentiel scientifique, mais aussi économique. «La majorité des maladies chroniques apparaissent autour de 65 ans », explique-t-elle. « C’est à cet âge qu’on commence à observer un affaiblissement global des systèmes de régulation du corps. Plusieurs pathologies se manifestent en même temps. Chez les plus jeunes, nos mécanismes de réparation peuvent encore compenser. Mais avec l’âge, il y a trop de facteurs à gérer. Le vieillissement est un processus biologique, ni plus ni moins. Ce que nous voulons, c’est prolonger la durée de vie fonctionnelle de ces mécanismes de réparation. »

En 2017, elle quitte Janssen Pharmaceutica pour créer sa propre entreprise autour de cette idée. « Ce genre d’approche n’est pas possible dans un grand groupe pharma. Il faut une petite équipe capable de tester, de décider, d’avancer vite. J’ai adoré travailler chez Janssen, mais il n’y avait qu’une seule option : lancer ma propre structure et bâtir une propriété intellectuelle autour de mon idée. Je me suis dit : si je ne le tente pas maintenant, je le regretterai toute ma vie. Et si je me plante, eh bien tant pis ! » (elle rit).

La vibe de la découverte

La manière dont Ann Beliën et son équipe ont découvert Compound RJx-01 mérite un chapitre à part entière. La percée initiale s’est appuyée sur un raisonnement scientifique rigoureux, avant d’être amplifiée par un système logiciel développé en interne par les informaticiens de Rejuvenate Biomed. Ce logiciel fouille les bases de données scientifiques à la recherche de substances actives, déjà présentes dans des médicaments existants, susceptibles d’agir sur la biologie du vieillissement. C’est ainsi que les chercheurs sont tombés sur deux principes actifs, issus respectivement de l’extrait de perce-neige et de la rue de chèvre (une plante herbacée également connue sous le nom de galega officinale), utilisés jusqu’ici dans le traitement du diabète de type 2 et de la maladie d’Alzheimer. Grâce à cet outil capable d’identifier rapidement et systématiquement des motifs biologiques, ces substances peuvent être combinées dans un nouveau médicament, susceptible d’avoir un effet thérapeutique sur d’autres pathologies. Comme, dans ce cas précis, la sarcopénie.

« Notre système analyse les liens potentiels entre protéines, dans des volumes et des dimensions tels que notre esprit humain serait incapable d’en tirer des conclusions »

« Notre système analyse les liens potentiels entre protéines, dans des volumes et des dimensions tels que notre esprit humain serait incapable d’en tirer des conclusions », explique Ann Beliën. « Il extrait une mine d’informations cachées dans d’immenses quantités de données, pour générer de nouvelles hypothèses, découvrir de nouvelles protéines, identifier des combinaisons inédites, et, qui sait, ouvrir la voie à des traitements pour de nouvelles maladies. »

Biologistes et informaticiens

Rejuvenate Biomed opère à l’intersection des sciences biomédicales et de l’informatique. « Dans notre équipe, nous avons des biologistes qui sont aussi informaticiens », précise Beliën. « Il y a bien sûr un travail en laboratoire – sur des cellules, des organismes, des souris, des petits poissons, des vers –, mais nous développons aussi notre système d’IA, qui mêle intelligence artificielle et réflexion humaine. Beaucoup de nos collaborateurs maîtrisent les deux disciplines. Certains se lèvent à six heures du matin pour étudier encore un peu de mathématiques avant de venir au bureau. La passion est immense. C’est pourquoi je tiens à ce que tout le monde, depuis les bureaux et les salles de réunion, puisse voir ce qui se passe dans les labos. Car cette énergie de la découverte, cette créativité, je veux qu’elle imprègne l’ensemble de l’entreprise. Moi-même, je viens du laboratoire, et je trouve essentiel que la passion qui y règne circule partout. »

Un bureau à Boston

Depuis les bureaux de Rejuvenate Biomed, situés dans le parc d’activités Bioville à Diepenbeek, on peut apercevoir le campus biomédical de l’Université de Hasselt. L’entreprise y est solidement ancrée, mais elle possède aussi un bureau à Cambridge, en banlieue de Boston. Là-bas, la vue donne sur le dôme néoclassique du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Cette seconde implantation s’explique par la présence dans la région d’un écosystème de connaissances particulièrement riche dans les domaines d’expertise de Rejuvenate Biomed – un vivier que l’entreprise entend exploiter davantage.

Cela dit, le centre de recherche et développement restera toujours basé à Diepenbeek, assure Ann Beliën. « Nous n’avons pas encore d’anciens étudiants de l’Université de Hasselt dans l’équipe, mais c’est important pour nous d’être proches. Nous voulons attirer ici des jeunes talents issus des nouvelles générations. » Boston a été choisi comme base secondaire en raison de sa densité en expertise dans le domaine de la biologie computationnelle.

CEO

Elle-même, dit-elle, aurait bien du mal à se tenir à l’écart du laboratoire, même si sa fonction de CEO lui impose d’autres priorités. « Il est très difficile de se détacher complètement de la recherche. Mais je sais aussi que j’ai construit autour de moi des équipes fantastiques, avec des gens cent fois plus brillants que moi. Je jette encore un œil par-dessus les épaules, je participe aux brainstormings. Je reste très impliquée dans le travail scientifique. En même temps, je ne pourrais pas non plus me désengager du rôle de CEO. Rejuvenate Biomed reste mon bébé. Un jour, il se peut que nous engagions un capitaine externe. Si l’entreprise atteint un stade de croissance où la direction nécessite d’autres compétences pour franchir de nouveaux paliers. Mais pour l’instant, je bâtis – avec ma formation scientifique et mon intuition humaine – une base solide pour l’entreprise. Quand on n’est qu’une vingtaine, il faut poser soi-même les fondations. Sinon, on risque de croître de travers. »

Entrée en Bourse

La suite dépendra du succès des recherches cliniques de base. « Une fois la phase 2 de notre étude clinique terminée, il faudra encore mener une étude destinée à confirmer les résultats précédents sur un groupe plus large de patients. Mais ce n’est plus nous qui nous en chargerons, » explique Beliën. « Notre modèle économique prévoit que nous concédions sous licence Compound RJx-01 à un acteur pharmaceutique plus important, qui prendra en charge la phase 3, les démarches réglementaires finales et la mise sur le marché du produit. C’est à nous de prouver que le médicament fonctionne en clinique. Ensuite, nous vendons la licence. En parallèle, nous avons encore quatre autres candidats-médicaments dans notre pipeline, dont un sera prochainement sélectionné pour le développement. Tant que nous ne générons pas encore de chiffre d’affaires à partir des licences, nous continuons à fonctionner grâce au capital-risque. Mais à terme – car nos investisseurs voudront bien sûr un jour récupérer leur mise – une acquisition ou une entrée en Bourse font partie des options envisagées. »

Le chiffre d’affaires viendra des licences

Rejuvenate Biomed a déjà levé près de 20 millions d’euros en capital à risque. Après une phase d’amorçage – durant laquelle Ann Beliën elle-même a investi dans l’entreprise son indemnité de départ de Janssen Pharmaceutica – une première subvention de 460.000 euros a été accordée en 2018 par l’agence flamande Vlaio. Trois ans plus tard, une première levée de fonds a permis de récolter 3,2 millions d’euros, menée par le fonds luxembourgeois Vesalius Biocapital III, aux côtés d’un consortium comprenant aussi des investisseurs privés. Fin 2021, une nouvelle levée a permis d’obtenir 15,7 millions d’euros supplémentaires, à nouveau avec Vesalius Biocapital, cette fois en partenariat avec la biotech suisse Rejuveron. En 2023, la Société de reconversion du Limbourg (LRM) a également rejoint le tour de table. En plus du capital à risque, Beliën a réussi à obtenir 2,5 millions d’euros de subventions.

La suite dépendra du succès des recherches cliniques de base. « Une fois la phase 2 de notre étude clinique terminée, il faudra encore mener une étude destinée à confirmer les résultats précédents sur un groupe plus large de patients. Mais ce n’est plus nous qui nous en chargerons, » explique Beliën. « Notre modèle économique prévoit que nous concédions sous licence Compound RJx-01 à un acteur pharmaceutique plus important, qui prendra en charge la phase 3, les démarches réglementaires finales et la mise sur le marché du produit. C’est à nous de prouver que le médicament fonctionne en clinique ; ensuite, nous vendons la licence. En parallèle, nous avons encore quatre autres candidats-médicaments dans notre pipeline, dont un sera prochainement sélectionné pour le développement. Tant que nous ne générons pas encore de chiffre d’affaires à partir des licences, nous continuons à fonctionner grâce au capital-risque. Mais à terme – car nos investisseurs voudront bien sûr un jour récupérer leur mise – une acquisition ou une entrée en Bourse font partie des options envisagées. 

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