Le secteur agroalimentaire wallon, deuxième poste d’exportation régionale après l’industrie pharmaceutique, est à un tournant décisif. Face à la menace des droits de douane américains à 30 %, il doit impérativement diversifier ses marchés et s’appuyer sur une Europe plus forte, à la fois ouverte et protectrice. Bernard Keppenne, économiste en chef de la banque CBC, décrypte les enjeux et les stratégies à adopter pour préserver un secteur clé de notre économie.
Les droits de douane de 30 % risquent-ils de frapper durement le secteur agroalimentaire wallon ? Quel impact concret anticipez-vous ?
En Wallonie, après les produits pharmaceutiques, les produits agroalimentaires transformés constituent le second poste d’exportation. Il ne faut pas se limiter au cliché de la bière : le vin, les biscuits, les gaufres, le chocolat et d’autres produits phares wallons sont aussi concernés. Une taxe américaine de 30 % rendrait ces produits non compétitifs sur ce marché clé, ce qui menacerait directement agriculteurs et entreprises. Ce serait extrêmement pénalisant. Ces acteurs devront impérativement explorer de nouveaux débouchés, notamment en Europe, ou s’ouvrir à d’autres marchés en s’appuyant sur des accords commerciaux comme le Mercosur ou avec l’Indonésie.
Quelles stratégies doivent adopter les entreprises face à cette menace ?
Il ne s’agit pas de reconversion, mais d’adaptation stratégique. D’abord, il faut renforcer le marché unique européen, un terrain plus accessible et porteur. Mais cette Europe-là doit être aussi plus ouverte, avec des flux intra-européens fluidifiés et des règles communes plus efficaces. Aujourd’hui, toutes les contraintes internes équivalent à des droits de douane de 45 % — un chiffre alarmant qui montre l’ampleur du travail à faire. Nous disposons pourtant d’atouts majeurs avec un marché de 450 millions de consommateurs. Exploiter pleinement ce potentiel est une priorité. Ensuite, il faut capitaliser sur les accords de libre-échange, qui sont indispensables, tout en veillant à ce qu’ils respectent nos valeurs et standards. On ne peut évidemment pas importer des biens de consommation qui ont été produits avec des produits phytosanitaires interdits chez nous. Il faut absolument une cohérence réglementaire : si ces substances sont jugées dangereuses en Europe, elles ne doivent pas se retrouver dans des produits importés via des accords de libre-échange.
On commence à être habitué au petit jeu de négociation de Trump qui change d’avis comme de chemise… Pensez-vous que ces droits de douane de 30 % seront effectivement appliqués ? Et dans ce cas, quelle doit être la riposte européenne ?
Le scénario de l’application d’un tarif à 30 % serait désastreux, tant pour l’économie européenne que pour l’américaine. C’est un jeu dangereux, il faut bien s’en rendre compte. À l’heure actuelle, les Européens restent relativement optimistes quant à un accord avant la date butoire du 1er août, même si celui-ci sera probablement asymétrique. Des droits de douane autour de 20 % serait alors acceptable. L’idéal étant de revenir à 10%. Cela reste quand même une menace importante. L’Europe doit impérativement se montrer ferme : des mesures de rétorsion, voire un protectionnisme ciblé, doivent être envisagés. La riposte doit être à la hauteur des enjeux, sans céder aux pressions. L’Europe ne doit pas se laisser marcher sur les pieds et doit réagir en fonction de la menace.
Les produits wallons exposés aux droits de douane américains
La bière : des brasseries emblématiques et d’autres acteurs artisanaux exportent une part significative vers le marché américain.
Les biscuits et gaufres : ces produits jouent un rôle essentiel sur le marché international.
Le chocolat et la confiserie : un secteur traditionnel, réputé pour sa qualité, qui représente aussi un volume non négligeable d’exportations.
Les produits laitiers et fromagers : bien que moins volumineux, ils complètent la palette des spécialités régionales.