Action, Flying Tiger, Primark, Aldi… Ils boudent l’e-commerce, et cartonnent!
Qui a dit qu’il fallait absolument vendre en ligne pour connaître le succès ? Plusieurs enseignes prouvent le contraire. Avec leurs seuls magasins physiques, les discounters attirent les foules et mettent à mal les chaînes traditionnelles qui tentent, elles, de rentabiliser leur e-commerce. Focus sur des stratégies en béton.
Al’ère ” amazonienne “, on pourrait considérer l’e-commerce comme une nécessité vitale pour les distributeurs. Mais est-on obligé de vendre en ligne pour survivre ? ” Clairement non, répond Gino Van Ossel, professeur de retail marketing à la Vlerick Business School. Sinon, des acteurs comme Action, Primark, etc., ne connaîtraient pas autant de succès. ” Personne ne peut savoir ce que réservera l’avenir – les joueurs que nous avons contactés refusent d’ailleurs tous de tirer une croix définitive sur l’e-commerce – mais force est de constater que jusqu’à présent, un nombre suffisant de clients acceptent de se déplacer jusqu’à leurs magasins. C’est que le modèle discount qu’ils promeuvent est en lui-même un modèle disruptif, au même titre que l’e-commerce. Il leur permet se différencier suffisamment. Voici leurs petits secrets.
Action et ses prix très bas
Avec ses 1.438 magasins répartis dans sept pays européens (Belgique – 177 points de vente, Pays-Bas, Allemagne, France, Luxembourg, Autriche, Pologne), la chaîne néerlandaise Action, aux mains du fonds d’investissement 3i (Basic-Fit, Hans Anders, etc.), est une vraie machine de guerre dans le discount non alimentaire. Ses secrets ? Des prix très bas – 1,72 euro en moyenne – et un assortiment qui change régulièrement au gré des bonnes affaires, ce qui permet d’augmenter la fréquence d’achat. Les articles vendus (14 catégories) sont essentiellement des marques propres fabriquées en Asie pour un coût très bas. Mais le discounter vend aussi quelques grandes marques bien connues, essentiellement dans les produits de lessive, cosmétiques, shampoings, snacks et boissons. Afin de proposer des prix cassés sur ces grandes marques, le groupe procédait, par le passé, par importation parallèle, à des achats dans d’autres pays ou au déstockage. Mais il est aujourd’hui devenu trop grand, et ne peut plus se contenter de cette manière de procéder. Action négocie donc en direct avec les grands groupes, qui adaptent pour lui leurs produits au niveau du packaging, du volume, etc.
Le modèle discount est en lui-même un modèle disruptif, au même titre que l’e-commerce.
Pour réduire ses coûts, la chaîne joue sur les volumes (ce qui lui permet de négocier durement avec ses fournisseurs), s’installe dans des localisations secondaires (en périphérie, dans des sous-sols, etc.), propose des points de vente complètement dépouillés, optimise au maximum sa chaîne logistique et… ne permet pas à ses clients d’acheter en ligne. ” Notre modèle discount est en lui-même déjà disruptif, tout comme l’est l’e-commerce, affirme Yvette Moll, directrice communication. Il nous serait par ailleurs compliqué de rendre les ventes en ligne profitables avec des articles à si bas prix. En outre, les clients viennent chez nous pour l’un ou l’autre article, et ressortent avec plein d’autres choses. Ce n’est pas possible en ligne. ” La chaîne a donc décidé de se concentrer sur l’ouverture de magasins physiques. D’après notre interlocutrice, le potentiel serait d’ailleurs important. ” Nous avons récemment ouvert 230 magasins dans les sept pays dans lesquels nous sommes présents, explique-t-elle. Il y a encore du potentiel dans ces pays, et dans d’autres pays également. En Belgique, nous avons déjà ouvert 10 nouveaux points de vente cette année. D’autres doivent suivre. ”
Le parcours imposé de Flying Tiger
La marque danoise (groupe Zebra A/S) est active sur le sol belge (25 magasins) depuis 2014. Présente dans toute l’Europe (sauf au Luxembourg), aux Etats-Unis, au Japon et en Corée du Sud, elle offre dans ses rayons des articles de décoration ou fun à très bas prix. Des articles à marque propre que le groupe dessine lui-même (ce qui permet d’éviter la comparaison) avant de les faire fabriquer en Asie. Une chose est certaine : on ne va pas chez Flying Tiger parce que l’on sait précisément ce que l’on veut. La marque joue à fond sur les achats impulsifs et l’expérience en point de vente. ” Nous ne vendons pas des produits, lance Benoît Lefebvre, directeur Wallonie-Bruxelles. Nous vendons une ambiance et une expérience client. En magasin, les clients doivent suivre un parcours imposé, ce qui nous permet de les surprendre. Cette expérience est impossible à reproduire en ligne, où tout est catégorisé. Nous perdrions notre ADN. Depuis le départ, Flying Tiger accorde une très grande importance à l’expérience d’achat. Notre concept n’a pour ainsi dire pas changé, là où tout le monde, aujourd’hui, fait évoluer son modèle pour renforcer l’expérience client. “
Outre ces réflexions, le responsable reconnaît toutefois que le choix délibéré de ne pas se lancer dans l’e-commerce est aussi guidé par des considérations financières. ” Expédier un article à 2 euros avec 2 euros de frais de livraison ou encore davantage, cela n’a pas beaucoup de sens “, dit-il.
Gino Van Ossel comprend tout à fait que Flying Tiger ne se soit pas tourné vers l’e-commerce. ” Les achats d’impulsion et le cross-selling restent très compliqués à déclencher sur le Net, dit-il. L’e-commerce est plutôt le lieu des achats planifiés. Or, tout le business model de Flying Tiger repose sur le volume. Il faut sortir du magasin avec plein de petits articles que nous n’avions pas prévu d’acheter. Si le groupe se lançait dans l’e-commerce avec la plupart de son assortiment, cela lui coûterait de l’argent. ”
Etant donné que l’enseigne danoise n’est pas une enseigne de destination (on ne s’y rend pas avec un but précis), elle doit absolument se situer dans des endroits à fort trafic, comme les centres-villes et les shopping centers. ” Des endroits coûteux, reconnaît Benoît Lefebvre. Mais là où d’autres investissent dans le marketing, nous investissons dans les loyers. ” La baisse de fréquentation des centres-villes et centres commerciaux pourrait clairement constituer une menace pour la chaîne, estime Gino Van Ossel. ” Elle commence à se poser des questions, dit-il. Tant que le taux de croissance est suffisant, pas de souci. Mais si l’enseigne perd cette croissance, elle va devoir réévaluer son business model. Pourquoi ne pas combiner de l’impulsion avec du planifié qui, lui, pourrait être vendu en ligne ? ”
Primark mise sur le volume
Alors que des rumeurs ont circulé en début d’année sur le fait que l’enseigne irlandaise de mode à bas prix pourrait éventuellement se lancer dans la vente en ligne, celles-ci ont été aussitôt tempérées par la marque qui, si elle y réfléchit, ne fait pas de l’e-commerce une priorité à court terme. ” Le online est important pour Primark, nous assure un porte-parole. Nous avons une présence importante et une croissance rapide dans les médias numériques et les médias sociaux, avec actuellement 14,5 millions d’abonnés. Nos clients aiment regarder les dernières offres en ligne et venir ensuite en magasin pour acheter. La combinaison d’un magasin design, d’une expérience shopping et de prix imbattables est ce qui rend Primark si attrayant. ”
En fait, un discounter comme Primark n’aurait aucun intérêt à se lancer dans le commerce en ligne. Sa marge par article, en euros, est très faible. L’enseigne fonctionne donc sur le volume. L’idée, c’est que vous ressortiez du magasin avec un tas d’articles à 4 euros. Ce n’est pas pour rien si les caisses d’un Primark ressemblent comme deux gouttes d’eau à des caisses de supermarché, avec une multitude d’articles à très bas prix le long des files pour susciter les achats d’impulsion. Or, en moyenne, les clients achètent moins d’articles par commande sur le Net. Il faudrait donc que les consommateurs se mettent à remplir leur panier en ligne à ras bord. Et dans ce cas, les coûts exploseraient pour Primark.
” Ce qui détermine les coûts dans l’e-commerce, c’est le nombre d’articles à mettre dans la boîte, explique Gino Van Ossel. Si le ticket de caisse est plus ou moins le même chez Primark et H&M, le nombre d’articles pour un même montant sera plus élevé chez Primark. La préparation de la commande coûtera donc plus cher. Afin de réduire ces coûts, il faudrait automatiser davantage le picking et optimiser les livraisons. “
Notre expert pointe enfin le défi des retours. ” Si le taux de retour est similaire à celui d’un Zalando, à savoir 50%, cela serait tout simplement impossible à rentabiliser pour Primark. ”
Aldi embellit ses magasins
Les stars du hard discount ont déjà beaucoup évolué ces dernières années. Aldi et Lidl ont quitté le hard discount pur et dur pour se tourner vers une forme de smart discount. Comprenez l’embellissement de leurs magasins, le renforcement du rayon frais, l’introduction de quelques grandes marques aussi. Objectif : faire venir les clients plus souvent (de nouveaux clients également, qui ne franchissaient pas la porte jusqu’alors) et augmenter leur panier moyen. De là à se lancer dans l’e-commerce…
” Le commerce en ligne et le discount alimentaire sont deux modèles opposés, explique Matthias Queck, directeur de recherche chez LZ Retailytics, auteur d’une étude intitulée Online grocery : the discounters’ Achilles’ heel. Le hard discount, c’est le self-service poussé à l’extrême. Les coûts salariaux, notamment, sont l’un des postes auxquels ils font le plus attention. Or, l’e-commerce est un modèle coûteux, plus particulièrement le dernier kilomètre. Vendre en ligne signifierait pour eux le risque de perdre leur avantage en matière de prix. ”
Chez Aldi, on explique suivre de près les possibilités en matière de commerce électronique. ” Mais nous ne pouvons pas préciser pour le moment si notre groupe s’engagera dans cette voie “, se contente de répondre Dieter Snoeck, porte-parole de la chaîne en Belgique. Aux Etats-Unis, pourtant, le discounter allemand propose la livraison à domicile via la start-up Instacart (livraison express de produits alimentaires par des livreurs indépendants). Un choix qui n’est pas du tout anodin, d’après notre expert. ” Le fait de travailler avec un partenaire externe peut justifier, aux yeux des consommateurs, des coûts de livraison plus élevés, permettant par ailleurs aux discounters de conserver leur rentabilité. ”
Contrairement à Aldi, son concurrent de toujours, Lidl, se veut un petit peu plus entreprenant en matière d’e-commerce. La marque du groupe allemand Schwarz a lancé dans plusieurs pays (dont la Belgique) la vente en ligne de produits non alimentaires. A ce jour, la chaîne propose chez nous 4.000 références non alimentaires dans neuf catégories de produits comme la cuisine, le sport, la mode en encore le jardinage. ” La marge en euro sur ces articles est plus élevée que sur l’alimentaire, explique Gino Van Ossel. Par ailleurs, ce sont des articles souvent trop volumineux, que le consommateur ne vient pas chercher en magasin. ”
Reste que dans l’alimentaire aussi, Lidl mène quelques tests. Prudemment. Depuis la fin de l’année dernière, un projet pilote baptisé Lidl Simpl a été lancé à Gand. Quelque 950 produits frais peuvent à ce jour être livrés dans la ville pour 3,99 euros via le partenaire externe Cargo Velo. ” Nous étudions les possibilités afin d’étendre le service à d’autres villes “, explique Julien Wathieu, porte-parole de Lidl Belgique. Pour le discounter, il s’agit avant tout de tester prudemment la rentabilité d’un tel projet sans mettre à mal un business model qui, sans e-commerce, continue de faire souffrir les supermarchés traditionnels.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici