Acheter en grande quantité n’est pas toujours aussi avantageux que l’on croit
Si vous achetez des produits par grandes quantités au supermarché, ils devraient normalement être moins chers. C’est ce que pensent de nombreux clients, mais ce n’est pas toujours vrai. Nous avons fait le test en achetant un grand paquet de biscuits « Leo ». Par la suite, il s’est avéré que ces biscuits coûtaient jusqu’à trois fois plus cher par unité que les mêmes vendus en plus petit paquet. Pierre-Alexandre Billiet, expert en commerce de détail, explique pourquoi ces grands paquets peuvent être bien trompeurs.
Acheter en grandes quantités, proportionnellement, est-ce vraiment payer moins? De nombreux clients pensent que oui en passant dans les rayons des supermarchés. Selon eux, s’ils achètent une grande bouteille de shampoing ou un gros paquet de céréales, ils paieront moins cher que s’ils choisissaient le même produit vendu en plus petit conditionnement.
La logique à cela est que, dans de nombreux cas, les producteurs mettent en avant ce prix intéressant afin d’inciter les clients à dépenser une somme plus importante en une seule fois.
Il n’est donc pas surprenant que des consommateurs pressés (et parfois aveuglés) prennent un produit en grand conditionnement. C’est ce qu’a fait un de nos collègues. Il a acheté un paquet de 32 gaufrettes Leo chez Colruyt, mais lorsqu’il a vérifié son ticket de caisse par la suite, il a constaté que ce paquet lui avait coûté 40 euros, soit 1,25 euro par biscuit. Dans le même supermarché, un paquet de 12 biscuits Leo coûte 5,09 euros, soit 0,42 euro par biscuit. Chaque biscuit du grand paquet coûte donc trois fois plus que ceux d’un petit paquet…
Le prix le plus bas n’est pas le moins cher
“Colruyt garantit les prix les plus bas et rembourse aux clients la différence lorsqu’un produit est finalement moins cher dans un autre magasin voisin”, explique Pierre-Alexandre Billiet, expert en commerce de détail chez Gondola. “Si Colruyt est effectivement moins cher que ses concurrents, cela ne signifie pas pour autant que le client paie toujours moins pour un produit. Dans le cas de ces biscuits, les autres supermarchés de la région peuvent très bien ne pas vendre ce produit en grand conditionnement, et Colruyt peut donc fixer son propre prix. Il n’a pas à entrer en concurrence avec d’autres magasins”.
Mais les promotions peuvent également contribuer à brouiller les rapports de prix entre les mêmes produits. Un grand emballage peut être proportionnellement plus cher si un concurrent lance soudainement des promotions importantes, comme une action 1+1, sur un petit emballage. Dans ce cas, Colruyt doit suivre le prix bas et le petit paquet est proportionnellement beaucoup moins cher.
“On peut se demander si Colruyt utilise sa stratégie de prix les plus bas principalement pour concurrencer les autres supermarchés ou pour offrir réellement de tels tarifs aux consommateurs. En effet, on peut se demander si cette stratégie fonctionne bien. J’ai déjà vu des différences de prix entre les mêmes produits dans un même supermarché, mais une différence de prix de 300%, c’est beaucoup. Le consommateur se sentira floué lorsqu’il consultera son ticket de caisse. Il perdra donc confiance en Colruyt”.
Mais il n’y a pas que Colruyt
Mais cette « arnaque », causée par les grands conditionnements, n’est pas uniquement l’apanage de Colruyt dans ses supermarchés. Dans d’autres grandes surfaces, les grands conditionnements peuvent être considérablement plus chers, explique M. Billiet. “Il arrive qu’un fabricant utilise plus de matériel pour un grand emballage que pour un petit. C’est le cas par exemple lorsque des articles sont emballés séparément, mais qu’ils sont tous regroupés au sein d’un même grand emballage. Ce coût supplémentaire est répercuté sur le consommateur. Certaines marques considèrent aussi qu’un grand emballage constitue une valeur ajoutée pour les produits que les consommateurs préfèrent acheter en grandes quantités. Transporter cinq paquets de spaghettis séparés, par exemple, peut être gênant tandis qu’emporter un seul grand paquet est plus pratique. C’est pour cette raison aussi que les marques facturent plus cher les grands conditionnements”.
Selon l’expert en commerce de détail, les consommateurs accordent trop d’attention aux détails et en perdent de vue la manière dont les supermarchés gèrent la concurrence. “Les supermarchés sont régulièrement confrontés à de faibles marges bénéficiaires. Par conséquent, les chiffres de ces chaînes ne sont pas très bons et elles essaient de compenser ce problème en gagnant des clients grâce à des promotions de grande envergure. Les promotions 1+1 déroutent les consommateurs et rendent les comparaisons difficiles. Il n’est pas surprenant que les gens inventent des légendes urbaines, comme l’idée qu’acheter en grands conditionnements revient moins cher”.
M. Billiet conseille donc aux consommateurs de prendre le temps de comparer les produits. Et de regarder le prix d’un produit au kilo ou au litre. En Belgique, les supermarchés sont tenus d’indiquer ce prix unitaire sur l’étiquette. M. Billiet recommande également de comparer non seulement les produits alimentaires, mais aussi les produits non alimentaires, car ces rapports anormaux de prix peuvent toucher n’importe quel type de produit.
Autorégulation ou réglementation gouvernementale
Mais s’il est si difficile pour les consommateurs de comparer les prix, n’est-il pas indispensable d’en accroître la transparence ? Les supermarchés pourraient afficher sur l’étiquette un prix au kilo ou au litre qui prendrait automatiquement en compte les promotions 1+1. Mais cela aurait d’autres effets négatifs, selon Pierre-Alexandre Billiet. “Si tout est transparent à 100 %, les produits finiront par coûter le même prix partout. On se retrouve alors dans une sorte de système communiste. Si les supermarchés perdent leurs avantages stratégiques, les grands distributeurs organiseront davantage d’activités à l’étranger et nous perdrons donc des emplois dans notre pays. Les détaillants pourraient également importer des produits moins chers de l’étranger. Avec le temps, la qualité de nos aliments et autres produits pourrait également se détériorer, alors que le prix ne varierait pas. Tout devient un produit de base”.
En bref, les supermarchés utiliseraient toutes sortes d’échappatoires pour continuer à bénéficier d’avantages commerciaux. L’expert note qu’aujourd’hui déjà, dans les pays du sud de l’Europe, comme l’Espagne et la France, il y a une surréglementation dans le commerce de détail. Dans le cas contraire, si les supermarchés deviennent une sorte de Far West sans aucune réglementation, il y a également des inconvénients majeurs. Selon M. Billiet, la situation au Royaume-Uni en est la preuve. “Là-bas, les prix baissent vite, mais la qualité baisse encore plus vite.
L’expert en commerce de détail de Gondola préconise donc une sorte de juste milieu : des accords entre les enseignes de supermarchés en Belgique afin de limiter les promotions les plus importantes. Il entend par là les offres qui permettent aux clients d’obtenir plusieurs articles gratuitement lors de l’achat d’un produit. “D’après les conversations que j’ai eues avec les responsables locaux de ces chaînes, il est clair qu’ils sont conscients du problème des promotions. La Belgique est également un petit pays et les principaux acteurs du secteur se connaissent. Il est donc logique de procéder ensemble à l’autorégulation. Je crois que c’est possible en Belgique. Si rien n’est fait, à terme, le gouvernement risque d’intervenir et nous risquons alors d’aller trop loin et de nous retrouver dans une situation de surréglementation. Les politiciens francophones seront très tentés de suivre l’exemple français, et cela ne profitera à personne.
Réponse du groupe Colruyt
Dans un courriel adressé à Trends, Colruyt souligne qu’il est très rare que la différence de prix avec les grands conditionnements soit aussi importante. “Il est vrai que nous sommes parfois plus chers pour un petit paquet que pour la variante plus grande. Cela est dû à notre suivi des prix, d’une part, et certainement aussi au suivi des promotions, d’autre part. Une différence de 300 % ne nous semble que très exceptionnelle et nous veillons à ce que le prix unitaire soit consultable par les clients.”
Colruyt précise également qu’il ne fixe lui-même le prix des produits que s’ils sont totalement introuvables dans les gammes des concurrents. “Ce n’est donc pas parce que nous ne trouvons pas exactement le même emballage que nous ne réagissons pas. “
La chaîne souhaite également répondre à la déclaration de Pierre-Alexandre Billiet, qui s’interroge sur le bien-fondé de la stratégie de Colruyt en matière de prix les plus bas. Après tout, les consommateurs pourraient se sentir floués lorsqu’ils consultent leur ticket de caisse, explique-t-il.
“Nous sommes convaincus que cette stratégie fonctionne, nous la pratiquons avec succès depuis 50 ans. Chez nous, les clients sont toujours assurés d’obtenir le prix le plus bas, qu’il s’agisse d’un grand ou d’un petit produit. Non seulement parce que nous suivons la concurrence et que nous surveillons donc constamment le marché et adaptons les prix, mais aussi parce que nous proposons nous-mêmes des promotions intéressantes. Cela n’a rien à voir avec nos concurrents. Nous le faisons avant tout pour nos clients et leur portefeuille. C’est pour eux que nous faisons cette promesse et que nous mettons tout en œuvre pour la tenir au quotidien. Et nos clients sont intelligents. Ils sont très attentifs aux prix, les comparent eux-mêmes et surveillent les promotions. Nous ne sous-estimons jamais nos clients”.
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