Accord de l’été: “Cet accord est un premier pas dans la bonne direction”

L’Arizona fédérale a conclu, le 21 juillet, "l’accord du siècle" sur le plan socio-économique, dixit le Premier ministre Bart De Wever. © Belgaimage
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

À la tête de leur business en solo, d’une petite ou d’une plus grande entreprise, les CEO que nous avons interrogés se félicitent des mesures valorisant le travail, accentuant la flexibilité ou soutenant la compétitivité. Le chantier n’est toutefois pas fini et attention à ne pas prendre des mesures “trop rigides”.

Selon les termes du Premier ministre, Bart De Wever, l’Arizona fédérale a conclu, le 21 juillet, “l’accord du siècle” sur le plan socio-économique. Les réformes de l’emploi, de la fiscalité et des pensions ont une portée importante. Mais qu’en pensent les entrepreneurs confrontés, au quotidien, aux difficultés dans leur chair ?

“C’est un bon pas, mais ce n’est pas encore la révolution”, estime Olivier Etienne, gérant de Belisol. “On donne enfin de la flexibilité à un monde du travail en profonde mutation”, se réjouit Bertrand Guelette, directeur général de BOPartner (informatique) et administrateur de la brasserie de la Houppe. “Il y a des choses positives, mais tout est fort rigide et peu favorable aux femmes”, souligne Marie Buron, CEO de Womanly. “C’est ce que l’on attend du politique, qu’il agisse au profit des citoyens et des entreprises”, se félicite David Eloy, administrateur délégué du Groupe Eloy.

Des sentiments contrastés, mais une impression générale positive, dans le contexte économique instable du moment.

“Le marché du travail a évolué”

Gérant de Belisol, à Liège, après de nombreuses autre missions entrepreneuriales, notamment chez Ice Watch, Olivier Etienne constate qu’il n’a “jamais été aussi difficile de faire de l’argent” qu’aujourd’hui. L’économie est instable, singulièrement pour les indépendants. “Ils génèrent une part importante de la richesse, mais sont souvent délaissés, dit-il. Les syndicats se battent pour les travailleurs d’Audi Brussels, ce qui est normal, mais personne ne s’émeut quand votre boulanger ou votre plombier éprouve des difficultés.” Voilà pourquoi il est devenu président de l’UCM à Liège.

Son regard sur cet accord de l’été ? Un premier pas. “Le marché du travail a fortement évolué, dit-il. Le droit de grève, c’est peut-être une belle chose, mais il faut que l’on s’adapte. Nous avons besoin de travailleurs flexibles et formés aux besoins des entreprises. C’est compliqué de les trouver en raison des taxes et des mentalités. Les réformes initiées par l’Arizona montrent, en tout cas, une volonté de changement.”

Desmesures positives

La limitation des allocations de chômage dans le temps, la flexibilité plus grande du travail ou la capacité à accepter davantage d’heures supplémentaires sont des mesures positives. “Si quelqu’un est volontaire et veut travailler plus, il peut le faire et le patron sera moins taxé. J’approuve aussi les modalités adaptées pour le paiement anticipé des impôts.”

Olivier Etienne regrette, en revanche, le soutien renforcé à l’intérim. “C’est une invention intéressante pour répondre aux fluctuations de la demande, mais c’est devenu le pire mécanisme qui soit. On paye plus cher des travailleurs pour une période limitée parce que cela est devenu trop lourd et compliqué d’engager quelqu’un. En réalité, on détourne l’intérim de sa mission initiale.”

Grand coup de chapeau, cependant, à ce fameux “droit au rebond” qui permet à un travailleur de se relancer, avec indemnités, quand il n’apprécie plus son emploi. “Si quelqu’un travaille chez vous, mais souhaite partir après un certain temps pour une raison qui le regarde, il peut le faire sans que cela ne vous coûte trop cher. C’est bon pour l’employé et pour l’employeur !”

“Adapter son temps de travail”

Selon Olivier Etienne, CEO de Belisol, “les réformes initiées par l’Arizona montrent une volonté de changement”. © PG

Flexibilité. C’est également le maître-mot de Bertrand Guelette, qui dirige à la fois BOPartner et la brasserie de la Houppe. “Le monde du travail est en profonde mutation avec les générations qui arrivent, dit-il, lui aussi. On donne la possibilité aux salariés de choisir leur intensité de travail, on enlève les barrières permettant cette flexibilité. C’est important dans le secteur de l’horeca, que je connais bien. Si je suis devenu entrepreneur, c’est précisément pour adapter mon temps de travail. Je veux pouvoir m’arrêter quand je veux, faire des heures supplémentaires quand j’en ai financièrement besoin… Les jeunes raisonnent comme cela aussi, désormais.”

Ce n’est pas une révolution, prolonge-t-il, mais le gouvernement accompagne une lame de fond. “Je suis convaincu que nous irons de plus en plus vers des travailleurs indépendants, qui combineront plusieurs métiers.”

Pour recruter des employés, les entreprises ont besoin de proposer des fonctions ‘clé sur porte’. “Nous le faisions déjà de façon informelle, souligne Bertrand Guelette. Cela nous permettra de le faire de façon formelle et de ‘récompenser’ ceux qui travaillent plus.”

Quant aux chômeurs?

La remise au travail des chômeurs ? “Il est clair que le système permettant de décider que l’on ne travaillera pas, à vie, posait un problème. Mais je comprends aussi que certains ne soient plus capables de travailler et je pense qu’il faut évidemment les aider. On doit s’en prendre à ceux qui profitent du système, qui utilisent des certificats médicaux de complaisance, mais ne pas stigmatiser ceux qui ont besoin de ces aides. Nous devons rester humains avant tout.”

Le chef d’entreprise aimerait aussi – “Je ne l’ai pas vu dans les textes…” – que l’on “favorise les marchés publics pour les entreprises locales”. “Cela permettrait de remettre nos Régions sur les bons rails. Il y a sans doute des règles qui l’empêchent, mais le soutien à ceux qui paient des impôts sur le territoire et donnent de l’emploi, cela serait positif. J’ai vu, par ailleurs, la baisse annoncée des charges, mais… c’est lent. On arrivera à des réductions bénéfiques en 2029, mais où en sera-t-on alors en termes de compétitivité ?” Un premier pas, donc…

“On arrivera à des réductions bénéfiques en 2029, mais où en sera-t-on alors en termes de compétitivité ?” – Bertrand Guelette (BOPartner, Houppe)

“Le droit à l’erreur est positif”

Marie Buron, CEO de Womanly, se bat pour favoriser l’entrepreneuriat féminin. Il y a cinq ans, elle a abandonné son travail de salariée dans le marketing et la communication pour se lancer à son compte et créer une structure pour le faire. “Il y a certainement des évolutions positives dans la réforme fiscale, qui vont soulager les petits entrepreneurs qui se lancent, analyse-t-elle. En Belgique, le problème est que l’on doit payer des sommes considérables avant même d’avoir gagné le premier euro.”

La CEO de Womanly, Marie Buron, salue “les évolutions positives”, mais déplore une réforme des pensions “brutale” qui impactera “prioritairement les femmes”.
© PG

Un autre point qu’elle salue, c’est la réforme visant à supprimer l’amende octroyée à l’indépendant qui omet de remettre sa déclaration, ce que la ministre libérale Eléonore Simonet appelle “le droit à l’erreur”. “En tant qu’indépendants, nous avons trop souvent le sentiment d’être présumés coupables, dit-elle. De façon générale, les indépendants se lancent en raison d’une passion pour une expertise, on ne les accompagne pas suffisamment dans la réussite de leur aventure.”

Les femmes sont pénalisées…

La tonalité des réformes est positive, y compris en matière de pensions avec ses bonus et ses malus. Sauf, et c’est une nuance importante, pour les femmes. “La façon dont on prend en considération les périodes assimilées impactera prioritairement les femmes, regrette Marie Buron. Elles sont pénalisées pour des carrières irrégulières qui sont bien souvent la conséquence de leur maternité ou de situations familiales.”

L’entrée en vigueur des réformes, à partir du 1er janvier 2026, est “brutale”, même si cela est dû au fait que l’on n’a pas agi suffisamment tôt face au défi du vieillissement.

Comme ses collègues, la CEO salue l’action en matière de flexibilité du travail, mais la juge insuffisante. “Ma vision de ce gouvernement, c’est qu’il continue à valoriser le travail en tenant compte de parcours linéaires. Finalement, il conserve une vision assez rigide de l’économie.” Marie Buron se félicite toutefois du “droit au rebond”, dont elle aurait pu bénéficier au moment de se lancer. De la souplesse, encore et toujours.

“Investir pour l’environnement”

Administrateur délégué du groupe familial Eloy, actif dans la construction, David Eloy se félicite déjà du fait… qu’il y ait un accord.
Concrètement, en épluchant les mesures, il épingle “la déduction fiscale majorée de 40% sur les investissements dans l’environnement, la mobilité, la recherche et le développement”. “Cela abaisse le coût d’un projet industriel à ambition environnementale, ce qui est a priori très positif pour nous, se félicite-t-il. Nous misons beaucoup sur les projets de construction à impact ou l’épuration des eaux de nouvelle génération. Ce sont des investissements conséquents. Le vert, cela coûte cher. Prenons l’exemple du béton bas carbone : c’est une évolution majeure, mais quand on compte le coût du développement, ce n’est plus intéressant.”

Cela n’est pas incompatible avec les propos de David Clarinval, vice-Premier ministre MR, suggérant, après la conclusion de l’accord, qu’une “pause environnementale” s’impose en Europe. “À force de vouloir être les premiers de la classe avec le Green Deal, on met à mal notre compétitivité, acquiesce David Eloy. Cela pénalise les entreprises au niveau international. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas agir.”

“Encourager ceux qui veulent travailler”

La déduction fiscale majorée de 40 % sur les investissements dans l’environnement, la mobilité, la recherche et le développement, “abaisse le coût d’un projet industriel à ambition environnementale”, se félicite David Eloy. © Getty Images

Ce dernier pointe encore la possibilité octroyée aux entreprises d’augmenter la valeur faciale du chèque-repas, de 1 ou 2 euros. “Cela permet de revaloriser immédiatement la rémunération d’un travail sans handicaper la compétitivité de façon structurelle, pense David Eloy. C’est simple et efficace.” De façon générale, le patron liégeois salue la volonté affichée par l’Arizona fédérale “d’encourager ceux qui veulent travailler”.

“La possibilité de faire des heures supplémentaires facilement, c’est une mesure utile pour notre secteur, complète-t-il. Cela permet de soutenir les collaborateurs qui veulent centrer leur activité autour de l’entreprise et qui jouent le jeu.” Dit pudiquement, cela permettra de lutter contre les “petits travaux” effectués en dehors des heures. S’il est moins concerné par le sujet, l’administrateur délégué s’interroge, en revanche, sur la pertinence de faire commencer le travail de nuit à minuit. “Il me semble qu’à 22 heures, c’est déjà du travail de nuit…”

“Ce sera intéressant de voir comment les mesures fédérales seront complétées au niveau régional.” – David Eloy (Groupe Eloy)

Quoi qu’il en soit, la volonté de remettre au travail ceux qui ont décroché ou de valoriser ceux qui travaillent va dans la bonne direction. “Ce sera intéressant de voir comment les mesures fédérales seront complétées au niveau régional. Nous devons tout faire pour que les métiers soient attractifs et nos entreprises compétitives.”
Aux yeux des entrepreneurs, ce qui a été entériné par l’Arizona fédérale, cet été, représente un premier pas. Mais le chantier est loin d’être fini.

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