50 ans d’Afflelou: la marque change de monture

Alain Afflelou à Bordeaux en mars dernier, devant sa première boutique. © belga image
Antoine Moreno Journaliste

Il y a 50 ans, Alain Afflelou faisait son apparition sur le marché de la franchise optique. Avec 47 points de vente en Belgique, le lunettier est désormais dirigé par le fils du fondateur, Anthony, 31 ans. Pas de bouleversement à l’horizon mais une feuille de route qui s’inscrit dans la continuité face à une concurrence de plus en plus forte.

Il a converti l’optique au marketing, dixit le célèbre publicitaire au regard de reptile, Jacques Séguéla. Venant de la part d’un homme capable de vendre des frigidaires à des Inuits, la sentence est un compliment. L’opticien, c’est Alain Afflelou, 74 ans. Avant lui, les magasins ressemblaient à des officines de pharmacie où il était interdit de toucher une monture. Le lunettier français qui a ouvert son premier magasin il y a tout juste 50 ans, connu pour ses slogans qui ne vous lâchent plus (“Il est fou Afflelou”, “Tchin-tchin, votre deuxième paire pour un euro de plus”), passe aujourd’hui la main à son fils Anthony, 31 ans. La nomination n’est pas le fait du prince, tient-on à faire savoir: elle a été entérinée par le fonds d’investissement britannique Lion Capital et la Caisse de dépôt du Québec, actionnaires majoritaires à hauteur de 71%.

Les perspectives du marché audio sont exceptionnelles.” Anthony Afflelou

Le groupe, détenu à 29% par la famille Afflelou, possède un réseau de 1.500 points de vente dans le monde (dont 47 en Belgique) pour un chiffre d’affaires de 980 millions d’euros. La nomination du nouveau dirigeant, amorcerait-elle un nouveau virage? “On ne va pas révolutionner l’entreprise mais il y a des évolutions certaines avec une feuille de route claire”, avance le jeune DG dans ses bureaux parisiens. Quid de cette roadmap? L’opticien qui a fait le pari d’élargir son core business à la correction de l’audition poursuit son chemin vers l’audio, sans toutefois se fixer des objectifs précis. Onze ans après son lancement, l’enseigne “Alain Afflelou acousticien” génère en France 10% du chiffre d’affaires. Ailleurs, l’offre est embryonnaire. En Belgique, un seul magasin de la marque propose ce service. Une avancée à pas mesurés qui n’entame pas la confiance d’Anthony Afflelou pour qui “les perspectives du marché audio sont exceptionnelles”. Le déferlement à venir des papyboomers pourrait lui donner raison. Reste à vaincre les seniors qui refusent 7 fois sur 10 de se faire appareiller malgré une déficience auditive avérée. “Les aides auditives sont encore un sujet tabou”, concède Anthony Afflelou qui évite d’utiliser le mot ‘prothèses’, un terme jugé trop médical et peu vendeur qui ne correspond pas à ce que devrait nous réserver le futur. “Quand je me suis plongé dans le domaine, il y a quatre ans, j’ai découvert des produits qui sont des bijoux de technologie. Les principaux fournisseurs dépensent des sommes considérables en R&D. On parle de produits connectés qui vont ressembler de plus en plus à des écouteurs intra-auriculaires comparables à ceux que l’on utilise pour écouter de la musique avec son téléphone portable. Ma conviction, c’est que d’ici quelques années, quelqu’un de 20 ans ou de 70 ans portera aux oreilles les mêmes accessoires, sauf que pour la personne dont l’audition est déficiente, ces accessoires lui permettront de mieux entendre.”

Alain Afflelou à Bordeaux en mars dernier, devant sa première boutique.
Alain Afflelou à Bordeaux en mars dernier, devant sa première boutique.© belga image

Au pas de course

La nouvelle figure emblématique d’Afflelou s’est frottée à tous les départements, ou presque de la société. Si l’on excepte une figuration dans l’un des spots publicitaires “Tchin-Tchin” quand il avait huit ans, Anthony a rejoint l’entreprise familiale une dizaine de mois après la fin de ses études de commerce. En 2015, il gère un point de vente à Madrid, intègre ensuite l’équipe du développement international à Genève, codirige 18 mois plus tard la transformation digitale du groupe, puis dirige le marketing et la communication avant d’accéder l’été dernier au poste suprême. Un parcours bouclé au pas de course.

Chez les Afflelou, on ne perd pas de temps. En moins d’une décennie et demie, le père a transformé une modeste boutique d’opticien dans la banlieue de Bordeaux en une marque de premier plan. Porté par le succès, le businessman devient un décideur en vogue, typique des années 1980, qui mène grand train et voyage en jet privé. Grâce à ses apparitions publicitaires, il est l’un des rares patrons que le grand public est capable de reconnaître dans la rue. On pousse la porte de ses boutiques comme on entre chez un ami. L’époque a changé. Il y a quelques années, le mentor cède sa place sur le petit écran à une star du grand, Sharon Stone, pour propulser l’image de la marque à l’international. Aujourd’hui, le temps des ambassadrices est révolu. La communication, à laquelle la société consacrerait 7% de son chiffre d’affaires, a décidé de se passer d’égéries. La dernière pub en date joue sur la jeunesse, l’excentricité et l’inclusion. Montage syncopé, corps en mouvement, Apple n’est pas loin. “L’avantage des égéries, c’est leur renommée. Sharon Stone nous a aidés à faire passer un cap de notoriété. Aujourd’hui, on souhaite une communication plus universelle, qui soit plus représentative de la population au sens large.” Le spot en question vante les produits Magic, des lunettes de vue personnalisables sur lesquelles on vient clipser une deuxième monture pour se protéger du soleil ou pour le plaisir de changer d’apparence. Et grâce aux évolutions digitales, tout un chacun qui dispose d’un ordinateur ou d’un smartphone peut faire des essayages virtuels depuis son canapé en se connectant sur le site maison.

Récemment mise sur le marché, la ligne Magic, vendue entre 100 et 250 euros, loin des produits premiers prix donc, est une exclusivité Afflelou. La firme tient à le faire savoir. Plus question, comme par le passé, de se retrancher derrière l’anonymat avec des produits génériques. La griffe Afflelou est désormais inscrite en toutes lettres sur les montures. “A Genève, nous avons une équipe d’une dizaine de créateurs qui travaillent exclusivement sur nos nouvelles collections. Le retour de nos clients est très positif: un nouveau client sur deux d’Afflelou est un client Magic.”

Anthony, Lionel, Laurent

Les références MDD (marque de distributeur) d’Afflelou pèsent aujourd’hui 30% des achats en magasins, le reste étant généré par les grandes marques comme Nike, Prada, Gucci ou Lacoste. Une stratégie de verticalisation destinée à repousser les assauts de la concurrence qui a pris un nouveau tour l’an passé avec le rachat de la chaîne GrandVision par le géant EssilorLuxottica. Non contente d’être le premier réseau de franchises optiques au monde, la multinationale franco-italienne, née d’une fusion en 2018, est également leader dans la fabrication de verres et de montures. “Cela implique une homogénéisation très forte du marché avec des prix qui vont tendre vers le bas et des marques-enseignes qui vont émerger, prédit la direction. Néanmoins cette situation n’est pas uniquement due à la fusion EssilorLuxottica. Le contexte inflationniste y participe également. Tout l’enjeu de notre stratégie est de voir comment travailler avec les meilleurs fournisseurs tout en gardant notre indépendance et notre ADN.”

Un défi que les Afflelou sont prêts à relever en fratrie. Aux côtés d’Anthony, le petit dernier, il y a Lionel, 48 ans, numéro deux du groupe tandis que l’aîné, Laurent, 50 ans, est en charge des ouvertures. Et puis, il y a le père fondateur qui ne s’est pas retiré des affaires, loin de là. S’il a quitté la gestion opérationnelle en 2012, Alain Afflelou continue à veiller scrupuleusement à la croissance de son “bébé” de 50 ans, participant activement à toutes les réunions stratégiques. “J’ai fixé mon départ à la retraite à 100 ans”, confiait récemment l’ami Jacques Séguéla. Qui dit mieux?

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