Net-à-porter: “The place to be” pour les marques de luxe ?

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Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

Destination privilégiée de nombreuses clientes du luxe, l’e-boutique Net-a-Porter a su attirer un nombre impressionnant de marques parmi les plus prestigieuses. Certaines restent toutefois réfractaires à ce canal de distribution, craignant de perdre le contrôle. Alors faut-il ou pas vendre sur ce “Zalando du luxe” ?

Le groupe LVMH est-il en train de bâtir un ” Net-a-Porter ” à la française ? En annonçant le lancement prochain d’une plateforme d’e-commerce qui devrait réunir ses différentes marques ainsi que d’autres marques ne lui appartenant pas, le géant du luxe envoie un signal clair : il est en train d’investir massivement dans le digital !

Une telle plateforme multi-marques devrait normalement afficher un taux de transformation plus élevé. ” Le taux de transformation d’un site de luxe mono-marque est environ 1,5 fois plus faible que celui d’un site marchand classique, explique Marie-Cécile Cervellon, professeur de marketing et spécialiste du luxe à l’EDHEC Business School (Lille). Il y a beaucoup de visites mais peu d’achats. Dans ce contexte, les sites multi-marques tirent leur épingle du jeu. ”

Outre les synergies et la simplification logistique que devrait permettre cette nouvelle plateforme, LVMH cherche aussi à offrir de la variété. ” Les consommateurs vont sur Net-a-Porter pour le choix “, lance notre spécialiste. C’est clair : il s’agit pour le leader français du luxe de se positionner face au pure player italo-suisse. Le groupe ne vend d’ailleurs pas toutes ses marques sur Net-a-Porter. Louis Vuitton, par exemple, ne figure pas dans les références. Un choix stratégique que d’autres grands noms du luxe comme Hermès ou Chanel ont aussi décidé de poser. A l’ère de l’omnicanal, est-il opportun pour une marque de luxe de snober ainsi un acteur important comme Net-a-Porter ? Décryptage.

1. Quel est le ” business model ” de Net-a-Porter ?

Lancé en 2000 à Londres par la rédactrice de mode Natalie Massenet, le site se présente directement comme un fashion magazine. ” Le but était de gommer l’idée qu’il puisse s’agir uniquement de vendre, explique Sandra Rothenberger, professeur de marketing à la Solvay Brussels School. C’est un des premiers sites de ce type à être vraiment customer-centric. Il apporte des conseils aux clientes, il est très efficace au niveau de la logistique, etc. ” Comptabilisant aujourd’hui 29 millions de visiteurs uniques par mois, il livre dans pas moins de 180 pays. Le site publie un magazine papier, Porter, et travaille énormément avec des blogueuses. Il a même créé une plateforme communautaire, The Net Set, qui permet aux internautes de discuter avec d’autres membres ainsi qu’avec des professionnels de la mode. L’horizontalité du Web dans toute sa splendeur…

En 17 ans, celui que certains surnomment le ” Zalando du luxe ” a changé de mains à plusieurs reprises. Vendu en 2010 au groupe suisse Richemont (Cartier, Van Cleef & Arpels, Piaget, Montblanc, etc.), il fusionne en 2015 avec le groupe italien de vente de luxe en ligne Yoox. Les deux parties possèdent 50 % des actions, mais Richemont ne détient que 25 % des droits de vote. Autant dire que c’est Yoox qui a la main pour diriger. Comment le site se rémunère-t-il ? Tout simplement en prélevant une marge sur chaque article vendu. ” C’est un modèle de high profit margin, explique Sandra Rothenberger. Net-a-Porter ne fait pas son profit sur le volume, mais bien sur la marge. ” Le site se rémunère également par la publicité et par l’organisation d’événements. ” Des shootings sont souvent organisés dans des hôtels qui paient pour figurer sur le site “, relève notre observatrice.

2. Quel est l’intérêt des marques de figurer sur le site ?

Le même que celles-ci ont à se trouver dans les rayons de department stores type Galeria Inno : le trafic, qui est largement supérieur à celui drainé par les e-boutiques de chaque marque. ” Le site offre une expérience de luxe étendue, ajoute Marie-Cécile Cervellon. Et puis pour une certaine frange de la population qui n’est pas familière du luxe mais qui acquiert les moyens de se le payer, l’e-commerce facilite le premier achat sans devoir entrer dans un magasin. ” Net-a-Porter accroît donc l’accessibilité aux marques de luxe.

Un autre avantage de figurer sur ce site est son taux de transformation très important ainsi que l’environnement dans lequel les marques sont placées. ” Plusieurs marques sont placées côte à côte, explique Sandra Rothenberger. Cela peut être mal accepté pour des marques de luxe, mais la concurrence engage le marché. La compétition peut créer des dynamiques positives. ” Enfin, il y a cette opportunité offerte à certains acteurs du luxe de vendre en ligne sans devoir développer leur propre webshop. ” Certaines marques disposent d’un site web uniquement dédié à la communication, mais qui n’a aucune fonction commerciale. Etre référencées sur Net-a-Porter leur permet de s’engager dans l’e-commerce sans devoir développer toute la logistique et donc en limitant leurs frais. ” Les marques qui ne sont pas trop connues gagnent alors directement en notoriété et en légitimité.

3. Pourquoi certaines marques refusent-elles d’y figurer ?

Tout est une question de contrôle. Ces marques jugent préférable de s’en tenir à leur propre webshop afin de maîtriser l’ensemble des paramètres. Car la question centrale est comment rester une marque de luxe, et non comment vendre le plus possible. Dans ce secteur, la réussite volumique porte en elle un risque de déclassement. ” La vente directe permet de créer du brand content à travers son propre site, explique Marie-Cécile Cervellon. Cela permet à la marque de mieux contrôler son image. ”

Figurer sur Net-a-Porter implique pour une marque de luxe de siéger aux côtés d’un tas d’autres marques, en concurrence directe. ” Etre une marque parmi tant d’autres, ce n’est pas le message que veut envoyer une marque de luxe “, souligne notre experte. Vient ensuite la question du coût. ” Les marges ne sont pas les mêmes vu que Net-a-Porter prélève une partie, rappelle Marie-Cécile Cervellon. Il est clair qu’ouvrir sa propre e-boutique demande un investissement de départ important, mais celui-ci peut être amorti sur le long terme. ” Et puis un webshop propre permet à la marque de faire ce que l’on appelle du web-to-store, ce qui n’est évidemment pas possible sur Net-a-Porter. Or les marques de luxe ont tout intérêt à recréer de la fermeture, de l’inaccessibilité, de la sélectivité.

Les marques qui ne sont pas présentes sur Net-a-Porter expliquent par ailleurs qu’elles ont peur d’écorner la notion de désirabilité, chère au luxe. ” Si vous êtes trop présent sur le Web, vous êtes trop dans la tête du consommateur, explique Sandra Rothenberger. Or la rareté est très importante pour le luxe. Elle permet de créer de l’exclusivité. Beaucoup de marques de luxe jouent avec cette idée, fières d’afficher un article sold out qui oblige les clients à attendre. ” La création de ce sentiment de désir paraît décidément bien compliquée sur Net-a-Porter.

Enfin, les marques ne souhaitent pas perdre le contrôle sur les données de leurs clients, sur les traces qu’ils laissent lorsqu’ils naviguent en ligne. C’est que ces dernières ouvrent des perspectives de personnalisation à l’infini – personnalisation qui est au coeur du sentiment d’exclusivité que peuvent avoir les clients du luxe. Or elles sont accaparées par des intermédiaires comme Net-a-Porter qui disposent in fine de bien davantage de pouvoir que les marques elles-mêmes. ” En croisant toutes les données récoltées, Net-a-Porter peut conseiller des tenues et même prédire les tendances à venir, explique Sandra Rothenberger. La marque, elle, n’a plus rien à dire. ” Net-a-Porter peut même monnayer ces données auprès des marques…

4. La recette gagnante est-elle omnicanale ?

Ne compter que sur Net-a-Porter pour son e-commerce est sans doute une stratégie quelque peu risquée. L’idéal est de disposer en parallèle de sa propre e-boutique et de mettre en place une véritable stratégie omnicanale impliquant ses boutiques physiques et ses revendeurs. Il a d’ailleurs été prouvé que les clients cross canal dépensent plus en magasin que ceux qui n’achètent qu’en magasin.

Pour les marques, il est intéressant de jouer sur la complémentarité des canaux de distribution. ” La porte d’entrée d’une e-boutique, c’est la marque, explique Marie-Cécile Cervellon. Sur Net-a-Porter, ce sont les catégories de produits. Alors qu’un client n’envisageait peut-être pas du tout d’acheter telle marque précise, il peut la découvrir en naviguant sur Net-a-Porter. ”

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