Comment Alstom soigne sa conduite

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Le premier employeur privé de Charleroi ? Une filiale du groupe français Alstom qui développe des éléments indispensables à la sécurité du trafic. Elle conçoit aussi un système de conduite autonome pour les trains. Visite des lieux avec Bernard Belvaux, son “managing director” pour le Benelux.

Le futur du rail s’écrit en partie le long de la Sambre, à Charleroi, dans un bâtiment aux structures anciennes, reconnaissable à une rosace ornant une façade de briques, clin d’oeil du passé. Au moment où Trends-Tendances est venu visiter les lieux, on y testait les systèmes d’alimentation des moteurs d’une future rame de train de la SNCB, de la catégorie M7. Alstom y conçoit aussi des dispositifs permettant à des trains de rouler de manière autonome, sans conducteur.

Voilà 30 ans que le groupe français Alstom a repris l’activité transport d’une entreprise belge née de la révolution industrielle, les Acec (Ateliers de constructions électriques de Charleroi). Les bâtiments occupaient alors alors un peu plus de 600 personnes. Aujourd’hui, l’effectif est quasiment doublé, avec 1.150 salariés. Et l’entreprise est même le premier employeur privé à Charleroi. Au fil des années, Alstom Belgique a gagné ses galons dans le groupe qui compte aujourd’hui 36.300 salariés, dont 21.400 en Europe, connus pour ses TGV, ses trams et ses métros. L’activité est en croissance, surfant sur la demande ferroviaire qui gonfle, et celle des villes toujours plus gourmandes en solutions de mobilité collective. Sur le dernier exercice clôturé en mars dernier (2018/2019), Alstom Belgique annonce 302 millions d’euros de ventes contre 286 millions d’euros l’exercice précédent. Et un carnet de commande rempli pour quatre ans.

Un des freins à notre développement est la difficulté de trouver de nouveaux collaborateurs. Nous avons tant de commandes à fournir…

Depuis l’année dernière, la filiale belge est dirigée par Bernard Belvaux, qui a endossé la fonction de managing director pour le Benelux. L’homme a succédé à Marcel Miller, qui fut nominé deux foispour le titre du Manager de l’Année de Trends-Tendances, pour l’excellente progression de l’entreprise. Ingénieur commercial, formé à la Louvain School of Management (UCL), Bernard Belvaux a évolué dans des fonctions financières dans le groupe Alstom depuis qu’il y est entré en 2005. A ceux qui relèvent la quasi-homonymie avec le nom du patron de la Sonaca, Bernard Delvaux, il répond d’un sourire : ” c’est un hasard, mais il se fait que j’ai débuté ma carrière à la Sonaca, en 1996. Puis j’ai changé pour découvrir d’autres entreprises “.

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Expérience saoudienne

Bernard Delvaux a beaucoup voyagé, notamment dans le cadre d’un poste de vice-président finances pour le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Asie centrale. ” Alstom avait décidé de développer ces régions, cela paraissait audacieux, mais cela a bien marché “, explique-t-il, encore impressionné par les projets réalisés sur place, comme celui du métro de Riyad, en Arabie saoudite.”

Depuis 2015, Alstom s’est recentré sur les transports. Auparavant, il était aussi actif dans l’énergie (turbines, éoliennes, etc.), activité revendue à General Electric. ” On se présente de moins en moins comme producteur ferroviaire, mais plutôt comme fournisseur de systèmes de mobilité, nuance Bernard Belvaux. Nous livrons de plus en plus de services digitaux. Les systèmes de transports (trains, trams, métros, etc.) ne représentent plus aujourd’hui que 45% de notre production. ” Par exemple, Alstom a conçu Mastria, un système destiné à gérer l’offre de transport multimodale des villes. Il permet d’adapter les transports en commun et les offres de transport partagées selon les circonstances (événements sportifs, météo capricieuse, accident, etc.). Il a été testé à Florence, Paris, Montréal, et Alstom le propose à Amsterdam.

Sécuriser le trafic

L’activité d’Alstom Belgique serait simple à comprendre si ses ateliers carolorégiens, rue Cambier Dupret, fabriquaient juste des trains ou des métros. Pas de chance, Alstom Charleroi conçoit ” juste ” des éléments de trains et d’infrastructure ferroviaire, des systèmes désignés sous le terme de ” signalisation “. Le mot renvoie au dispositif le plus connu : les signaux lumineux longeant les voies. Mais il recouvre désormais toutes les techniques permettant d’assurer le trafic des trains en toute sécurité. A l’ère numérique, il s’agit donc de balises le long des rails mais aussi d’appareils embarqués, de systèmes de contrôle de la vitesse, etc. Tout ce qui permet de faire rouler le plus de trains possible sur la même voie en assurant une bulle de sécurité.

La force de Charleroi est d’avoir travaillé tôt sur l’ERTMS (European Rail Traffic Management System), système qui vise à remplacer progressivement les standards nationaux, et dont l’usine belge est le centre d’excellence pour le groupe. ” Alstom est numéro un mondial dans l’ERTMS, indique Bernard Belvaux. Nous en vendons partout, jusqu’en Australie. Ce standard européen est devenu mondial, même la Chine l’utilise. ” Charleroi conçoit aussi des systèmes de signalisation pour les métros. Il fournit ainsi un important contrat de signalisation pour Amsterdam.

Bernard Belvaux
Bernard Belvaux© PG

Alimenter les trains en électricité

La deuxième famille de produits conçus à Charleroi est constituée par des systèmes d’alimentation électrique embarqués dans les trains. Ce sont les équipements qui convertissent le courant capté via les caténaires au-dessus des voies, alimentant à la fois les moteurs et les équipements basse tension des voitures passagers (lumières, climatisation, portes, prises). Ils pèsent chacun plus d’une tonne.

Nous fournissons de plus en plus de services digitaux. Les systèmes de transports (trains, trams, métros, etc.) ne représentent plus aujourd’hui que 45% de notre production.” Bernard Belvaux, managing director pour le Benelux

Ces équipements sont incorporés à des trains neufs ou pour moderniser du matériel existant. Le travail ne manque donc pas, la durée de vie d’un train étant de 30 à 40 ans. A Charleroi, l’activité est dopée par une forte R&D menée par une équipe d’une centaine de collaborateurs, en partenariat avec des universités et des start-up, notamment pour réduire la consommation d’électricité des trains. Un des résultats est une sous-station électrique, Hesop, qui gère la récupération d’énergie issue du freinage des trains.

Résultat, l’entreprise recrute. Bernard Belvaux le répète à tous les journalistes qu’il croise. ” Un des freins à notre développement est la difficulté de trouver de nouveaux collaborateurs. Nous avons tant de commandes à fournir… ” Actuellement, Alstom cherche 80 personnes, surtout des ingénieurs et des techniciens.

Concevoir ici, fabriquer ailleurs

Depuis la reprise de l’entreprise par Alstom en 1989, l’usine s’est adaptée à la concurrence. Elle n’est plus vraiment une unité de production, mais plutôt de conception. ” Nous élaborons les systèmes, construisons des prototypes, faisons des tests, mais la fabrication est réalisée ailleurs “, précise Bernard Belvaux. Généralement dans des pays aux coûts salariaux moins élevés, en Pologne ou en Espagne, mais aussi en Inde ou en Chine pour les commandes engrangées dans ces pays. En fait, seules les commandes à destination de la Belgique sont réalisées à Charleroi, comme les dispositifs d’électricité de puissance pour les rames M7 de la SNCB, fabriquées en bord de Sambre avant d’être intégrés dans les rames dans une usine d’Alstom à Valenciennes. ” Nous fabriquons beaucoup dans les pays des clients “, continue Bernard Belvaux. C’est souvent une condition pour accéder au marché. ” En Afrique du Sud, il faut assurer 70% de la commande localement. ” Pour le métro de Riyad, Alstom s’était aussi, par exemple, engagé à recruter du personnel saoudien.

Vendre du transport et des systèmes partout sur la planète impose de toute façon une grande flexibilité. ” Le marché occidental est de 110 milliards d’euros par an, annonce Bernard Belvaux, et de 180 milliards d’euros pour le reste du monde. ” A ceci près que certains pays n’ouvrent pas les appels d’offre publique à des acteurs étrangers. ” C’est le cas de la Chine et du Japon. ” En revanche, l’Europe est ouverte à la concurrence. C’était d’ailleurs la raison avancée pour organiser la fusion entre Alstom et Siemens ( lire l’encadré ” Fusion manquée “), refusée par la Commission européenne. ” Nous parvenons toutefois à vendre des systèmes en Chine, à travers des joint-ventures, dans la signalisation ou la conversion d’énergie ( pour la motorisation des trains, Ndlr). ”

Comment Alstom soigne sa conduite

Conduite autonome à l’horizon

En Belgique, la fonction de Bernard Belvaux est double. D’une part, il a la responsabilité des ateliers et bureaux du Benelux. Cela comprend surtout l’usine de Charleroi, qui occupe l’essentiel du personnel, le quartier général du Benelux à Bruxelles, face à la gare du Midi, et une implantation près de Rotterdam (services digitaux, maintenance prédictive). L’autre tâche du manager est commerciale : la vente de matériel et des services d’Alstom dans le Benelux. Parmi les contrats importants qu’il suit, outre la commande des rames M7 de la SNCB, il y a une vente de 81 trains aux Pays-Bas. Et l’achat de 34 trains à deux niveaux aux chemins de fer luxembourgeois, CFL, d’un montant de 360 millions d’euros. Ces rames transportent notamment les navetteurs qui travaillent à Luxembourg ville vers leurs domiciles en France et en Belgique.

” Dans le cadre de ce contrat luxembourgeois, nous avons fait une présentation du système de conduite autonome que nous avons développé, l’ATO “, précise le CEO. Ce dispositif, conçu à Charleroi, est en test sur des lignes de la SNCB. Dans un premier temps, il s’agit d’une aide à la conduite pour les cheminots. Dans le futur, il pourrait assurer seul la conduite de la rame. ” Ce système poursuit trois objectifs : augmenter la capacité en trains sur le réseau, améliorer la ponctualité mais aussi – et ce n’est pas le moindre – réduire la consommation. Il y a moyen d’économiser 30% à 40% d’énergie. Un train c’est un peu comme une automobile, sa consommation peut varier d’un conducteur à l’autre. Ce sera moins le cas avec le système ATO, qui utilise des algorithmes qui optimisent les accélérations et les freinages “, explique Bernard Belvaux.

Ce dispositif de conduite autonome est inspiré de celui du métro, où il est utilisé depuis bien des années, notamment à Paris. ” La différence majeure entre le train et le métro, c’est que ce dernier roule en circuit totalement fermé, il n’y a pas de risque qu’une vache traverse les voies. Sur un train, le calculateur est plus compliqué. “

Fusion manquée

Le groupe Alstom est le champion français de la fabrication de trains et de métros. Il est connu pour la fabrication des TGV, dont les rames Thalys et certaines Eurostar sont des déclinaisons internationales.

Son destin aurait pu connaître un virage s’il avait fusionné avec Siemens, comme il l’avait annoncé fin 2018. La Commission européenne a refusé le rapprochement. Le projet était de former un numéro deux mondial du secteur, derrière le chinois CRRC et devant le canadien Bombardier. Fortement soutenue par les pouvoirs publics français et allemands, la nouvelle entité visait à constituer un Airbus du train, pour affronter la concurrence chinoise. Les autorités européennes craignaient que la fusion n’augmente le prix des trains. L’impact qu’aurait eu la fusion sur Alstom Belgique n’est pas connu. La Commission européenne aurait peut-être accepté la fusion si Alstom et Siemens avaient consenti à revendre l’activité signalisation. La filiale de Charleroi aurait donc changé de main. Le groupe français, dirigé par Henri Poupart-Lafarge continue donc seul et a annoncé de bons résultats pour l’exercice 2018/2019, avec 8 milliards d’euros de ventes (+10%), un bénéfice net quasi doublé, de 681 millions d’euros, et 380 millions d’euros de R&D. Alstom affiche un carnet de commandes de 40 milliards d’euros. Il devrait préciser sa stratégie pour le futur aux analystes ce 24 juin. Celle-ci semble d’ores et déjà basée sur un élargissement de l’offre, avec des services numériques, l’arrivée de trains à hydrogène (le Coradia iLint), que la SNCF veut acquérir, et l’entrée dans le marché des bus avec l’Aptis, un modèle électrique utilisant la technologie des trams, qui autorise des planchers ultra-bas.

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