Tout au bout de l’Europe

Eglise de Gergeti (14e siècle) au-dessus de la ville de Kazbegi © Sylvie Bresson

Monastères millénaires et capitale très contemporaine, écriture indéchiffrable et esprit très européen, plages sur la mer Noire et montagnes du Caucase : la patrie du vin n’est pas une destination anodine.

C’est un pays très touristique et depuis longtemps. Pourtant, il est quasiment inconnu chez nous, car rares sont les visiteurs venant d’Europe occidentale. Il s’étend des bords de la mer Noire jusque pas loin de la mer Caspienne, entre le petit et le grand Caucase, mais ses habitants, chrétiens, se sentent très européens. On y a inventé le vin et on y adore la bonne chère. La Géorgie est la patrie de Staline et de son complice Beria, mais il y a heureusement bien d’autres témoignages du passé à mettre en avant, à commencer par ces nombreux monastères. Comme en Arménie ? ” La Géorgie, c’est l’Arménie plus un tas d’autres choses “, résume un spécialiste de ces contrées. Voilà un pays qui vaut le voyage !

Monastère de Gelati
Monastère de Gelati© Sylvie Bresson

Tbilissi, sur la Koura

Capitale de la Géorgie, Tbilissi est parfois qualifiée de ” plus orientale des capitales européennes “. C’est une ville largement moderne et résolument occidentale, qui compte d’innombrables hôtels, restaurants, bars et centres commerciaux. L’incontournable avenue Rustaveli, épine dorsale et coeur battant de la capitale, que bordent des bâtiments d’époques et styles variés, se termine sur la place de la Liberté, limite de la ville ancienne. Cette dernière reste le principal pôle touristique de Tbilissi, avec ses bains historiques, sa petite rivière, ses églises. Ici une mosquée, là une synagogue. De pittoresques ruelles et petits commerces, de vieilles maisons joliment rénovées et d’autres qui menacent ruine. Ce quartier de Kala est dominé par la forteresse de Narikala et bordé par la rivière Koura, aujourd’hui traversée par une passerelle d’acier et de verre, réponse du contemporain aux racines de la ville…

Forteresse Rabati à Akhaltsikhe
Forteresse Rabati à Akhaltsikhe© Sylvie Bresson

Tbilissi se prête à quelques beaux moments culturels. La visite de l’opéra, dont le style mauresque prévaut aussi à l’intérieur, ainsi que du théâtre Rustaveli et sa grande salle flamboyante. En n’oubliant pas le Musée national. C’est sous la conduite d’une petite dame sans âge et parlant un français impeccable que nous admirons sa collection de bijoux antiques en or, dont le fameux trésor de Varni (5e-4e siècle avant J-C). Parmi les pièces maîtresses : le collier aux 31 tortues, décoré suivant la technique de la granulation. Eblouissant de finesse ! Dans un tout autre registre, on se régalera d’une représentation du ballet national Sukhishvili, folklore pimenté de touches contemporaines. Ou encore d’un récital d’émouvants chants polyphoniques géorgiens.

Mont Kazbek (5.047m) dominant le village de Gergeti et sa petite église du 14e siècle
Mont Kazbek (5.047m) dominant le village de Gergeti et sa petite église du 14e siècle© Sylvie Bresson

Vinification en jarres

Cap à l’Est, direction la Kakhétie et sa capitale Telavi. On y jette un coup d’oeil sur l’étrange palais d’Erekle II et on y visite le pimpant musée voisin, qui offre une vue synthétique de l’histoire de la Géorgie. Halte aussi au monastère d’Alaverdi et son imposante cathédrale du 6e siècle, à la maison du poète Chavchavadze, ou encore à l’église fortifiée de Gremi, patrimoine de l’Unesco.

Si les sites religieux y abondent, la Khakétie est aussi une terre vinicole et d’oenotourisme… très professionnel : d’importants domaines y organisent des visites et ateliers. A la Winery Khareba, vous pourrez tant parcourir les chais et déguster les vins que cuire du pain à la géorgienne, dans un petit four vertical. Attention les mains : c’est brûlant ! Parmi les crus disponibles, on relève le Saperavi premium 2010, médaille d’or à Bruxelles en 2013. Si les vins destinés à l’export sont généralement vinifiés en cuve, le marché local reste en partie abreuvé par la vinification traditionnelle, réalisée en jarres enterrées dans le sol. La différence de goût saute au palais ! La visite se termine par une dégustation de chacha, l’incontournable eau-de-vie de marc de raisin.

Batumi
Batumi© Sylvie Bresson

Dans cette région, la vigne couvre aussi les grandes terrasses qu’arborent la plupart des maisons, tandis que les paysans vendent, au bord des routes, les fruits et légumes de leur jardin. Pourquoi pas quelques pêches ? Les marchands refusent que nous payions : c’est un cadeau. Trop heureux qu’un touriste étranger se soit arrêté ? Vraiment sympa !

Ici comme ailleurs dans le pays, on est frappé par le nombre de bâtiments abandonnés, résultat de l’effondrement de l’URSS et des infrastructures communistes. Perdue au milieu des bois près de Gurjaani, la petite église de Kvelatsminda, elle, ne l’est pas : un jeune pope en est le gardien. Modeste, ce bâtiment est pourtant exceptionnel en raison de ses deux clochers. Un groupe de jeunes Russes approche. Ils ont l’air dissipés, mais se recueillent avec ferveur. Une scène récurrente.

Lever de soleil sur le mont Kazbek

Cap au Nord, vers le grand Caucase. En passant par la ville historique de Mtskheta. On en a une vue plongeante depuis le petit monastère de Djvari, l’indispensable halte préalable. Dans la ville, direction la cathédrale Svetitskhoveli, lieu de pèlerinage et monument classé Unesco, comme le précédent. On y entre après avoir longé des dizaines d’échoppes proposant tout et n’importe quoi. Vraiment très touristique ! On n’est pas déçu pour autant car l’intérieur de la cathédrale est sans doute le plus riche du pays.

Voici la montagne. Une route en lacets mène à Gudauri, station de sports d’hiver aux hauts immeubles typiques. Arrivée à Kazbegi pour la nuit. Elle est courte, car il s’agit de ne pas rater le lever de soleil sur le majestueux mont Kazbek, sommet de 5.047 mètres situé à la frontière russe, puis sur l’église Gergeti, perchée sur sa colline. Cible de la matinée, elle se mérite : sur une partie de la piste, les indispensables 4 x 4 sont à la peine. Mais quel site, quelle vue…

Le point de vue du col de Jvari (2.395 mètres) et sa fresque grandiloquente n’est pas notre seul arrêt sur cette fort belle ” route militaire géorgienne “, entre montagnes et prairies riches en orchidées. Voilà des sources d’eau sulfurée qui ont recouvert les rochers d’une carapace ocre. Petits et grands y grimpent en toute liberté. Une curiosité renseignée nulle part ; étonnant.

Une ville troglodytique de 50.000 habitants

Cap au sud-ouest cette fois. Première étape : Borjomi, ville thermale qui attire des touristes de tous horizons, en particulier du Golfe. De beaux hôtels, de jolis parcs mais aussi, pour les randonneurs, un parc naturel aux nombreux attraits. Plus au sud, voilà la ville d’Akhaltsikhe et sa forteresse Rabati. Reconstruite en 2011, elle idéalise l’aspect très cosmopolite de cette vieille cité ottomane, mais ne manque pas d’intérêt. Notre guide, la cinquantaine, se débrouille bien en français. Appris à l’école ? ” Non, à la télévision et sur Internet “, nous répond-elle.

C’est plus au sud encore que se situe un des principaux sites historiques de Géorgie : la ville troglodytique de Vardzia, fondée au 12e siècle par la légendaire reine Tamar. En hommage à sa grandeur, elle est parfois qualifiée de roi. Un peu macho quand même… Il faut parcourir l’intérieur de la falaise pour en prendre la mesure : des kilomètres de couloirs, une église, une source, d’innombrables escaliers et balcons. On réalise alors mieux qu’à son apogée, ce site grandiose abritait 50.000 personnes ! L’autre grande cité troglodytique de Géorgie, Uplistsikhe (près de Gori, entre Tbilissi et Borjomi) remonte au 1er millénaire avant J-C. Elle offre une vue plongeante sur une plaine aride agrémentée d’une rivière sinueuse : un paysage biblique…

Ville troglodytique de Vardzia
Ville troglodytique de Vardzia© Sylvie Bresson

Plus à l’ouest, voici Batumi, sur la mer Noire. Colonie grecque voilà 2.500 ans et base navale russe jusque fin 2007, cette cité balnéaire est la ” Côte d’Azur ” de cette partie du monde. Des immeubles à appartements comptant parfois plusieurs dizaines d’étages visent les classes moyennes russes, tandis que les hôtels hébergent de nombreux touristes venant du Golfe. ” Séjourner en Géorgie est une manière de se sentir en Occident pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas aller jusqu’en Europe occidentale “, nous explique-t-on. Dès lors, une femme en niqab faisant du vélo sur la piste cyclable, c’est un peu cela aussi Batumi ! Il faut reconnaître que le bord de mer ne manque pas de cachet, aménagé en parc sur une grande largeur et débouchant sur une double statue animée aussi spectaculaire qu’ingénieuse. Le très réputé jardin botanique situé au nord de la ville participe également de son attrait.

Churchkhela, la friandise nationale
Churchkhela, la friandise nationale© Sylvie Bresson

Nicolas Sarkozy, héros national

La ville de Batumi constitue en pratique l’extrémité ouest d’un périple en Géorgie. Car si le pays s’étend sur plus de 250 km le long de la mer Noire, les deux tiers de cette bande côtière sont occupés par Moscou depuis la guerre d’août 2008. Le sujet est aussi sensible que compliqué, mais un de ses aspects est pour le moins inattendu : le président français de l’époque s’est précipité à Moscou pour convaincre Vladimir Poutine d’arrêter l’offensive. Sans son intervention, l’armée russe aurait-elle vraiment envahi la Géorgie ? Beaucoup en sont persuadés et considèrent dès lors Nicolas Sarkozy comme un héros national !

Au nord-est de Batumi, la région de Kutaisi recèle plusieurs centres d’intérêt. Tel le monastère de Gelati, naguère capitale intellectuelle de la Géorgie, inscrit au patrimoine de l’Unesco. Les fresques et la mosaïque du 12e siècle décorant l’église de la Vierge forcent le respect. Située à Kutaisi, la cathédrale de Bagrati a, elle, été retirée de la liste par l’Unesco en raison de travaux de rénovation jugés trop importants. De fait… Mais pas au point de la snober.

Près de Tskaltubo, la grotte de Prométhée est la plus réputée du pays. On ne saurait toutefois zapper la station thermale de la ville, intéressant exemple de gloire soviétique déchue. Dans les années 1950, un train direct la reliait à Moscou. Ensuite largement abandonné, cet immense complexe connaît aujourd’hui un second souffle, encore timide. Egarés parmi les hôtels et sanatoriums en ruine, quelques bâtiments bien rénovés accueillent des curistes, surtout étrangers. Compte tenu des prix dérisoires demandés pour les bains et soins, Tskaltubo pourrait (re)devenir une destination de choix !

Le plus petit monastère du monde

C’est à une cinquantaine de kilomètres plus à l’est, près de la ville de Chiatura, que le monastère le plus petit et le plus spectaculaire de Géorgie (voire du monde ! ) s’offre au regard du voyageur ayant consenti un détour sur de petites routes. Il est situé au sommet du piton de Katskhi, un monolithe de calcaire haut d’une quarantaine de mètres. Datant des environs de l’an mil, il fut, en 1944, exploré par des alpinistes qui y découvrirent notamment une mini-église de 4,5 mètres sur 3,5. A nouveau occupé par un moine depuis 1995, l’endroit défie l’entendement, voire la pesanteur. Plus fort que les Météores grecs !

Retour vers Tbilissi. Comme partout dans le pays, au bord des routes, des villageois vendent leur miel dans de petits pots colorés. Ainsi qu’une spécialité qui intrigue : qu’y a-t-il donc dans ces espèces de cierges crénelés ? Des cerneaux de noix (parfois des amandes ou noisettes) enrobés dans du jus de raisin épaissi et mis à sécher pendant quelques jours. C’est la friandise nationale, appelée churchkhela.

Le dernier souper dans la capitale confirme les expériences précédentes : la cuisine n’est pas le moindre attrait du pays. Simple, mais vraiment délicieuse, avec pour base des entrées de légumes et la khachapuri, sorte de pizza au fromage. Repas accompagné d’un pain succulent et, bien sûr, de vin géorgien !

En pratique

Il existe depuis l’an dernier une liaison aérienne directe entre Bruxelles et Tbilissi, assurée par Georgian Airways. Une liaison Charleroi-Kutaisi sera proposée par WizzAir à partir du 4 août prochain, à des tarifs inférieurs. Le géorgien est, comme l’arménien, indéchiffrable pour les étrangers, mais la plupart des indications sont traduites en caractères latins. Tâter de la Géorgie profonde pourrait par contre s’avérer plus ardu. Par ailleurs, les routes ne sont pas partout en bon état, la conduite locale est parfois audacieuse… et nombreuses sont les vaches à circuler en liberté. D’où l’intérêt de voyager avec un chauffeur-guide privé si on renonce aux circuits en groupe.

Si les établissements de grand standing affichent environ 200 euros la nuit à Tbilissi, hôtels et restaurants de qualité sont globalement très bon marché dans le pays. Relevons en quelques-uns parmi ces derniers, pour une cuisine géorgienne authentique. A Tbilissi : Shavi Lomi, avec sa grande cour intérieure, Keto & Kote, qui offre une jolie vue depuis la terrasse, et Kafe Leila, café-resto très coloré et végétarien, à l’entrée de la vieille ville. A Sighnaghi, ville touristique un peu kitch, le Pheasant Tears est une légende. Au nord de Mtskheta, le restaurant du château Mukhrani, le domaine viticole le plus chic du pays ! Parmi les hôtels, on retient le Rooms Hotel à Tbilissi, une ancienne imprimerie où tout est rétro dans la chambre. Superbe petit-déjeuner. Même enseigne à Kazbegi, avec vue panoramique sur le mont Kazbek. Dans la région des vignobles, l’Akhasheni Wine Resort offre luxe et jolie piscine. Excellente situation pour le Crowne Plaza à Borjomi et le Radisson Blu à Batumi.

Informations touristiques : www.georgia.travel (en anglais).

Une entrée  géorgienne typique
Une entrée géorgienne typique© Sylvie Bresson
Piton de Katskhi
Piton de Katskhi© Sylvie Bresson

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