Les Crayères de Ruinart inscrites au patrimoine mondial

Ici, aucun chant. Une lumière tamisée pénètre par une ouverture circulaire au plafond. Ici, pas de prières et ni prêtres, rien que des bouteilles. Des bouteilles à perte de vue. Des bouteilles cristallines. Nous sommes dans les caves de Ruinart : les crayères. Ces ” cathédrales ” et ces ” galeries ” souterraines bâties par l’homme sont inscrites depuis le 5 juillet 2015 au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Si la fabrication de champagne est un travail de longue haleine, l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO est un exploit tout aussi notable. L’idée a germé en 2000, la demande a été introduite en 2006. Une demande qui émanait de plusieurs maisons de la région de Champagne, y compris de la plus ancienne, Ruinart, dont les Crayères sont particulièrement riches en histoire. Il n’est pas évident de satisfaire à la liste d’exigences de la commission de l’UNESCO. Mais après la visite des inspecteurs, fin de l’année dernière, le sort en est jeté. ” Les crayères de Ruinart are on the list. ” Un patrimoine plus vivant que jamais !

Chaque bouteille de Ruinart s’est épanouie au fil d’une lente maturation dans la fraîcheur humide des Crayères, à 38 mètres sous le niveau de la mer.

Chaque bouteille de Ruinart que vous débouchez pour une occasion spéciale s’est épanouie au fil d’une lente maturation dans la fraîcheur humide des crayères, à 38 mètres sous le niveau de la mer. Mais avant que le champagne vienne y vieillir, le jus de raisin a déjà parcouru un bon bout de chemin. La guide Ruinart de service nous emmène au gré de ces ” grottes ” et nous raconte l’histoire de la maison. Son récit vous intéresse ? Réservez une visite guidée en ligne et mettez le cap sur Reims. Bonne dégustation !

UNE QUESTION DE VILLAGE

La fabrication de champagne reste un sport d’élite. Seuls 320 villages – pour une superficie totale de 33 000 hectares – sont autorisés à produire du champagne. Ces villages sont classés selon une ” échelle des crus ” basée sur la pureté et la composition du sous-sol, la situation géographique et l’exposition au soleil : 17 peuvent produire du ” Grand Cru “, 40 du ” Premier Cru “. Les autres embouteillent… de simples crus.

Les Crayères de Ruinart inscrites au patrimoine mondial

Autre paramètre important : le cépage, autrement dit la variété de raisin. Le champagne fait traditionnellement appel à sept variétés de vigne : le pinot noir, le meunier, le chardonnay, le pinot blanc, le pinot gris, le petit meslier et l’arbanne. La plupart des maisons de champagne se concentrent aujourd’hui essentiellement sur les trois classiques : le pinot noir, le meunier et, summum de l’élégance, le chardonnay. Ce dernier traduit le savoir-faire de Ruinart. C’est le fleuron de la maison, son dada. Les raisins sont récoltés à la main 80 jours après la floraison du chardonnay. De quoi préserver la qualité du raisin et le garder intact pour le pressage. Grâce à ce procédé, la peau ne colore pas le jus. Il faut en effet savoir que le meunier et le pinot noir, par exemple, donnent un jus blanc alors que leur peau est colorée.

LE MYSTICISME DU CHAMPAGNE

Afin de préserver au maximum le goût original du raisin chardonnay, le jus entre le moins possible en contact avec l’oxygène au cours du processus de production. Une méthode réductive qui met en oeuvre un pressage à travers une membrane. Après le pressage, le jus passe dans de grandes cuves en inox où le moût est préparé via un processus naturel de décantation. Le jus purifié est ensuite pompé et transvasé dans d’autres cuves où le moût subit une première fermentation. Cette fermentation alcoolique permet de transformer les sucres en alcool. Dans la mesure où Ruinart utilise essentiellement du raisin chardonnay, on décèle parfois une note trop acide. La seconde fermentation, ou fermentation malolactique ” en fût “, décompose l’acide malique à double liaison et le transforme, avec l’aide de nos amies les bactéries lactiques, en acide lactique à simple liaison.

Les Crayères de Ruinart inscrites au patrimoine mondial

Trop d’informations d’un coup ? Il faut nous excuser, nous sommes des perfectionnistes et nous aimons donner le plus de détails possible. Pourquoi ne pas vous en servir pour faire forte impression quand vous dînerez dans un restaurant quatre étoiles et plongerez votre nez dans votre flûte à champagne ?

Mais nous n’avons pas terminé. Loin de là ! Après les différentes fermentations, place à l’assemblage. Ici, on ne parle pas de composition : cela briserait le mysticisme qui entoure le champagne. L’assemblage est l’une des phases clés du processus de production du champagne : il confère à chaque maison de champagne son caractère particulier, son style.

De novembre à janvier, les chefs de caves cherchent les fûts à mélanger afin de garantir, au fil des ans, le goût typique et la qualité propre à Ruinart.

Une fois que les diverses variétés de raisin issues des différents villages ont fermenté dans des fûts séparés, les chefs de caves entrent en scène. De novembre à janvier, ils cherchent les fûts à mélanger afin de garantir, au fil des ans, le goût typique et la qualité propre à Ruinart. Le chef de caves et son équipe d’oenologues se voient presque tous les jours pendant trois mois pour déguster ce que l’on appelle le vin de base. Ils choisissent les vins de base à mélanger pour que, des années plus tard, vous reconnaissiez le champagne Ruinart qui pétille sur votre langue. Ces assemblages sont ensuite refroidis à -4 °C, ce qui permet aux différents vins de fusionner. Le vin est – enfin – embouteillé, additionné d’une pointe de sucre et d’un soupçon de levure, et il commence son périple dans les crayères de Ruinart.

Rome et Reims

Nous poursuivons notre descente. Nous sommes accueillis par la faible lueur des lampes au sodium. Les ultraviolets ont un effet négatif sur le développement du champagne. Et comme Ruinart utilise des bouteilles transparentes, et non vertes, il est impératif d’utiliser un éclairage au sodium – le même que l’éclairage public. Nous avançons entre des murs de bouteilles de Ruinart, des murs sur lattes : les bouteilles empilées sont séparées par des lattes en bois qui empêchent les bords des bouteilles en verre de s’affaisser. Les bouteilles de blanc de blancs y font une petite sieste de trois ans. Les cuvées prestige de Ruinart y restent jusqu’à 15 ans, dans le plus grand calme, à une température constante de 11 °C – été comme hiver – et en l’absence totale de vibrations. Bref : zen, au coeur de Reims.

Les Crayères de Ruinart inscrites au patrimoine mondial

Au 15e siècle, la ville était l’épicentre des activités relatives à la laine et au tissu. À l’époque, les Ruinart sont une famille de négociants en textile qui sait où les affaires marchent. Ils s’installent à Reims : ils y achètent des terres où faire paître leurs moutons et des vignes pour produire du vin pour leur consommation personnelle. La viticulture est présente à Reims depuis la domination romaine. Personne n’ignore que les Romains étaient friands de banquets où les convives mangeaient et buvaient à profusion. La belle vie, en somme… Mais ils n’avaient aucune envie d’acheminer péniblement leurs vins en provenance d’Italie. Ils ont donc décidé de planter des vignes à Reims.

Thierry et Pierre

À l’époque, les familles nombreuses et riches doivent envoyer au moins un de leurs hommes étudier au couvent. Thierry Ruinart est volontaire : il devient moine bénédictin. Il quitte la Champagne et s’installe à Paris, où ” Dominus “, Dom Mabinogion l’initie à l’histoire, à la théologie et à la philosophie. Ils voyagent d’abbaye en abbaye… jusqu’à ce que Thierry rencontre le très estimé Dom Pierre Pérignon lors de l’un de ces périples. Tous deux sont rompus à la viniculture : Ruinart de par l’affaire familiale. Dom Pérignon par simple intérêt. En grand amateur de vin, il a étudié le nectar sous toutes ses coutures. Le processus d’assemblage l’a particulièrement enthousiasmé. Il a découvert qu’on obtenait des saveurs beaucoup plus raffinées en cueillant différents raisins à différents endroits et en les pressant séparément. La fermentation est également un processus introduit par Pérignon à l’époque. Les couvents étaient le théâtre de maintes expérimentations en ce temps-là. On ne parle toutefois nulle part des fantasmes que nourrissaient les moines lorsqu’une bouteille venait malencontreusement à exploser…

Les Crayères de Ruinart inscrites au patrimoine mondial

Thierry Ruinart finit par regagner sa région natale. Il relate ses expériences à son frère et son neveu Nicolas. Bien que très intéressés, ils sont tenus par l’interdiction qui frappe le commerce du vin et le négoce des bouteilles. Le décret royal de 1728 change la donne. Nicolas fonde la Maison Ruinart le 1er septembre 1729 et se lance dans le négoce de vins, en plus de celui du textile. Il va même jusqu’à abandonner le textile en 1735 pour se concentrer à 100 % sur la production et la vente du champagne Ruinart.

Des cathédrales de craie

Nos pas résonnent comme dans une cathédrale gothique à hauts plafonds. Les journalistes présents s’interrompent : plus de questions. Une minute de silence par respect pour ces grottes. Creusées par l’homme, elles se sont formées à la faveur de l’exploitation de la craie nécessaire à la construction de la ville de Reims. Les tailleurs de craie se frayaient déjà un chemin vers les profondeurs au 14e siècle. L’exploitation de la craie nécessite un environnement ” fermé “. La craie est extrêmement humide : dans des sillons ouverts, elle sécherait et se fissurerait en été ou se fendrait à cause du gel en hiver. Les tailleurs de pierre commençaient par tailler un trou d’environ deux mètres de large avant de creuser toujours plus profond. À mesure qu’ils s’enfonçaient, le trou s’élargissait. D’où la forme emblématique des ” cathédrales de craie “. Ils plantaient des clavettes autour du bloc de roche qu’ils voulaient détacher et les arrosaient d’eau pour que le bois se dilate : la pierre éclatait en prenant la forme souhaitée. Ils taillaient parfois ces gros blocs en plus petits blocs avant de les hisser à la surface au printemps et en été pour que la pierre sèche et durcisse lentement au soleil.

Quelque 300 000 mètres cubes de craie ont été exploités dans les crayères, soit la quantité de pierre nécessaire aux Égyptiens pour ériger la pyramide de Khéops.

À près de 40 mètres de profondeur, il n’y a pas de réseau GSM. Quel plaisir ! Nous arpentons les longues galeries qui relient les salles des cathédrales, les puits. Dans leur quête de la pierre la plus blanche et la plus dure possible, les tailleurs de pierre tombaient parfois sur des couches de craie de moins bonne qualité : on aperçoit çà et là une ouverture taillée dans la pierre, qui donne sur un escalier sans issue. Quelque 300 000 mètres cubes de craie ont été exploités dans les crayères de Ruinart, soit la quantité de pierre nécessaire aux Égyptiens pour ériger la pyramide de Khéops. L’exploitation de la craie du sous-sol de Reims fut interdite au 17e siècle. Avec plus de 100 kilomètres de galeries et de caves, le risque d’effondrement était effectivement bien réel.

Un abri garni de graffiti

Lorsque Claude Ruinart a cherché un endroit où stocker son champagne, il a jeté son dévolu sur les crayères abandonnées. Il n’aurait pas pu trouver mieux : température idéale, absence de vibrations et obscurité totale. Au fil des siècles, les galeries avaient également servi d’abri – lors de l’invasion des Barbares – ou d’entrepôt de nourriture et de glace. Plus récemment, pendant la Première Guerre mondiale, André Ruinart a autorisé la population de Reims à se cacher dans les caves de Ruinart pour se protéger des bombardements.

Réparties sur 3 étages, les caves de Ruinart s’étirent sur 8 kilomètres de long. Elles sont classées monument historique depuis 1931. On y retrouve malgré tout çà et là quelques graffiti esquissés par les ouvriers qui, en plus de tailler la pierre et de griller une cigarette, aimaient de temps à autre laisser libre cours à leur créativité.

Texte: Steven Graauwmans

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