” Le bois des fûts détermine 50 % du goût de notre whisky “

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Rares sont les whiskys aussi symboliques que celui d’Ardbeg, une distillerie située sur l’île reculée d’Islay, en Écosse. Le whisky Ardbeg présente un goût complexe, à la fois fumé et sucré, qui a su séduire les amateurs de single malt du monde entier.

” L’Irlande du Nord se trouve à une quarantaine de kilomètres à droite “, indique Michael Heads, dit Mickey, qui dirige la légendaire distillerie depuis 2007. ” Un peu plus loin, vous avez ce que nous appelons les little Islay scaries. ” En 1794, les bateaux devaient déjà louvoyer entre ces petits rochers pointus qui déchirent la surface de l’eau pour approvisionner la distillerie en orge. À l’époque, Ardbeg distillait clandestinement. Il faudra attendre 1815 pour que John McDougall crée officiellement la marque.

Du compost en guise de combustible

Cela fait 34 ans que Michael se consacre au whisky. Au début, il exerçait toutes les fonctions de production possibles et imaginables, à commencer par l’extraction du produit de base unique d’Islay : la tourbe. ” Nous nous en servions autrefois comme combustible “, explique Michael en nous montrant une motte de tourbe. ” Nous la brûlions pour le chauffage. Tous les habitants d’Islay ont encore droit aujourd’hui à quelques kilos de tourbe par an. Elle est extraite des nombreuses peat bogs (tourbières) que compte l’île. ” Cette substance se compose de terre, de mousse, de mauvaises herbes et de racines d’arbres. Du compost, en somme. ” Elle est inodore, sauf quand on la brûle “, précise Michael avant de faire chauffer la motte à l’aide d’un bec Bunsen.

La distillerie d’Ardbeg a malté elle-même son orge jusqu’en 1972 : l’orge était chauffée et fumée sur des feux de tourbe. Les grains étaient ainsi imprégnés d’un goût tourbé. ” Nous avons heureusement conservé cette ancienne technique “, explique Michael. ” C’est elle qui confère aux whiskys d’Islay leur caractère unique. ” Le processus de maltage artisanal et intensif d’antan s’effectue aujourd’hui à l’échelle industrielle à la malterie de Port Ellen, la capitale d’Islay. Cette usine malte aussi l’orge des autres distilleries de l’île. ” Notre malt présente une teneur en tourbe de 50 à 55 parts par million “, souligne Michael. ” Tout dépend de la qualité de la récolte. Nous avons besoin de bons grains, suffisamment riches en phénols : les éléments chimiques plus lourds qui confèrent au spiritueux un degré d’alcool élevé et des touches typiquement fumées. “

Peau, chair et amidon

Ardbeg utilise un vieux moulin Boby, présent à la distillerie depuis 1921, pour réduire l’orge maltée en peau, ” chair ” et amidon. ” Il nous faut une proportion de 20 % de peau, 70 % de chair et 10 % d’amidon “, précise Michael. ” Nous extrayons un maximum de levure du grain dans le mash tun (cuve d’empâtage), où nous mélangeons de l’eau chaude à l’orge moulue. ” Cette levure fermente et transforme le mélange sucré du mash tun en une sorte de bière à 8° d’alcool. Cette bière est à son tour distillée pour former le spiritueux de base. La distillation s’effectue dans deux grands alambics : un wash still qui produit des low wines impurs titrant à 24° et un spirit still doté d’un purificateur unique. ”

À la clé ? Un équilibre unique de tourbe, de notes sucrées et de complexité.

Cet appareil, une sorte de filtre, revêt une importance cruciale “, explique Michael. ” Il retient les phénols du spiritueux de base et laisse d’abord passer les éléments plus légers. Les alcools et les phénols plus lourds, qui confèrent son côté tourbé à notre whisky, retournent dans l’alambic. Ils ne passent dans le bras du still que lors de la seconde partie de la distillation. ” Ils se mélangent ensuite aux alcools plus légers. À la clé ? Un équilibre unique de tourbe, de notes sucrées et de complexité. ” Chez nous, 50 % du goût vient du processus de distillation “, poursuit Michael. ” Le bois de nos fûts détermine les 50 % restants. L’un ne peut pas l’emporter sur l’autre : il s’agit de trouver le juste équilibre. “

Selon les préceptes de la discipline, le spiritueux de base ne peut être appelé ” whisky ” qu’après trois ans de vieillissement en fût de chêne. Mais Ardbeg y laisse ” dormir ” son alcool de base pendant dix ans. Le 10 Years Old est d’ailleurs le fleuron de la distillerie d’Ardbeg et le produit le plus vendu de la marque. La gamme principale renferme aussi l’Uigeadail (à prononcer ou-ga-dal) et le Nam Beist – c’est le nom des lacs où Ardbeg puise son eau. Outre ces ” whiskys de base “, la distillerie commercialise régulièrement des éditions spéciales. Les membres de l’Ardbeg Committee, fondé en 2000 et aujourd’hui constitué de plus de 50 000 membres, se voient généralement offrir le premier choix. Si la distillerie utilise ce club pour sonder les attentes des amateurs de single malt, elle y trouve aussi un outil pratique pour ” faire le buzz ” au lancement d’un nouveau produit. Ardbeg a, par exemple, lancé le Supernova l’an dernier, pour célébrer le retour de son whisky spatial (cf. ci-après) de la station internationale ISS. Le whisky Alligator de 2011 (distillé en 2000) a vieilli dans des fûts de bourbon américains : l’intérieur avait été tellement brûlé qu’il ressemblait à la peau d’un alligator. Distillé en 1980 et sorti en 2004, le Kildalton légèrement tourbé fait référence à la croix en pierre qui se dresse non loin de la distillerie d’Ardbeg. Du haut de ses 1 200 ans, elle fait partie des plus anciens artefacts de l’île d’Islay.

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