Grand hôtel

Pierre Degand : " L'habillement contribue à l'affirmation de la personnalité ". © Degand

Tout homme élégant voyageant autour de la planète, connaît Degand Tailleur-Chemisier à Bruxelles. Il est vrai qu’on ne trouve un tel magasin, un tel choix et un tel stock de vêtements et accessoires masculins, ni à Londres, ni à Paris, ni à New York. Trends Style a rencontré celui qui le dirige avec passion: Pierre Degand.

Même un journaliste de mode tel que James Sherwood (il a écrit pour The Financial Times et International New York Times, entre autres) ou un site pointu tel que Parisian Gentleman en conviennent: Degand n’a son équivalent nulle part ailleurs dans le monde.

Car c’est bel et bien la très grande classe qui caractérise l’élégance masculine proposée dans cet hôtel de maître (datant de 1911) de l’avenue Louise à Bruxelles, où Pierre Degand dirige ses 36 employés sur quelque 2.000 m² incluant deux départements adjacents – Degand Sport & Business et Degand Shoes.

Sur-mesure (confectionné dans l’atelier tailleur-chemisier), prêt-à-porter, chaussures et autres accessoires, parfums masculins haut de gamme… Voilà ce que l’on peut trouver dans ce sanctuaire où Pierre Degand en personne ne tarde jamais à venir à la rencontre du client, se mettant à son écoute et n’hésitant pas à lui délivrer ses bons conseils si cela s’avère indiqué.

LA MAISON PRÈS DU BOIS

Quelles ont été les principales étapes de votre parcours?

Pierre Degand: ” Je suis né à Bruxelles. J’aime cette ville. Inconsciemment, c’est au travers de ma mère que j’ai suivi la voie qui a été la mienne. Je n’ai jamais connu mon père. J’ai pu voir sur des photographies qu’il était un bel homme, plutôt élégant. Mais je n’ai pas du tout été inspiré par lui. J’ai quitté l’école à l’âge de 14 ans – depuis toujours, j’adore faire de temps à autre des choses “interdites” – et très vite, j’ai commencé à travailler comme vendeur chez Dean, avenue Louise. L’offre y était de haut niveau, notamment grâce aux produits Chester Barrie de Savile Row à Londres, aux chemises et pulls en laine de qualité, etc. Le week-end, j’étais envoyé dans la succursale du Zoute et je travaillais donc souvent sept jours sur sept. Ma mère, quant à elle, possédait un magasin de vêtements féminins “Yvonne Degand”, boulevard Adolphe Max à Bruxelles. “

” Je suis resté chez Dean jusqu’à l’âge de 18-19 ans, avant d’ouvrir moi-même, au Zoute, en 1974, un petit magasin rez-de-chaussée & cave – “Yvonne Degand Pierre Degand” – à l’arrière duquel je vivais dans un flat minuscule – c’était un chagrin d’amour qui m’avait mené là. Le département masculin se trouvait dans la cave et proposait des chemises à fleurs, des pulls en shetland, des vestons, etc. Peu après, j’ai rencontré un agent de “produits de qualité” – Ballantyne, D’Avenza, Glanshirt… Mais, la maison Deman en ayant l’exclusivité, je n’ai pu les obtenir officiellement. Les produits ont donc été dégriffés par les fournisseurs et je les ai vendus à mon nom, au même prix, mais sans la légitimité de l’étiquette. C’est sans doute là qu’est née la réputation de maison chère qui colle à la maison Degand. J’ai alors été pris dans un tourbillon de montée en gamme. J’ai repris ensuite le magasin voisin, puis un autre encore, l’espace initial devenant un dépôt de stock. Ma mère qui avait été expropriée du boulevard Adolphe Max, venait m’aider tous les dimanches au Zoute. Cette aventure a duré jusqu’en 1988. “

Mais, en 1983, vous aviez déjà acquis l’hôtel de maître de l’avenue Louise…

” Absolument. J’ai ouvert cette maison en 1983 et ma mère est restée à la Côte jusqu’en 1988. Après quoi, elle est venue s’installer ici au 2e étage, et y a vendu des vêtements féminins jusqu’en 1999, peu avant sa mort en 2000. J’ai débuté modestement ici. Nous n’étions que cinq ou six. Au début, nous occupions le rez-de-chaussée et un atelier au 1er étage. La maison Deman était toujours là, Old England aussi… Mais cette fois, j’ai été autorisé à utiliser officiel-lement les labels de qualité. “

” La Maison avait beau avoir de l’allure, son implantation loin du centre, près du bois de la Cambre, n’a pas facilité les choses. Les hommes avaient leurs habitudes pour s’habiller, et surtout, leurs adresses. Un petit jeune qui s’offre un hôtel de maître – je ne l’ai heureusement pas payé au prix fort car il avait été laissé à l’abandon durant une dizaine d’années – et y propose des produits coûteux et de haute qualité: cela avait tout de la gageure. Beaucoup se montraient pessimistes, d’ailleurs. Je n’ai guère été encouragé – si ce n’est par ma mère. Mais il est vrai que j’ai eu beaucoup de reconnaissance de la part de mes clients et c’est toujours le cas aujourd’hui. La rencontre avec ma femme, la mère de mes enfants, qui travaille avec moi, a, elle aussi, été déterminante. Elle m’a donné une nouvelle impulsion pour poursuivre dans la voie que je m’étais fixée. “

Un petit jeune qui s’offre un hôtel de maître et y propose des produits coûteux et de haute qualité: cela avait tout de la gageure.

COMME AU CINÉMA

Quelle philosophie devait accompagner cette Maison?

” A 20 ans, on est impulsif. J’avais envie de créer ce magasin. Je l’ai fait. Par passion. Mais donc aussi avec l’insouciance de mon jeune âge. Tout le monde me disait que j’allais échouer, ce qui, compte tenu de mon caractère déterminé, ne pouvait pas réellement me démotiver. J’éprouvais une passion pour habiller des hommes qui me faisaient confiance, pour les conseiller. J’ai toujours aimé les choses bien faites – je suis perfectionniste mais impatient. Ma philosophie de base était d’offrir une valeur, une authenticité réelle, qui soit en résonance avec la beauté architecturale de cette maison-écrin. Les produits devaient être à la mesure de l’emballage. A l’époque, il était davantage question de produits que de marques. “

En quoi consistaient ces produits?

” Des articles classiques et intemporels. Cela correspondait à la manière dont je m’étais toujours habillé. A l’époque où je travaillais à la Côte, j’allais volontiers me balader sur la digue, le midi, en blazer, pantalon et chemise-cravate. J’ai toujours aimé bien m’habiller. J’y ai pris goût très jeune. Ma mère travaillait beaucoup et nous allions très souvent dîner au restaurant. Elle nous demandait donc, à mon frère et à moi, de nous habiller dès que nous rentrions du collège. “

Pierre Degand de la maison de mode éponyme :
Pierre Degand de la maison de mode éponyme : ” Je me sens heurté par ce qui n’a pas d’âme “.© Degand

Au fil du temps, la notion d’intemporel, de classique et de contemporain évoluent…

” C’est évident. Pour rester dans l’air du temps, nous avons adjoint à l’offre tailleur la plus classique, Degand Sport & Business dans la maison voisine délaissée par Old England. Tout y a un look plus contemporain et y est plus facile d’accès. Mais le leitmotiv reste identique: un produit résultant d’une collaboration étroite avec des fournisseurs axés sur la valeur et non sur le marketing, qui privilégient un temps de fabrication et une qualité de matériau supérieurs à la moyenne. Une offre différente de ce qui se propose ailleurs. Pas de marques telles que Ralph Lauren, Tommy Hilfiger, Façonnable, etc., donc. Et une écoute permanente du client. “

” Bien sûr, avec le temps, j’ai changé moi aussi. Je ne porte plus de tenues formelles le week-end, ni en voyage. J’enfile volontiers un pantalon chino ou un jeans, une chemise à porter col ouvert, un veston – mais jamais je n’oublie les boutons de manchettes et la pochette -, des chaussettes fantaisie et des chaussures en adéquation. Soit des choses simples qui offrent du confort. “

D’où tiriez-vous votre inspiration pour vous habiller durant vos jeunes années?

” Du monde du cinéma – Steve McQueen dans L’Affaire Thomas Crown, Gary Cooper, Cary Grant, les films de Hitchcock – La Main au Collet notamment -, les James Bond avec Sean Connery ou Roger Moore. C’était merveilleux. Il n’existe plus, aujourd’hui, de personnalités équivalentes”

En 1983, vous n’aviez sans doute pas le carnet d’adresses dont vous disposez aujourd’hui.

” Non. Du reste, ma clientèle du Zoute n’avait rien à voir avec celle que je voulais me créer ici – et aujourd’hui comme hier, mes amis ne sont pas forcément mes clients. A la Côte, elle était constituée de Flamands locaux et de nombreux diamantaires. A Bruxelles, il n’y a eu au début ni chefs d’entreprises, ni membres de la Cour, ni politiciens. Seulement des hommes qui avaient envie de bien s’habiller et me faisaient confiance. Puis j’ai rencontré notre tailleur Gennaro, il y a 30 ans déjà. C’est toujours lui qui réalise nos costumes sur mesure dans notre atelier. “

L’ÈRE DES STÉRÉOTYPES

En quatre décennies, la société, les moeurs, l’éducation et la culture de l’habillement ont changé. Comment avez-vous réagi?

” Le monde a fortement changé en peu de temps. Les demandes des clients, aussi. Le respect de et par l’habillement a largement disparu. Il y a eu un nivellement par le bas. Et ceux qui auraient pu continuer à faire évoluer le désir, le goût d’un certain raffinement – les acteurs de cinéma, les présentateurs de télévision, certains hommes politiques – ne le font plus. On manque de modèles. Aujourd’hui, les hommes fortunés consacrent encore de l’argent aux montres, aux chaussures et aux voitures. Pour le reste, tout se standardise – blazers, jeans, chinos de couleur, chemises blanches, cravate unie… Et si, au restaurant, les femmes apparaissent encore souvent très bien habillées, ce n’est plus vraiment le cas des hommes. “

” Le plaisir d’affirmer sa personnalité par l’habillement a disparu. Et, actuellement, on ne considère plus que le vêtement vaut le prix de sa qualité – ceci, principalement à cause des chaînes de magasins et de marques de? mode. Or le prix d’un vêtement de qualité couvre pour deux tiers la fabrication et pour un tiers le tissu. Aujourd’hui, les gens achètent le tissu, pas la fabrication. Pour certaines pièces, je me demande même comment on parvient à pratiquer des prix si bas. Et je comprends que celui qui est habitué à ce type d’offre se dise que Degand est hors de prix. Une voiture est une voiture, mais le public a conscience qu’une Rolls-Royce ou une Bentley n’est ni une Dacia ni une Skoda. Pour un vêtement, ce n’est pas le cas. C’est dommage. Nous avons la chance d’avoir une clientèle qui connaît la maison Degand depuis longtemps, qui continue de rechercher un produit de qualité au prix de sa valeur et qui a un pouvoir d’achat qui le lui permet. “

L’image de la rue change elle aussi.

” La tranche 30-60 ans affiche de plus en plus de stéréotypes. Les quinquagénaires qui se trouvent une nouvelle compagne veulent avoir l’air plus jeune, portent des chemises et des vestons slim, une barbe de trois jours – rares sont d’ailleurs encore les hommes qui se rasent tous les jours. Bref, le contraire du raffinement masculin adapté à cette tranche d’âge, selon moi. Mais il s’agit d’un effet de mode que l’on ne peut contrer. Auparavant, les clients venaient seuls. Nous pouvions parler des lignes, des qualités, des couleurs… Aujourd’hui, ils viennent souvent accompagnés d’une femme. “

Vous bougez beaucoup… Ne craignez-vous jamais de chiffonner votre costume?

” Les produits de qualité se déchiffonnent très vite. Le soir, je le place simplement sur un cintre, à l’extérieur. Je fais rarement repasser mes costumes car ce n’est pas très bon pour les tissus. Bien sûr, c’est différent si je passe dix heures en voiture. “

Que comprend l’offre Degand aujourd’hui?

” Tout ce que porte un homme. Et tous mes coups de coeur. A l’exception des montres. J’ai essayé: j’ai vendu des IWC, des Breguet… Mais j’ai fini par abandonner. A chacun son métier. Cela étant, le cadre de l’offre est sans cesse repensé, et je verrais bien quelqu’un de (re)connu vendre, ici, des montres, parallèlement à l’offre en joaillerie. Peut-être des modèles anciens de qualité… “

Vous êtes sans compromis.

” Je me sens heurté par ce qui manque d’âme et de personnalité. Plus on est passionné, plus on fait bien les choses. J’aime ce qui est beau et raffiné, ce qui a de la profondeur. Mais j’aime par-dessus tout mon travail. Je n’ai d’ailleurs jamais vraiment laissé libre cours à tout ce qui n’y était pas lié de près ou de loin. “

L’offre de Degand ? ” Tout ce que porte un homme. Et tous mes coups de coeur.

La maison Degand a une réputation qui dépasse nos frontières. Comment envisagez-vous son futur?

” C’est un problème. J’ai plus de 60 ans. Et, actuellement, mes enfants ne sont pas du tout intéressés. Peut-être rencontrerai-je un jour quelqu’un qui appréciera de travailler à mes côtés, avec qui je pourrai avoir des échanges et développer une nouvelle vision. Ou alors, la maison Degand s’arrêtera avec moi le jour où je prendrai la décision de ne plus y travailler. Le destin en décidera. ”

www.degand.be

TEXTE SERGE VANMAERCKE

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