Fabien Lamarche: “Je me vois plutôt comme un Léonard de Vinci”

Trends style est parti à la rencontre de Fabien Lamarche de la manufacture Innovations Manufactures Horlogères (IMH) (Le Locle, Suisse).

La manufacture IMH est à mi-chemin entre le laboratoire et le cabinet de curiosités. Une vingtaine de machines de coupe industrielles traditionnelles et de lasers (il faut savoir que le prix d’une machine s’élève facilement à 500 000 ?) y côtoient des installations chimiques destinées, entre autres, à colorer les pièces d’horlogerie.

Nous découvrons, dans l’un des ateliers, un four de cuisine classique à broche. Fabien Lamarche l’a équipé d’un tube en verre où il fait tourner les aiguilles des montres pour obtenir une couleur bleue parfaitement uniforme. ” La température et le temps jouent un rôle clé lors de la coloration des pièces d’horlogerie “, explique Lamarche avec un enthousiasme débordant. ” Une seconde de trop dans le four et vous obtenez une aiguille violette alors qu’elle aurait dû être bleue. Lors de mes expériences dans ma cuisine, j’ai remarqué qu’il n’y avait pas plus efficace que l’induction pour colorer des aiguilles. L’induction permet, en effet, de régler parfaitement la température, à la seconde près. Ma femme n’était toutefois pas très contente, car mes expériences se sont soldées par des aiguilles fondues sur la plaque de cuisson… Le test du four de cuisine a donc été transféré à la manufacture. “

Le but est que le boîtier prévienne le client lorsque sa montre nécessite, par exemple, un entretien.

Nous arrivons ensuite dans un atelier adjacent, où Lamarche nous montre un boîtier en bois à écran multifonction qu’il a conçu dans l’esprit de l’Internet des objets et breveté à l’échelle européenne. ” J’aimerais commercialiser cette création. Qui sait ? J’y parviendrai peut-être dans un lointain avenir… Le but est que le boîtier prévienne le client lorsque sa montre nécessite, par exemple, un entretien. Mais je pourrais aussi lui envoyer, par ce biais, une invitation pour un événement dans le domaine de l’horlogerie. Le système pourrait aussi informer l’usine en cas de problème avec la montre. “

Un ami de Léonard de Vinci

” La plupart des marques de montres se concentrent sur leur volume annuel de production et s’adressent à des artistes ou des fournisseurs comme moi pour la création de pièces d’exception “, poursuit Lamarche. ” Nous fabriquons une foule de prototypes ou d’éditions limitées et nous ne créons que des montres haut de gamme : de 500 à 1 000 par an. Mes nuits sont courtes, je vais me coucher entre 3 h et 4 h du matin pour me lever à 7 h. Mon cerveau est constamment en ébullition. On me surnomme parfois le ‘mangeur de cervelle’, car je vide pour ainsi dire le cerveau de mes interlocuteurs pour en tirer le maximum. “

Fabien Lamarche:

” J’ai toujours réparé ou amélioré des appareils. Enfant, j’habitais chez mon grand-père, dans un moulin qui approvisionnait le village en électricité. Il avait du courant en permanence et disposait d’un vaste arsenal de machines. On lui confiait toutes sortes de réparations : lampes, fers à repasser, téléviseurs… Je lui donnais déjà un coup de main à l’âge de six ans. Quand j’ai eu dix ans, j’ai commencé à récupérer d’anciens juke-box et gramophones pour les réparer. Je me suis un jour retrouvé avec plus de vingt juke-box. Ma maison recèle des juke-box fabriqués sur mesure, des gadgets et d’autres inventions, notamment un flipper transformé et un ancien feu de position que j’ai démonté et équipé d’un éclairage LED. Vous n’avez pas idée ! Des objets tous plus bizarres les uns que les autres. Je rêve de pouvoir fabriquer des robots comme il en existait il y a des centaines d’années. Pensez à la collection Sandoz. Une chenille automatique, un autre insecte ou encore un oiseau qui chante dans une cage… “

Lamarche porte une Julien Coudray 1518 à cadran bleu, agrémentée des portraits de François Ier et de Léonard de Vinci.

Nous demandons à Lamarche s’il se considère comme un designer, un industriel ou un inventeur. ” Je me vois plutôt comme un Léonard de Vinci “, répond-il. La montre que porte Lamarche lui donne raison. Il s’agit d’une Julien Coudray 1518 à cadran bleu, agrémentée des portraits de François Ier et de Léonard de Vinci. ” C’est la première montre en platine et à mouvement entièrement en platine que j’ai créée, mais les portraits ont une autre histoire. Julien Coudray, l’un des premiers horlogers français, s’est fait connaître en 1518 en inventant les premières montres portables. À la demande de François Ier, qui fut roi de France de 1515 à sa mort en 1547, il avait équipé le manche de deux de ses dagues d’une minuscule montre sur ressort. Le prix de ces deux montres représentait 20 % du budget de la ville de Blois. Vous imaginez donc ce qu’elles coûteraient aujourd’hui. “

Fabien Lamarche:

Lamarche a baptisé sa marque en référence à l’horloger et à la date de fabrication de cette première montre portable. ” Nous avons retrouvé, dans les archives du royaume, des documents qui prouvent que Julien Coudray et Léonard de Vinci auraient vécu ensemble au Clos Lucé de 1516 à 1518, à la demande de François Ier. “

Une montre est un miracle

Lamarche a l’esprit de contradiction. Avec son entreprise, le Suisse aime aller à l’encontre des normes industrielles usuelles du secteur horloger. Avant de fonder la marque Julien Coudray en 2012, Lamarche a occupé différentes fonctions – dont celles de directeur des produits et de responsable du département mécanique et prototypes – au sein de plusieurs marques, notamment Breguet, Roger Dubuis et Zenith. ” J’ai pu exploiter cette expérience au moment de fonder ma manufacture. Je voulais fabriquer des montres intemporelles dans des métaux purs comme le platine, sans traitements chimiques ou revêtements. Mais ça n’a pas été simple. Soit la technologie ou l’artisanat n’existait pas encore, soit le métier n’existait plus. En 2007, lorsque je suis parvenu à fabriquer une montre et un mouvement en platine, j’ai senti qu’il était temps de fonder ma propre manufacture. Il m’aura fallu 25 ans ; 25 ans au cours desquels j’ai appris moi-même toutes les facettes de la fabrication de montres avant de former quelqu’un. “

Chaque montre qui fonctionne est un miracle à mes yeux

Les ateliers emploient actuellement 25 artisans. IMH rassemble 46 métiers liés à l’horlogerie. ” Chaque montre qui fonctionne est un miracle à mes yeux “, confesse Lamarche. ” Mais la conception ne se fait pas sans mal. Chez nous, il faut 25 000 opérations, réparties entre trente travailleurs, pour alimenter un seul horloger pendant dix jours. Vous imaginez la taille du parking des entreprises qui fabriquent 50 000 montres par an si elles devaient tout réaliser en interne ? La fabrication d’une seule aiguille nécessite quarante opérations et sept outils différents. Nous fabriquons ces outils nous-mêmes, ce qui nous permet de travailler rapidement. Lorsque nous dessinons une aiguille, nous produisons l’outil le lendemain et nous insérons le premier exemplaire dans une montre le surlendemain. En travaillant avec des entreprises externes, il faudrait compter trois à quatre semaines avant que l’outil soit prêt. La fabrication d’un outil prend parfois une heure, parfois une journée. Il y a à peine cinq artisans capables d’une telle performance dans le monde. “

Fabien Lamarche:

” Notre horloger ne doit pas concevoir cinq mille aiguilles. D’un jour à l’autre, il peut donc s’atteler à un composant différent. Cette alternance est essentielle. J’aime aussi varier les tâches. Dessiner des montres est une pure détente. Certaines phases du processus de production – par exemple le polissage – demandent énormément de travail : si une personne doit s’y consacrer deux jours de suite, elle aura plus envie de pleurer que de rire. Ce sont ces étapes que nous devons essayer d’industrialiser. “

Cinq cents ans sous terre

Les créations de Lamarche reflètent sa volonté de se différencier. Les montres Julien Coudray 1518 sont les seules au monde à être équipées d’un mouvement en platine. Composé à 95 % de platine et à 5 % de palladium, le platine est le matériau pur le plus précieux après le diamant. ” Plus durable et non sujet à la corrosion, ce métal noble dure plus longtemps que le laiton usuel “, précise Lamarche.

Fabien Lamarche:

D’autres pièces de la montre sont également le fruit d’un choix de matériau singulier. Lamarche a opté pour l’or massif, le titane et l’émail grand feu au lieu de l’acier inoxydable ou d’autres matériaux laqués, revêtus ou traités chimiquement. Si la technique de l’émail grand feu fait partie des plus délicates, elle compte aussi parmi les plus durables et les plus anciennes du secteur horloger. ” Nos montres sont, à l’exception du bracelet, conçues pour durer des siècles. Vous pouvez les enterrer : vous les retrouverez dans le même état après cinq cents ans. Pour garantir cette inaltérabilité et assurer les éventuelles réparations futures, nous archivons des pièces de rechange pour chaque collection de montres. Notre procédé à base de platine a été breveté il y a trois ans. Il n’y a, à ma connaissance, aucune autre marque qui fabrique des montres entièrement en platine dans le monde. Les prix de nos montres varient de 500 000 ? à un million d’euros. Le prix dépend essentiellement du travail effectué à la main, pas du matériau proprement dit. Nous sculptons les montres en platine dans des blocs d’or d’un kilo. Il arrive qu’on commence à travailler un bloc, puis qu’on y décèle une impureté après deux mois seulement… C’est comme si un sculpteur découvrait un trou au milieu du bloc de marbre qu’il façonne depuis plusieurs semaines. Il peut tout jeter, car ces trous ne sont généralement pas bien placés. Les pièces sculptées doivent ensuite être polies. L’opération prend une semaine pour une montre en platine, contre trois à quatre heures pour un modèle en acier. Il faut facilement compter deux ans et demi pour fabriquer une montre en platine. “

Fabien Lamarche:

” Dans la mesure où les processus de leur manufacture sont standardisés, d’autres entreprises ne peuvent pas offrir ce service, contrairement à nous. Il est grand temps que les gens s’en rendent compte. Mais nous ne sommes pas friands de marketing. Nous voulons que le client qui achète une montre Julien Coudray 1518 sache précisément ce qu’il acquiert et qu’il l’achète pour le produit et non pour la marque. C’est pour cette raison que nous n’apposons plus de nom sur nos montres. C’est la montre qui renferme l’ADN de notre marque, pas le nom. Je rêve que les gens connaissent la vérité qui se cache derrière la montre qu’ils achètent. Non aux discours marketing obscurs et aux rideaux de fumée ! Si nous y parvenions, les gens paieraient des prix corrects pour les montres. Ils pourraient alors se demander si le produit vaut son prix. Et s’ils achetaient encore une montre en plastique pour plusieurs milliers d’euros, ils prendraient la décision en toute connaissance de cause. “

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