Mexique, Brésil… L’Amérique latine ou les scrutins de la colère

Au Brésil, Jair Bolsonaro, le populiste d'extrême droite aux accents trumpiens, entrera en fonction le 1er janvier. © belga image

Du Mexique au Brésil, les dirigeants fraîchement portés au pouvoir par des électeurs exaspérés peineront à dynamiser le continent.

En 2019, les effets de la polarisation politique de l’Amérique latine se feront sentir. Une série d’élections ne mettront en évidence aucune tendance claire si ce n’est le mécontentement de l’électorat à l’égard de la situation et de l’establishment. Les nouveaux gouvernements – de gauche au Mexique et d’extrême droite au Brésil – tenteront d’introduire le changement avec un budget limité. Des six élections prévues en 2019, celles qui retiendront le plus l’attention seront celles de l’Argentine, où le gouvernement libéral de Mauricio Macri est affaibli par une crise monétaire, et de la Bolivie, où, après 13 ans au pouvoir, Evo Morales, un socialiste d’origine amérindienne, fait face à une opposition croissante.

Economiquement, l’Amérique latine est affaiblie, en perte de vitesse sur le marché mondial. En 2019, la croissance régionale se limitera à 2 %, un pourcentage à peine supérieur à celui des deux années précédentes. Ce chiffre global est tiré à la baisse par la récession au Venezuela et, dans une moindre mesure, en Argentine et au Brésil. Certes, la croissance sera de l’ordre de 3 à 4 % au Chili, au Pérou, en Colombie et en Bolivie, et de 5 % en République dominicaine et au Panama, où l’activité est soutenue. Mais le ralentissement de la croissance a engendré une politique d’austérité budgétaire et exacerbé le mécontentement de l’opinion face à la corruption et à une criminalité rampante. Cette situation a donné naissance à des tendances politiques contraires. Le Chili, la Colombie et le Pérou ont assisté à un virage vers la droite, tandis qu’au Mexique et au Brésil, où la colère suscitée par la corruption et la criminalité est particulièrement vive, les élections ont marqué l’effondrement du centre.

Une élection clivante

Au Mexique, le populiste vétéran de gauche Andrés Manuel López Obrador a pris ses fonctions le 1er décembre 2018, avec un mandat populaire fort. Il cherchera à stimuler la croissance par une augmentation des investissements publics et des dépenses sociales tout en réduisant considérablement le gaspillage. Il avait choqué les investisseurs en promettant d’annuler la construction du nouvel aéroport de Mexico – le plus grand chantier d’Amérique latine en cours. Cependant il ne reviendra probablement pas sur la réforme énergétique, qui prévoit 150 milliards de dollars d’investissement privé sur 20 ans. Il cherchera à renforcer le pouvoir de la présidence en restreignant celui des gouverneurs d’Etat. Mais ses efforts pour lutter contre la criminalité et la corruption se révéleront décevants.

Un sentiment de frustration pèsera sur la diplomatie latino-américaine.

Au Brésil, Jair Bolsonaro, le populiste d’extrême droite aux accents trumpiens, entrera en fonctions le 1er janvier, après l’élection la plus clivante du pays en 30 ans. Cet ancien capitaine s’est assuré la victoire en promettant de mener une lutte implacable contre la criminalité et la corruption, de défendre les valeurs familiales et de restreindre le rôle de l’Etat. Son premier défi consistera à gouverner : le nouveau président n’a pas d’expérience politique, beaucoup de Brésiliens le détestent en raison de son racisme et de sa misogynie, et il devra s’assurer une majorité au Congrès, où sont représentés 30 partis. Le redressement du Brésil nécessitera des réformes radicales pour affecter moins de dépenses publiques aux groupes d’intérêt et davantage aux services publics et aux investissements. Les marchés espéreront une prompte réforme des retraites. M. Bolsonaro a fait toutes ces promesses pendant sa campagne, mais s’efforcera-t-il de les tenir ?

En Argentine, les espoirs de Mauricio Macri, un réformateur de droite, de remporter un second mandat à l’élection de septembre ont été anéantis par les ventes massives de pesos argentins, qui ont mis à mal son approche graduelle pour stabiliser l’économie. Aujourd’hui tributaire du Fonds monétaire international, son gouvernement s’est engagé à opérer une sévère contraction budgétaire et monétaire. Heureusement pour lui, beaucoup d’Argentins détestent encore plus l’ancienne présidente Cristina Fernández de Kirchner. Mais l’élection n’en sera pas moins difficile pour la coalition de Mauricio Macri. Un candidat péroniste modéré pourrait avoir toutes ses chances.

Flux migratoire

En Bolivie, l’ambition d’Evo Morales de mener une révolution socialiste irréversible sera mise à l’épreuve par l’élection d’octobre. Même si sa candidature est constitutionnellement contestable, il a des chances de remporter le scrutin. Sauf si l’opposition, composée aussi bien de dissidents du parti au pouvoir que de conservateurs, parvient à s’unir derrière le centriste Carlos Mesa, un ancien président.

Une défaite d’Evo Morales stimulerait l’opposition résignée du Venezuela, où le régime dictatorial de Nicolás Maduro se heurtera à des difficultés. La principale menace pour ce dernier serait une révolte dans les casernes. Un nombre croissant de Vénézuéliens chercheront refuge dans des pays voisins, allant grossir le plus grand flux migratoire de l’histoire de l’Amérique latine. Certains gouvernements de la région pourraient approuver des sanctions contre des membres du régime vénézuélien, mais aucun n’est prêt à envisager une action militaire.

Un sentiment de frustration pèsera sur la diplomatie latino-américaine. Donald Trump a reporté à une date indéterminée son premier voyage dans la région en tant que président, mais personne (à l’exception de Jair Bolsonaro) n’attend grand-chose de lui. Le Brésil assurera la présidence annuelle du groupe des cinq pays émergents formant les Brics. Les efforts pour réunir les deux principaux blocs commerciaux sous-régionaux, l’Alliance du Pacifique (Chili, Colombie, Mexique, Pérou) et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) risquent de ne pas aboutir, du fait de l’indifférence d’Andrés Manuel López Obrador, préoccupé par la situation intérieure du Mexique. Loin de réaliser son potentiel, l’Amérique latine devrait s’en sortir tant bien que mal.

Par Michael Reid.

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