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Responsabilité sociale des entreprises : histoires multiples ?

Aujourd’hui, il y a nettement plus de choix de transport et des dizaines de canaux (en particulier via Internet). Mais sommes-nous réellement plus heureux pour autant ?

Bien qu’employée très régulièrement par tout le monde, la responsabilité est une notion qui peut être déclinée de multiples façons et selon des logiques très différentes : juridique, sociale, politique, économique, éthique, morale…

Comme le remarque François Ewald, grand spécialiste français de ce concept, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, le mot “responsabilité” n’est apparu dans la langue française qu’en 1787 et cela bien que l’idée existe depuis toujours sous l’une ou l’autre forme. Le mot lui-même vient d’ailleurs, selon Ewald, du mot latin “sponsio“. Dans l’antiquité romaine, il s’agissait d’une formule solennelle prononcée à l’occasion d’un engagement d’une personne vis-à-vis d’une autre à tenir sa promesse, quoi qu’il arrive.

Un millefeuille épais

Similairement, le terme “responsabilité sociale (ou sociétale) des entreprises” (RSE) date des dernières décennies même si le concept même est apparu au 18e siècle. On peut par ailleurs interpréter de plusieurs manières son évolution au travers des deux derniers siècles. L’interprétation que l’on retiendra n’est d’ailleurs pas anodine pour apprécier au mieux ce qu’elle est aujourd’hui, vers où elle va et ce que l’on estime devoir faire par rapport à cette évolution.

Ainsi, si l’on suit Jean Pasquero, professeur de management à l’Ecole des sciences de la gestion de l’université du Québec à Montréal, la responsabilité sociétale du patron du 18e siècle était essentiellement de gérer efficacement son entreprise. A cela se sont ajoutés la philanthropie au 19e siècle, la sollicitude au début du 20e, la réduction des nuisances environnementales dans les années 1960, suivies ces dernières décennies de la rectitude éthique, du triple reporting et de la participation citoyenne. Pour Pasquero, la RSE actuelle ressemble donc à un millefeuille qui s’épaissit avec le temps, à mesure que la société se complexifie et demande toujours plus aux entreprises.

Un nouveau tournant

Partant des mêmes faits, Ewald met pourtant d’autres accents à cette histoire. Pour lui, la RSE naît véritablement au 19e siècle, sous la forme du paternalisme des grands chefs d’entreprise. Ceux-ci constatent alors que l’utopie libérale de la responsabilité (chacun est responsable de sa vie et doit l’organiser de manière à ne devoir dépendre de personne) ne fonctionne pas. Ils initient alors une série d’actions “sociales” (telle la construction de logements) de manière à assurer à leurs ouvriers une certaine sécurité d’existence, et s’assurer ainsi une plus grande stabilité dans leur capacitéà produire la force de travail nécessaire à l’essor industriel. C’est d’ailleurs du paternalisme patronal que naîtra, selon Ewald, la sécurité sociale moderne.

Selon lui, nous assistons actuellement à un nouveau tournant dans l’histoire de la RSE. Dans un monde globalisé où les États ont beaucoup perdu de leurs pouvoirs face aux grandes entreprises, ces dernières sont de plus en plus interpellées par la société civile afin d’oeuvrer pour alléger certains problèmes sociétaux. Face à cette interpellation, Ewald considère que la réponse à ce jour des entreprises est bien maigre et souvent superficielle. C’est un “ersatz” si on la compare à ce que faisaient de nombreux patrons au 19e siècle.

Il ne faudrait bien sûr pas en déduire qu’Ewald plaide pour un retour au paternalisme. Son analyse montre simplement que malgré la complexification de la RSE mise en avant par Pasquero, l’impact réel de celle-ci est proportionnellement moins important que par le passé. Il laisse d’ailleurs entendre que la judiciarisation du concept de responsabilité et l’essor de la société anonyme à responsabilité limitée, dans laquelle la responsabilité des dirigeants l’est également, n’est probablement pas étrangère à cette évolution. Cela ouvre la voie à d’autres questions que nous aborderons dans d’autres chroniques.

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