Comment la pub cible nos enfants

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S’inviter le plus tôt possible dans la vie du futur acheteur: tel est le credo des marques qui multiplient les efforts pour mieux vendre. Un constat cinglant que décrypte le professeur de marketing Julien Intartaglia dans son nouveau livre “Générations Pub”.

L’air de rien, Lego a détrôné Mattel à la première place des constructeurs de jouets. Fort du succès de son premier long-métrage l’année dernière, le célèbre fabricant de petites briques en plastique a en effet affiché un chiffre d’affaires de 2,1 milliards de dollars au premier semestre 2014, soit 100 millions de plus que son rival Mattel. Coup de génie marketing, le film La grande aventure Lego (The Lego Movie en anglais) a non seulement dépassé toutes les espérances des distributeurs en générant près de 500 millions de dollars de recettes pour un budget de production de 60 millions de dollars, mais il a surtout dopé les ventes des produits classiques de Lego, propulsant ainsi l’entreprise comme nouveau leader mondial du secteur.

Révélateur des tendances commerciales des années 2010, l’exemple de Lego illustre à merveille la stratégie de “contenu” qui anime désormais les grandes marques et qui cible plus particulièrement les plus jeunes consommateurs. Ce constat est d’ailleurs au centre du nouveau livre de Julien Intartaglia, professeur de marketing et de publicité à la Haute école de gestion Arc à Neuchâtel (Suisse). Intitulé Générations Pub, cet ouvrage récemment paru aux éditions De Boeck porte le sous-titre De l’enfant à l’adulte, tous sous influence ? et décortique précisément les efforts que déploient les marques pour entrer subrepticement dans le cerveau des consommateurs et ceci dès leur plus jeune âge.

“La communication publicitaire a largement évolué ces dernières années au point de rendre poreuse la frontière entre les techniques publicitaires reconnues par les consommateurs comme étant des tentatives persuasives (pubs télé, spots radio, affichage en rue, etc.) et des contenus plus subtils où l’enjeu consiste à tisser du lien et à générer de l’affect, affirme l’auteur. Dans cette stratégie, les marques jouent volontiers la carte du brand content ou contenu de marque. C’est une communication plus subtile que le traditionnel matraquage publicitaire. Le contexte de réception proche du divertissement génère une baisse du scepticisme et facilite donc un meilleur impact. Cela permet aussi d’ancrer la marque dans une relation à long terme avec le jeune consommateur.”

Dans un contexte de divertissement tel que le film La grande aventure Lego, les enfants passent un temps considérable à être confrontés à la marque sans penser une seule seconde aux intentions persuasives de celle-ci. Mais le brand content ne se résume pas à la réalisation d’un film quelque peu “tarte à la crème”. Plus subtile, la nouvelle stratégie des annonceurs dilue ce contenu et donc l’image positive de l’entreprise dans une série de mécanismes qui se retrouvent au coeur de sites internet ludiques, de vidéos à partager, de défis à relever et de services à entretenir comme par exemple la marque Nike qui, avec son application Nike+ Running, permet aux sportifs de gérer et surtout de partager leurs performances sportives.

Vraie fausse pub

Créer du lien avec les jeunes consommateurs, mais aussi un effet de répétition qui offre à la marque un ancrage fort dans leur esprit et donc un sentiment de familiarité qui grandit au gré des différentes expositions, voilà le désir des marketers d’aujourd’hui. “Les annonceurs orchestrent des campagnes de communication toujours plus participatives, toujours plus expérientielles et toujours plus personnalisées, enchaîne Julien Intartaglia. C’est une manière de faire de la pub ‘sans faire de la pub’. Or, si la publicité n’est plus perçue en tant que telle, le jeune consommateur se trouve potentiellement davantage sous influence.”

Si cette stratégie surfe désormais sur les nouvelles technologies, elle n’est toutefois pas inédite puisqu’elle a déjà fait ses preuves dans le passé. Ainsi, chez McDonald’s, un achat sur cinq touche aujourd’hui un menu enfant Happy Meal et ceci n’est pas le fruit du hasard mais bien le résultat d’efforts marketing intensifs menés auprès des plus jeunes depuis 40 ans. Car en “offrant” un jouet à l’achat d’un hamburger, McDo a mis en place la première étape d’un programme marketing global qui consiste à associer l’enseigne à une émotion positive pour mieux incruster la marque dans l’esprit des futurs consommateurs.

Interviewé par les équipes de l’émission de télé française Cash Investigation, Roy Bergold, directeur de la publicité chez McDonald’s de 1969 à 2001, affirmait dernièrement : “Si vous réussissez à attirer un enfant de 4, 5 ou 6 ans chez McDonald’s, il va probablement continuer à venir quand il sera adolescent, puis adulte et, ensuite, il viendra lui-même avec ses propres enfants. Le fondateur de la marque Ray Kroc l’a toujours dit : ‘Si vous avez un dollar à dépenser dans le marketing, dépensez-le sur les enfants !'”. Une stratégie que son concurrent Quick a très vite imitée en Belgique avec son menu Magic Box…

Un lien intergénérationnel

On ne sera donc pas étonné de lire, dans un rapport de l’Institut national de la consommation (INC) en France, que sept marques sur 10 consommées aujourd’hui par des adultes âgés de 25 à 35 ans ont déjà créé un lien avec ces personnes durant l’adolescence. Comme le précise Eric Sigler, directeur général de l’institut d’études BVA en France, “l’enjeu des marques consiste à créer désormais un lien intergénérationnel, à jouer la carte du copain-copain et donc à communiquer sur un niveau plus affectif. Il faut dès lors que la marque soit intégrée le plus tôt possible dans la vie de l’acheteur”.

Le constat est d’autant plus cinglant que les enfants du 21e siècle n’ont jamais eu autant de pouvoir décisionnel. Pour Julien Intartaglia, la montée en puissance de “l’enfant-roi” s’explique principalement par quatre facteurs : la diminution du nombre d’enfants par famille, la porosité de la frontière entre le monde de l’enfance et le monde des adultes, l’éclatement des familles et, enfin, l’émancipation de la femme et son implication sur le marché du travail.

“Avec le temps et le changement des mentalités, l’enfant est devenu un acteur social dans le domaine de la consommation, explique-t-il. Les entreprises ont rapidement compris les enjeux financiers colossaux qui reposent sur cette période de vie. Quand les marques créent du lien avec leur consommateur le plus tôt possible, ce n’est pas un hasard et ce n’est pas sans conséquence. D’un côté, c’est admettre le pouvoir de l’enfant en tant qu’influenceur au sein de la famille ; de l’autre, c’est une tentative pour conserver ce consommateur et entrer dans une approche intergénérationnelle.”

Preuve en est avec les campagnes de marques comme Renault qui inverse audacieusement les rôles parents-ado pour promouvoir son modèle Clio ou comme Nutella qui cible délibérément les jeunes adultes en faisant vibrer la corde sensible de ce souvenir “chocolaté” lorsqu’ils étaient enfants, histoire de les inciter à faire durer le plaisir encore et encore…

Frédéric Brébant

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