Victoire de l’extrême droite en Italie: “Un effet déstabilisateur, mais cela ne va pas tout chambouler”

Giorgia Meloni après sa victoire. © Avalon
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Benjamin Biard (Crisp, UCLouvain) analyse la victoire de Giorgia Meloni: c’est symboliquement fort et cela va renforcer les penchants eurosceptiques. Mais le parti n’est pas révolutionnaire, le cadre européen protège et il s’agit surtout d’une expression antisystème.

Benjamin Biard est chargé de recherche au Crisp et chargé de cours à l’UCLouvain. Spécialiste de l’extrême droite, il analyse pour Trends tendances la victoire retentissante de Fratelli d’Italia et son impact potentiel pour l’Europe.

Faut-il craindre cette victoire?

Ce n’est pas la première fois que des partis d’extrême droite participeront au gouvernement en Italie: ce fut déjà le cas d’Alliance Nationale, l’ancêtre du parti de Mme Meloni, et de la Ligue. On ne peut pas dire, notamment, que le recul des migrations fut considérable durant ces périodes. Cette fois, c’est vrai, le score de Fratelli d’Italia est important, autour des 26%, et on peut considérer que le rapport de forces ne sera pas le même. Sans doute disposera-t-elle de davantage de marge de manoeuvre. On peut s’attendre aussi à une série de débats sur le plan de relance européen qui a impacté fortement la campagne. Mais la Commission européenne lie celui-ci à une série de réformes…

Cela contraint l’Italie?

Oui, d’une certaine manière, cela la contraint.

Le cadre européen, c’est une différence majeure pour freiner les penchants postfascistes de Fratelli d’Italia?

Je n’aime pas beaucoup ce terme de “postfasciste”, je me contenterais de parler d’extrême droite. Les fascistes, à l’époque de Mussolini, plaidaient pour un Etat fort et remettaient en cause la démocratie. Aujourd’hui, tant Meloni que Salvini veulent rester dans le cadre démocratique. Il n’y a pas de culture révolutionnaire. Là où ces formations tranchent, c’est avec leur volonté de s’attaquer aux valeurs libérales, à l’équilibre des pouvoirs ou aux minorités ethniques ou sexuelles.

Sur le plan économique, c’est une extrême droite qui est, là, plutôt libérale?

Oui, elle a une approche plus libérale. Un article du Monde faisait état, la semaine dernière, du soutien d’une partie du patronat du Nord à l’égard de son arrivée au pouvoir. Du point de vue économique, de façon générale, l’extrême droite n’est pas très homogène. Marine Le Pen, en France, défend des accents plus sociaux là où son père était plus libérale, on peut faire une analogie similaire entre le Vlaams Belang et feu le Vlaams Blok. En Suisse, l’extrême droite défend même des lignes différentes d’un canton à l’autre, plus libérale dans le Valais, plus “étatiste” ailleurs.

Cette victoire aura-t-elle un effet potentiellement déstabilisateur à un moment clé tant au niveau de la guerre en Ukraine que de la crise énergétique?

Oui, cela peut incontestablement avoir un effet déstabilisateur, mais partiellement seulement. Cela ne va pas tout chambouler.

Au niveau symbolique, c’est vrai, le fait qu’un Etat fondateur de l’Union européenne soit dirigé par une présidente du conseil d’extrême droite – si cela se confirme -, c’est un précédent assez fort. Certains Etats, singulièrement la Hongrie et la Pologne, trouveront aussi un allié: leurs Premiers ministres ont d’ailleurs été les premiers à saluer cette victoire. Cela va renforcer certains penchants eurosceptiques ou europhobes.

L’Union européenne sera vigilante. La Première ministre française, Elisabeth Borne, a déjà dit que la France veillerait à défendre ses valeurs. Mais il est vrai que les réactions ne sont pas les mêmes que lors de l’accession du FPÖ au pouvoir en Autriche, en 1999-2000, quand notre ministre des Affaires étrangères, Louis Michel, défendait d’aller skier là-bas.

Enfin, un autre élément potentiellement déstabilisateur, c’est l’effet d’encouragement que cela peut avoir pour d’autres formations d’extrême droite en Europe. Eric Zemmour, en France, voit déjà cela comme une inspiration : il est possible de passer rapidement de 4% à 26% des voix.

L’Italie est fracturée avec la victoire nette de Fratelli d’Italia au Nord et le maintien fort des populistes de gauche du Mouvement Cinq Etoiles au sud. Cela doit nous faire réfléchir en Belgique?

Ce n’est pas nouveau, cette fracture entre Nord et Sud en Italie : c’était déjà ce qui nourrissait la Ligue de Salvini, anciennement Ligue du Nord. C’est vrai, on peut faire un parallèle avec le Vlaams Belang en Flandre et son président, Tom Van Grieken, soutient d’ailleurs ouvertement Giorgia Meloni.

Mais de manière générale, le vote pour Fratelli d’Italia comme celui en faveur des Cinq Etoiles se caractérise surtout par un vote antisystème, une expression qui montre les limites de la démocratie représentative.

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