Valérie De Bue, d’économiste à l’IBW à ministre wallonne de la Fonction publique (portrait)

© Alexis Haulot
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Libéralisme et fonction publique ne sont pas forcément antinomiques. La preuve par l’actuelle ministre wallonne de la Fonction publique qui, par choix, a travaillé 10 ans comme économiste à l’IBW, avant de s’engager en politique.

Remerciera-t-elle un jour Georges-Louis Bouchez? Le président du MR a en effet propulsé Valérie De Bue au centre de l’actualité politique en annonçant, le 1er octobre, son éviction du gouvernement wallon au profit de Denis Ducarme. La ministre de la Fonction publique, de l’Informatique, de la Simplification administrative, du Tourisme, du Patrimoine et de la Sécurité routière (oui, tout cela! ) a reçu des marques de soutien venues de tous les horizons. Au point que, même sans le décret imposant au moins un tiers de femmes (ou d’hommes) au gouvernement wallon, il n’est pas exclu qu’elle aurait sauvé son poste. En outre, malgré sa discrétion coutumière, Valérie De Bue est une femme politique populaire: tous partis confondus, elle a réalisé le troisième score en nombre de voix de préférence (le huitième, en proportion du nombre d’électeurs, dans sa circonscription) au scrutin de 2019 pour le Parlement wallon.

Une Première ministre, une présidente de la Chambre, de plus en plus d’élues, etc. Les choses bougent mais les quotas restent, je pense, un mal nécessaire.

Economiste de formation (UCLouvain), Valérie De Bue a travaillé un temps à l’Institut de recherches économiques et sociales de l’université – elle y a notamment côtoyé l’ancien président d’Ecolo Philippe Defeyt – avant de rejoindre l’intercommunale de développement économique IBW. Un choix résolu en faveur d’une structure publique. “Je ne me voyais pas travailler pour Coca-Cola”, a-t-elle un jour résumé dans L’Echo. “J’ai beaucoup apprécié le côté hybride de l’intercommunale, commente-t-elle. On s’occupait de développement économique mais aussi d’urbanisme et d’environnement. Nous avons ainsi mis en place les premières unités de valorisation des déchets. L’IBW reste une petite intercommunale, avec une gestion souple et agile.”

De l’aménagement du territoire à la politique

Entre l’économie et l’environnement, il y a l’aménagement du territoire. Une passion chez Valérie De Bue, qui décrochera d’ailleurs par la suite un diplôme en études spécialisées en aménagement du territoire et urbanisme. “Nous étions toute une petite bande à suivre ce DES, se souvient-elle. Il y avait des architectes, des historiens de l’art, des juristes… C’était très stimulant sur le plan intellectuel.”

Ce diplôme en poche, la jeune Nivelloise pousse la porte de la Commission communale d’aménagement du territoire (CCAT). Elle espère décrocher une mission technique pour valoriser ses nouvelles compétences, elle ressort avec… une place sur la liste électorale emmenée par l’échevin de l’Urbanisme, Pierre Huart. “J’étais intéressée par la chose publique, la liste était en phase de renouvellement, je n’ai en fait pas beaucoup hésité”, se souvient celle qui fut élue au conseil communal et obtint la présidence de la CCAT!

La boucle est bouclée. Elle sera même bouclée une seconde fois puisque, dans la foulée, son parti (le PRL, à l’époque) lui propose une place de conseillère au cabinet d’un très jeune ministre wallon des Pouvoirs locaux, un certain Charles Michel. “Quinze ans plus tard, quand je suis à mon tour devenue ministre des Pouvoirs locaux, j’ai retrouvé des dossiers qui avaient été initiés à l’époque, comme la réforme des intercommunales ou le débat sur le rôle des provinces, s’amuse-t-elle. Ce fut vraiment une période très intense.” Parmi ses collègues du cabinet Michel, on retrouve Marc Leclercq (Sofico), Clarisse Ramakers (directrice du service d’étude de l’Union des classes moyennes) ou encore Philippe Rasquin, qui est aujourd’hui son chef de cabinet adjoint.

De Nivelles à Namur

Valérie De Bue allait approfondir davantage encore sa connaissance des pouvoirs locaux en devenant échevine en 2006, puis première échevine en 2012. Elle a pris ensuite un peu de recul par rapport à la vie politique locale en choisissant, en 2014, de siéger au Parlement wallon, pour se conformer aux règles anti-cumul. La politique nivelloise lui a permis de nouer de solides relations en dehors de son parti, en particulier avec l’écologiste Marcel Cheron et le socialiste André Flahaut, deux personnalités qu’elle côtoyait aussi à la Chambre.

Valérie De Bue
Valérie De Bue “C’est vraiment intéressant d’avoir, au fil du temps, travaillé sur le même sujet sous différents angles.”© Alexis Haulot

Elue députée fédérale en 2003 en effet, elle s’était surtout investie dans les questions de mobilité et de gestion des entreprises publiques. Son nom avait d’ailleurs circulé avec insistance pour le ministère de la Mobilité, après la démission de Jacqueline Galant. Mais c’est bien en Wallonie, avec la responsabilité des pouvoirs locaux (“c’est vraiment intéressant d’avoir, au fil du temps, travaillé sur le même sujet sous différents angles”) qu’elle décrochera son premier portefeuille ministériel. Avec une mission de taille: piloter la sortie du dossier Publifin et mettre en oeuvre les recommandations de la commission d’enquête. “Avec Pierre-Yves Dermagne (son prédécesseur, puis successeur, dans la fonction), nous avons bâti l’édifice pierre par pierre, explique-t-elle. J’ai changé d’attributions et je n’ai pas pu poser le toit ; mais nous avons fait émerger les solutions et c’est bien là l’essentiel.”

Les quotas, un mal nécessaire

En tant que ministre des Pouvoirs locaux, elle a aussi oeuvré pour améliorer la représentation des femmes au sein des collèges communaux. “Le décret avait été voté et, en 2018, c’était la première fois qu’il allait s’appliquer, précise-t-elle. J’ai mené une campagne de sensibilisation pour inciter les femmes à se présenter et pour que l’on pense à voter ‘femmes’. Les choses bougent: une Première ministre, une présidente de la Chambre, de plus en plus d’élues, etc. C’est le résultat de règles pour la confection des listes, pour la présence dans les instances, dans les conseils d’administration… Les quotas restent, je pense, un mal nécessaire.”

Valérie De Bue s’est en fait plongée dans ces questions lors de son passage au Sénat, entre 2014 et 2017. Elle a alors participé à une étude mondiale sur la représentation des femmes en politique, en compagnie notamment de son actuelle collègue au gouvernement wallon Christie Morreale (PS). Désormais en charge du Tourisme et du Patrimoine, elle n’abandonne pas ce combat. Elle évoque ainsi le concept de “matrimoine”, dans le but de “mettre en valeur les femmes qui ont joué un rôle-clé” dans l’architecture et l’artisanat. Et, sans doute un peu grâce à Georges-Louis Bouchez, on l’écoutera désormais plus attentivement sur de tels thèmes.

A pied ou à vélo, vive la promenade

Dans un agenda de ministre, les loisirs ne sont pas toujours évidents à caser. Valérie De Bue a donc opté pour la souplesse horaire des promenades familiales dans la campagne brabançonne. ” Cela permet de découvrir des paysages splendides, proches de chez nous et que nous traversons si souvent sans les voir “, sourit celle qui gère le portefeuille du Tourisme. Elle songe à passer au vélo (électrique), ce qui lui permettrait d’aller un peu plus loin. Jusqu’à Pairi Daiza peut-être, dont elle évoque le fondateur, Eric Domb: “Au départ, c’était le rêve d’une personne. Mais quelle réussite économique et environnementale! C’est un modèle pour beaucoup dans le monde du tourisme, rempli de gens passionnés et passionnants.” Mais pour l’heure, le vélo est essentiellement… elliptique. “Je pédale en regardant des émissions comme Des racines et des ailes“, sourit-elle.

En matière culturelle, elle apprécie les films et romans “à connotation historique”, comme Pentagon Papers, la série The Crown ou l’oeuvre de Ken Follett. “Je choisis aussi volontiers des biographies, dont récemment celle de Simone Veil, ou des essais, ajoute-t-elle. C’est alors pour le challenge intellectuel: je lis des auteurs dont je ne partage pas nécessairement les idées.”

“Je ne suis pas très buzz”

Elle est sur les réseaux sociaux comme dans la vie: d’abord, vous la trouvez discrète puis en y regardant plus attentivement, vous constatez qu’elle est très active. On la voit notamment assez bien sur Twitter (qu’elle a rejoint en 2009, et pas seulement pour relayer son travail ministériel): “Je suis les débats mais j’essaie de conserver une certaine distance, je ne suis pas très buzz, précise-t-elle. J’aime aussi le côté décalé d’Instagram, qui permet de découvrir des personnalités sous un autre angle.”

Nous devons intégrer ces outils à notre manière de travailler.

Qu’on les apprécie ou non, les réseaux sociaux sont aujourd’hui incontournables en politique. “Cela fait partie du métier, nous devons intégrer ces nouveaux outils à notre manière de travailler, dit-elle. Ils modifient aussi nos rapports aux citoyens, qui peuvent plus facilement entrer en contact avec nous, un phénomène susceptible de contribuer au rapprochement dont on parle si souvent.”

Ce qu’ils pensent de Valerie De Bue…

  • “Valérie, c’est elle qui m’a formée à la chose publique et à la politique. Nous avons travaillé trois ans ensemble au cabinet de Charles Michel, alors ministre des Pouvoirs locaux, que j’ai rejoint à ma sortie de l’université. Depuis lors, nous sommes toujours restées en contact. J’apprécie sa grande qualité d’écoute, pas nécessairement fréquente dans le monde politique… Elle reçoit ses interlocuteurs sans a priori, ne juge pas les gens, et peut prendre de la hauteur dans les discussions. Elle bosse vraiment sur le fond des choses, elle connaît ses dossiers. Valérie est très ancrée dans la vie de tous les jours, je pense que ça l’aide à réagir avec sérénité aux soubresauts de l’actualité. Quand j’ai appris que son parti voulait la remplacer au gouvernement wallon, j’ai trouvé cela vraiment injuste par rapport au travail accompli. Mais je suis certaine qu’elle, c’est d’abord à ses équipes qu’elle pensait à ce moment-là. Elle a un engagement très fort vis-à-vis de ses collaborateurs.”Clarisse Ramakers, directrice du service d’étude de l’UCM
  • “Nous nous connaissions bien entendu du Brabant wallon et nos relations se sont intensifiées depuis qu’elle est en charge de la Fonction publique et notamment, de la transformation numérique de l’administration. Valérie De Bue s’est entourée d’une jeune équipe performante et motivée. Surtout, elle possède cette qualité essentielle en politique: elle sait poser les bonnes questions aux bonnes personnes. C’est comme ça que l’on obtient les réponses qui feront avancer les choses! Nous échangeons aussi volontiers sur les réseaux sociaux. Il m’arrive de la titiller sur Twitter. Elle répond généralement très vite et avec pas mal d’autodérision ; pour moi, c’est une marque d’intelligence.” Pierre Rion, entrepreneur, président du conseil numérique wallon
  • “Notre relation est un peu particulière: Valérie m’a succédé comme ministre des Pouvoirs locaux en 2017 puis je lui ai succédé en 2019, ce n’est quand même pas très fréquent! Ces passages de relais se sont inscrits dans le contexte compliqué de l’affaire Publifin et des problèmes de gouvernance publique. Sur ces questions, nous partagions vraiment la même vision et la même détermination. Tout s’est fait en parfaite confiance et en parfaite loyauté. Le jour où, par exemple, Le Soir a révélé la vente de Voo, je l’ai directement appelée pour faire le point en toute franchise. Aux réunions du gouvernement wallon, nous étions assis l’un en face de l’autre. Je peux vous dire que si elle a l’air discrète comme ça, elle peut faire preuve d’une détermination impressionnante. Quand elle est convaincue de l’importance d’une mesure, elle est capable de déplacer des montagnes! Je vais prendre deux exemples: elle a posé les jalons d’une véritable politique concertée de la ville en Wallonie ; et elle a réussi cette prouesse qui a consisté à lancer une campagne de communication concertée pour l’ensemble du secteur touristique wallon. Cela manquait cruellement. Par son professionnalisme et sa détermination, Valérie a su insuffler cette volonté au secteur, elle lui a donné une identité commune. Je suis convaincu que c’est un pas important pour le futur de la gestion de nos attractions touristiques.”Pierre-Yves Dermagne, vice-Premier ministre (PS)
  • “J’ai été désignée comme experte juridique lors de la commission d’enquête Publifin, ensuite comme déléguée spéciale du gouvernement dans l’intercommunale. C’est là que j’ai appris à connaître Valérie De Bue, qui était alors ministre des Pouvoirs locaux. Nous étions toutes deux soumises à une forte pression. J’ai pu apprécier ses qualités morales, sa loyauté mais aussi, son expertise technique. Ce fut vraiment une belle rencontre, qui se prolonge bien au-delà de la mission Publifin. Valérie parvient à ne pas se laisser happer par le côté un peu toxique de la politique. Elle reste à l’écoute de tout le monde et tente toujours de faire passer l’intérêt collectif avant ses intérêts personnels ou partisans. Sa réaction, quand elle a failli perdre son mandat ministériel, de façon totalement injuste je trouve, est à son image: elle n’a pas eu de déclaration tapageuse, elle n’a pas jeté d’huile sur le feu, elle a essayé de prendre de la hauteur. Et vous avez bien vu toute la sympathie qu’elle suscite dans son équipe et plus largement dans le monde politique. Je l’avais déjà ressenti dans le dossier Publifin et je suis convaincue que cela a contribué au déminage de cette affaire et à l’émergence de solutions.”Alexia Autenne, administratrice générale de l’UCLouvain
  • “Nos premiers contacts remontent à 20 ans, quand je préparais la liste pour les élections communales de 2000. Une candidate venait de se désister, Valérie souhaitait s’investir dans l’aménagement du territoire et nos chemins se sont croisés. Je l’ai initiée aux matières communales, ce qui lui a été très utile dans son parcours. Valérie et moi, nous formons un excellent binôme, aucun ne fait de l’ombre à l’autre. Cela ne signifie pas que nous sommes d’accord sur tout, mais nous discutons calmement. On se parle régulièrement sur toute une série d’enjeux, elle prend la température avant de décider en gouvernement. C’est à la fois une remarquable technicienne – je lui dis même parfois ‘Valérie, tu connais trop bien tes dossier’ – et quelqu’un qui parvient à rester à l’écoute des citoyens, à les comprendre. Tout en étant ministre, elle garde vraiment le contact avec la base. Il n’est pas étonnant qu’elle soit si populaire.”Pierre Huart, bourgmestre de Nivelles (MR)

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