Une autre voie de développement possible en Afrique (Kako Nubukpo)

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Alors que “le monde est devenu keynésien”, une autre voie de développement est possible en Afrique, où la pandémie a favorisé par exemple l’essor des circuits courts, juge l’économiste Kako Nubukpo, ancien ministre de la Prospective du Togo.

Pourquoi le virus semble moins nocif en Afrique?

D’abord, il y a la jeunesse de la population, dont l’âge médian est de 19 ans. 40% de la population a moins de 15 ans. Ensuite, l’Afrique a été préparée par toutes les pandémies antérieures, en 2014 on utilisait déjà le gel hydroalcoolique du fait d’Ebola !

La mémoire de ces pandémies a fait que, très vite, sur tous les marchés africains, les gens ont commencé à fabriquer des masques. L’économie de la débrouille crée une plus grande facilité d’adaptabilité.

Enfin, le continent africain est beaucoup plus fermé que le reste du monde. Il y a un vol par jour en provenance de France, d’Angleterre, de Chine. Nous, les élites urbaines mondialisées, on voyage beaucoup mais on ne représente rien par rapport à la population.

Mais il y a aussi moins de décès car il y a moins d’obèses. A la différence des pauvres en Amérique qui consomment du gras, les gens ici n’ont rien à manger ! Pour une fois, comme disait (l’essayiste suisse) Jean Ziegler, c’est la victoire des vaincus.

Quelle leçon tirez-vous de cette crise?

Au Togo, dès le mois de mars, il y a eu des transferts de cash aux ménages, via les téléphones mobiles, autour de 30.000 CFA (50 euros). D’autres pays ont pris des initiatives similaires.

Plus généralement, il faut redonner des marges de manoeuvre aux politiques publiques africaines, par une action plus forte sur la monnaie, car les politiques monétaristes que nous suivons ne sont pas adaptées à la situation actuelle. Le reste du monde est devenu keynésien, avec toutes les politiques monétaires non conventionnelles (le “Quantitative Easing”), donc il n’y a pas de raison que les banques centrales africaines soient les dernières à en faire !

Retrouver des marges, c’est à la fois négocier le moratoire sur la dette, mais aussi élargir la base productive, car toute la fiscalité repose sur une minorité, la classe moyenne émergente, donc il faudrait monter en gamme au niveau de la transformation des matières premières.

Il faut aussi développer les circuits courts. Les pays qui ont pu faire face rapidement à la pandémie sont ceux qui ont développé l’agriculture périurbaine, car les approvisionnements ne pouvaient se faire que de proche en proche à cause du confinement. C’est vrai de tous les pays ouest-africains – Togo, Bénin, Côte d’Ivoire – car les grands circuits d’approvisionnement ont été déstabilisés, et dans les supermarchés on a connu des pénuries de lait, de poulet, de viande, tout ce qui était importé. L’un des mérites de la crise aura été ainsi de renforcer l’autosuffisance.

Si le monde est devenu keynésien, le FMI ne va-t-il pas lui aussi changer d’approche?

La crise révèle les angles morts du développement africain. Pendant 40 ans, toutes ces décennies de l’ajustement structurel, on a mis l’accent sur l’équilibre macro-économique, sous l’injonction du FMI et de la Banque mondiale, mais on a négligé le développement sectoriel, en particulier la santé et les infrastructures. Mais si vous avez des respirateurs artificiels et pas d’électricité, ils ne peuvent pas fonctionner !

Le FMI va insister sur la soutenabilité de la dette car c’est dans son ADN. Tant que l’Afrique dépend du reste du monde pour son approvisionnement en biens et service, le FMI continuera à surveiller la balance des paiements.

Or l’Afrique est la prochaine frontière de la croissance mondiale.

Cette crise accélère la prise de conscience de l’impératif de produire pour la consommation africaine et c’est l’enjeu de la zone de libre-échange continentale africaine (en projet à l’échelle de l’Union africaine ). L’avenir de l’Afrique c’est son marché intérieur, un potentiel de 2 milliards d’individus en 2050.

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