Un siècle de communisme: 5 expériences économiques ratées

© Jens Claessens

La même richesse pour tout le monde, la suppression des inégalités, ce paradis sur terre, les communistes l’ont promis il y a un siècle. Cela a tourné autrement. Le système de l’économie planifiée et la suppression de la propriété privée ont rapidement tourné à la débâcle. Les expériences communistes qui ont semblé fonctionner un moment n’ont pu le faire qu’avec l’aide financière des maudits capitalistes.

Mi-octobre, le débat concernant la déclaration gouvernementale fédérale a débouché sur une altercation entre le Premier ministre Charles Michel (MR) et le néocommuniste Raoul Hedebouw (PTB).

Hedebouw a déclaré que les emplois créés sous ce gouvernement fédéral sont surtout des emplois précaires. La réponse du Premier ministre: “Nous ne croyons pas un instant à vos recettes populistes qui mèneront à plus de pauvreté, où la question de la qualité de l’emploi ne se posera plus puisqu’il n’y aura tout simplement plus d’emploi. L’histoire l’a démontré.”

Charles Michel connaît son histoire. Depuis la Révolution d’octobre, qui a amené les bolcheviques au pouvoir il y a 100 ans en Russie, différents essais ont été entrepris pour établir un ‘paradis communiste des travailleurs’. Une économie centralisée, la nationalisation des entreprises, la suppression de la propriété privée devaient créer l’égalité absolue.

Les bolcheviques ont même fait appel aux capitalistes occidentaux tant détestés pour qu’ils investissent dans les sociétés reprivatisées

L’économie planifiée allait conduire à une accélération de l’industrialisation et au partage équitable des richesses. Les grandes inégalités dans la possession (privée) entre les ouvriers et la bourgeoisie (la classe possédante) allaient être combattues, tel était le credo de l’idéologue Karl Marx. Cette théorie a été traduite dans la pratique dans plusieurs pays, jusqu’aujourd’hui. Mais toutes ces expérimentations économiques ont tourné à l’échec. C’est ce qui ressort des cinq exemples ci-dessous.

1. Années 20 – La Nouvelle Politique Économique de Lénine

La prise de pouvoir des bolcheviks en Russie au cours de la Révolution d’octobre de 1917 n’a pas apporté de stabilité politique ou économique. Lénine et son entourage constituaient une minorité dans un groupe de tendances révolutionnaires.

Un siècle de communisme: 5 expériences économiques ratées
© JC

Ils sont arrivés au pouvoir par intimidation et violence, mais leur position se trouvait sous la pression permanente des partisans du tsar entre-temps assassiné et des socialistes démocrates. La Russie sombra dans une guerre civile.

Lénine a installé un communisme de guerre. La nationalisation des moyens de production – la clé de voûte de l’économie communiste – était considérée comme un élément de la lutte. Les terres agricoles ont notamment été nationalisées. Cela s’est rapidement traduit par la confiscation des récoltes par les bolcheviks pour nourrir la population affamée des villes, où se trouvait l’étroite base de pouvoir des communistes. Presque quatre années de guerre y ont semé le chaos total.

L’argent fut aboli et le commerce interdit. L’économie communiste, intégralement contrôlée par l’État, était une réalité. L’activité économique s’est effondrée et comme les bolcheviques confisquaient les récoltes, la famine est rapidement apparue dans les campagnes, avec ses millions de morts.

Le mécontentement a crû au sein d’un groupe toujours plus grand de bolcheviks. Lénine décida de changer son fusil d’épaule. En mars 1921, il admit son erreur: “Nous sommes allés trop loin dans la nationalisation. Y a-t-il une possibilité de réinstaurer notamment la liberté du commerce ? Oui, sans pour autant mettre fin à la dictature du prolétariat.”

Entre 1931 et 1933, 5 à 6 millions d’Ukrainiens sont morts de faim. En parallèle, dans la période 1932-1933, une quantité record de céréales fut exportée vers l’Occident.

Lénine lança la Nouvelle Politique Economique (NEP). L’État a maintenu le contrôle des moyens de production et est resté propriétaire des banques et des grandes sociétés industrielles. Mais pour les travailleurs de ces sociétés, des différences salariales ont été instaurées sur base des performances. Les sociétés de moins de vingt travailleurs ont été reprivatisées.

Les bolcheviques ont même fait appel aux capitalistes occidentaux tant détestés pour investir dans ces sociétés privatisées. Les Américains ont surtout injecté de l’argent dans l’économie soviétique.

La confiscation des récoltes céréalières cessa. Un nouvel impôt fut instauré, qui allait être prélevé annuellement et autoriser les fermiers à garder la production supplémentaire.

La NEP a sauvé le régime de Lénine. Les pays occidentaux ont en outre investi dans l’Union soviétique pour réparer les infrastructures. En 1926, la production industrielle atteignit à nouveau le niveau d’avant la Première Guerre mondiale.

Lénine a-t-il alors été le good guy de la révolution communiste ? L’historien français Stéphane Courtois, ancien communiste et auteur de l’ouvrage classique Le Livre noir du communisme paru en 1998, relativise cela.

“Les impôts étaient toujours extrêmement élevés pour les fermiers. Celui qui refusait de les payer jouait avec sa vie. L’économie a été quelque peu libéralisée en 1921, mais l’Union soviétique est restée une dictature communiste. Les adversaires de Lénine furent exécutés sans merci. On l’oublie souvent, car tout le monde se focalise sur les massacres sous Joseph Staline.”

2. Début des années 30 – la collectivisation sous Staline

Joseph Staline
Joseph Staline© JC

Certains communistes, dont Joseph Staline, ont craint l’émergence d’une nouvelle classe bourgeoise du fait de la politique de Lénine et ils ont changé de cap.

Le 1er octobre 1928, Staline a lancé son premier plan quinquennal (1928-1933). Tout ce qui ressemblait ne fût-ce qu’un petit peu au capitalisme et à l’économie du libre-échange fut supprimé. Les petites entreprises furent à nouveau nationalisées, tout comme l’ensemble du secteur agricole.

Selon Staline, les coopératives agricoles dirigées par l’État allaient fournir une production de céréales jamais vue encore. Une partie de la récolte allait être exportée vers l’étranger en échange de devises fortes. Une autre partie allait nourrir les villes, où l’économie était entièrement axée sur l’industrie lourde. C’était la théorie.

En réalité, la production a diminué, tant dans l’industrie que dans l’agriculture. En Ukraine, les fermiers (les koulaks) ont résisté à la collectivisation.

Mais le problème était surtout que les fonctionnaires communistes ont imposé des quotas de production excessifs aux fermiers. S’ils ne les atteignaient pas, le pouvoir central augmentait la part de récolte qui devait être livrée, de 30 à 44%.

Si les fermiers refusaient de livrer ces céréales, elles étaient confisquées. Les semences étaient également confisquées, ce qui les rendait incapables de semer l’année suivante.

En conséquence, la famine a refait son apparition dans les campagnes. Entre 1931 et 1933, 5 à 6 millions d’Ukrainiens sont morts de faim.

En parallèle, dans la période 1932-1933, une quantité record de céréales (presque 3,4 millions de tonnes) a été exportée vers l’occident. Cette période est connue sous le terme Holodomor : ‘holod’ signifie faim, ‘domor’ tuer ou exterminer.

“Ce qui se passa alors fut bien davantage qu’une conséquence dramatique d’une économie planifiée inefficace”, constate Stéphane Courtois. “C’était un génocide volontaire par Staline. Il voulait briser l’épine dorsale du nationalisme ukrainien. D’autres leaders communistes sont également coupables. Le leader soviétique Nikita Khrouchtchev, considéré plus tard comme sympathique en occident, en était informé et donc coresponsable. C’était bien pratique de pouvoir rejeter toute la faute sur le dictateur entre-temps décédé, lorsqu’il a pris ses distances avec le stalinisme en 1956.”

3. Fin des années 50 – Le Grand Bond en avant de Mao Zedong

Mao Zedong
Mao Zedong© JC

Lors d’une visite à Moscou en octobre 1957, le leader de la Chine Mao Zedong fut impressionné par une performance de l’Union soviétique. Le pays était le premier à avoir mis un vaisseau spatial en orbite autour de la terre. Le dirigeant chinois ne voulait pas être en reste.

Mao a voulu faire de la Chine, alors essentiellement une économie agricole, une grande puissance industrielle. Il a fixé des objectifs clairs.

La production métallurgique chinoise devait dépasser celle de la Grande-Bretagne après quinze ans. La Chine devait devenir le plus important exportateur de textile. Cela fut planifié de manière centralisée dans la plus pure tradition communiste.

Au moins 45 millions de Chinois périrent à cause du Grand Bond en avant, principalement à cause d’une carence en nourriture. Le pays traversa la plus grande famine de l’histoire.

Toute l’attention se porta sur la collectivisation de l’agriculture. Celle-ci a également dû nourrir les ouvriers de l’industrie des villes et produire des surplus pour l’exportation.

Les méthodes agricoles traditionnelles ont dû céder le pas devant des pratiques qui étaient carrément contraires au bon sens. Les terres furent plantées proches l’une de l’autre afin d’obtenir de plus grandes récoltes, mais cela eut un effet contre-productif.

Les fonctionnaires communistes donnèrent l’ordre de tuer les moineaux, car ils picoraient les semences de la terre. La conséquence fut une invasion d’insectes encore bien plus nuisible.

Des mandataires locaux se virent imposer des quotas de production irréalistes. Lorsqu’il fut temps de communiquer le rendement céréalier au pouvoir central, de peur des représailles, ils donnèrent des chiffres tellement embellis qu’il ne leur resta plus rien après la réquisition de l’État.

Les prix dans les magasins furent bloqués. La différence fut comblée via des subsides. À cette fin, l’Allemagne de l’Est emprunta massivement de l’argent à l’Allemagne de l’Ouest.

Le secteur agricole se mit à dysfonctionner, cela n’a ensuite pas été autrement dans l’industrie. Lorsque l’augmentation de la production de métal ne fut pas un succès, les fermiers reçurent l’ordre de fondre du fer dans des petits fours dans leur jardin, y compris l’outillage de jardin et les couverts. Ce fer s’avéra de mauvaise qualité et inutilisable pour les usines métallurgiques.

Mais Mao sauva les apparences. La Chine continua à exporter des céréales, du métal et du textile. Le pays mit ainsi pas moins de 14 millions de rouleaux de tissu à des prix de dumping sur les marchés internationaux, alors que pour les Chinois des campagnes il n’y avait plus de vestes.

Selon le chercheur britannique Frank Dikötter, au moins 45 millions de Chinois périrent à cause du Grand Bond en avant, principalement à cause d’une carence en nourriture.

Le pays traversa la plus grande famine l’histoire. 3 millions de Chinois furent en outre exécutés. Voler une pomme ou déterrer des semences de céréales ou des pommes de terre impliquait la peine de mort.

Le drame a en grande partie été effacé de l’histoire chinoise. Tout comme les membres importants du Parti communiste qui émettaient des critiques sur cette politique économique désastreuse.

Afin de réduire au silence ces critiques, Mao a déclenché la Révolution culturelle en 1966. Une partie de la tête du parti fut éradiquée.

Un membre important du parti, Deng Xiaoping, s’était tenu à l’écart. Après l’ère Mao, il entreprendra les premiers pas vers le capitalisme d’État chinois tel que nous le connaissons à présent.

Lors d’une visite aux États-Unis en 1979, il était assis à côté de l’actrice Shirley MacLaine à un banquet. Elle lui raconta sa visite en Chine et sa rencontre avec un professeur qui avait dû travailler à la campagne et débordait d’éloge sur la politique de Mao. Deng Xiaoping répondit sèchement : “Ce professeur est un menteur.”

4. Années 70 – l’économie de la consommation de la RDA

Erich Honecker
Erich Honecker© JC

Quand Erich Honecker reprit le pouvoir de Walter Ulbricht en 1971, il déclara que la crédibilité de l’Allemagne de l’Est dépendait en grande mesure de la situation de l’économie.

Honecker changea de voie : la consommation devait devenir le moteur de l’économie. Le raisonnement était qu’un certain niveau de prospérité allait maintenir la paix sociale.

Afin d’atteindre ce but, les salaires ont augmenté de 20% dans la période 1971-1975. Les pensions grimpèrent aussi. Les prix dans les magasins furent bloqués, indépendamment de l’augmentation des coûts réels.

Un litre de lait coûtait ainsi 68 pfennigs, alors que le prix de revient s’élevait à 1,70 mark pour l’État. La différence fut comblée par des subsides.

Afin de financer tout cela, le gouvernement est-allemand a dû emprunter massivement de l’argent en Allemagne de l’Ouest, avec laquelle les relations s’étaient désormais améliorées.

Le problème était qu’il y avait bien de la demande pour des biens de consommation, mais pas d’offre. La pénurie régnait depuis déjà des décennies en RDA. Sans parler des délais de livraison. Pour une voiture, ils étaient de douze ans. Cela ne s’améliora pas au début des années septante.

Honecker espéra améliorer la production des biens de consommation via plus de planification et plus de centralisation. Les processus de production furent regroupés dans un combinat.

De cette manière, les dernières sociétés privées disparurent et donc les seules vraies sociétés de production. Ces 11.500 petites entreprises produisaient pourtant 40% des biens de consommation.

La situation empira du fait que le gouvernement de la RDA n’investissait plus dans l’appareil de production et dirigea tout l’argent vers le soutien à la consommation.

Alors que l’économie de consommation de l’Allemagne de l’Est ne décollait pas du tout, les dettes continuaient à s’accumuler. Début des années quatre-vingt, une crise de paiement menaçait.

Le sauveur fut le Ministre-Président CSU de Bavière Franz Josef Strauss. Il accorda un crédit d’un milliard de DM en 1983. Cet argent maintint encore l’économie de la RDA debout pendant un moment. Mais entre-temps, il s’était avéré clair qu’une combinaison d’économie planifiée et de consommation à un niveau élevé n’était pas possible.

5. 21e siècle – le communisme soft du Venezuela

La chute du Mur de Berlin en 1989 n’a pas signifié la fin des expériences d’économie communiste. Le dernier pays stalinien, la Corée du Nord, survit en grande partie grâce aux exportations de matières premières vers la Chine.

Au Venezuela, le président Hugo Chávez (1999-2013) a mené une sorte de politique économique néocommuniste, que son successeur, Nicolas Maduro, poursuit. Avec des conséquences catastrophiques.

Beaucoup de Vénézuéliens font quotidiennement la file pour des produits de première nécessité, dont la nourriture.

Il y a vingt ans, le Venezuela était l’un des pays les plus riches d’Amérique latine. Ces deux dernières années, l’économie s’est contractée de 20%. L’inflation atteint un pic de près de 1.000%.

En conséquence, le président Maduro a dernièrement proposé un nouveau billet de 100.000 bolivars. Et Maduro a fait savoir que le pays allait négocier avec ses créanciers concernant une restructuration de ses dettes. Par ailleurs, l’agence de notation financière S&P Global Ratings a annoncé qu’elle déclarait le Venezuela “en défaut partiel” sur sa dette, après l’incapacité du pays à rembourser 200 millions de dollars. Pourtant, le Venezuela dispose des plus grandes réserves pétrolières du monde.

Nicolas Maduro
Nicolas Maduro© JC

Qu’est-ce qui a mal fonctionné ? C’est très simple: l’instauration d’un communisme soft, soft en comparaison avec ce que Staline et Mao ont essayé, mais toujours avec des conséquences économiques dramatiques.

Le président Hugo Chávez voulait transformer le Venezuela en une société socialiste selon le modèle cubain. Des sociétés ont été nationalisées, les multinationales qui licenciaient du personnel recevaient de lourdes amendes et le secteur agricole a été mis sous le contrôle de l’État.

L’État devint à la fois producteur et répartiteur de la nourriture. Mais la bureaucratie et l’incompétence ont fait s’effondrer le processus de production. Ce problème fut résolu avec l’argent des exportations de pétrole, utilisé pour des importations massives de nourriture.

Lorsque les prix du pétrole commencèrent à baisser, il n’y eut plus assez d’argent pour importer de la nourriture. Les autorités essayèrent de contrer ce problème par la monopolisation de la distribution de la nourriture. Des contrôles des prix furent instaurés qui déstabilisèrent l’économie.

Il y a une grande pénurie en médicaments. Beaucoup de Vénézuéliens font quotidiennement la file pour des produits de première nécessité. L’an dernier, le poids moyen des Vénézuéliens a diminué de 9 kilos.

Selon le FMI, le revenu national a diminué de 35% depuis 2013. C’est davantage qu’aux États-Unis pendant la Grande dépression de 1929-1933.

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