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Un pouvoir supplémentaire pour l’Etat: “Maudite transparence”

Aujourd’hui, la transparence semble s’imposer partout. Pourtant, ce qui est présenté en général comme une vertu devient souvent un grand danger. L’évolution de la notion de transparence au cours des dernières décennies est pour le moins préoccupante.

A l’origine, la transparence était un droit de l’individu. Dans l’après-guerre, il est apparu comme indispensable de garantir aux citoyens l’accès aux documents administratifs de l’Etat et des autres autorités publiques. C’est ainsi que fut voté l’actuel article 32 de la Constitution belge, selon lequel ” chacun a le droit de consulter chaque document administratif et de s’en faire remettre copie “, sauf les exceptions prévues par la loi. Ce droit remplit un double objectif : d’une part, il permet au citoyen d’avoir accès aux documents qui le concernent, ce qui est souvent nécessaire pour faire valoir ses droits ou exercer des recours, et d’autre part, cela permet aussi à chacun de contrôler le travail de l’administration en général.

De telles dispositions ont été introduites dans les Constitutions ou dans les lois de la quasi-totalité des pays occidentaux. Quelques années avant sa chute, même Gorbatchev, leader de la très peu transparente URSS, promettait la glasnost, c’est- à-dire la transparence.

A la base, la transparence est donc un droit. Elle se justifie par le fait que chacun doit pouvoir savoir comment les élus gèrent le pays, et comment ils font usage des fonds prélevés au moyen des impôts et autres cotisations.

Ce qui est beaucoup plus troublant, c’est que ce même mot de transparence a été utilisé à des fins diamétralement opposées à celles initialement prévues. La transparence était un devoir de l’Etat, et elle est devenue aujourd’hui, dans bien des domaines, un droit de l’Etat envers les citoyens, et même, récemment, un droit des uns sur les autres. C’est ainsi qu’il existe un Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements dans le domaine fiscal. Fonctionnant auprès de l’OCDE, ce forum oblige en pratique les Etats à échanger des informations sur les individus dans le domaine des revenus et des capitaux issus de l’épargne. C’est dans le cadre de ce mouvement qu’a été supprimé le secret bancaire dans la plupart des pays, et qu’il n’est maintenu dans certains autres, y compris dans une très faible mesure en Belgique, que pour les résidents nationaux. La transparence est ainsi devenue celle de chacun d’entre nous envers l’Etat, alors qu’au départ, elle était un droit des individus envers l’Etat.

La transparence est devenue celle de chacun d’entre nous envers l’Etat, alors qu’au départ elle était un droit des individus envers l’Etat.

Or, dans ce sens-là, c’est-à-dire en tant que droit de l’Etat sur les individus, sa raison d’être est beaucoup moins justifiée. Aujourd’hui, l’administration fiscale française, qui avait déjà depuis très longtemps accès aux comptes bancaires de tous les résidents français, s’est également arrogé le droit d’avoir accès à tous leurs comptes Facebook et d’autres réseaux sociaux, voire, moyennant quelques formalités, à tous les mails et autres messages qu’ils échangent. En d’autres termes, à l’égard du fisc, il n’existe dans ce pays voisin, certes ultra-administré, plus aucune vie privée envers le Pouvoir. La transparence est devenue un pouvoir supplémentaire pour l’Etat.

L’évolution récente des législations montre d’ailleurs qu’on veut encore aller bien au-delà. La multiplication des fuites dans la presse, favorisées par certains Etats, à propos d’informations sur le patrimoine de certains individus, et pas seulement de politiciens ou de multinationales, a amené certaines organisations à promouvoir un accès beaucoup plus général, et cette fois légal, à des renseignements qui ne sont pas d’intérêt public, mais qui devraient être strictement privés. C’est ainsi que, sur la base d’une directive européenne, tous les pays européens ont introduit l’obligation, pour toute personne bénéficiant d’un contrôle sur une société, même très modeste, de s’identifier sur un registre UBO en tant que bénéficiaire. Or, dans des Etats comme la Belgique, l’accès à ce registre ne sera pas réservé aux autorités publiques, mais appartiendra à n’importe qui. On a bien entendu présenté cela comme un nouveau ” droit à la transparence ” mais, hormis pour les sociétés cotées (dont les actions sont susceptibles d’être achetées par n’importe qui), il s’agit d’exposer sans raison l’assiette de chacun au regard du voisin.

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